Avec Don Quichotte, comme voie d’éveil, éloge de la chevalerie errante, Rémi Boyer nous donne à lire un livre considérable d’intelligence et de compréhension nouvelle de l’œuvre majeure de Cervantès.
Le point de départ et d’arrivée de la lecture du Quichotte présentée par Rémi Boyer est empruntée à une spécialiste reconnue de ce roman si célèbre paru au début du XVIIe siècle espagnol, Dominique Aubier, qui répétait, selon lui, avec raison et passion : « Le Quichotte ne veut plus qu’on rit de lui. »
C’est ainsi que la proposition de Rémi Boyer va bien plus loin que la lecture habituelle telle que formulée par Borgès, par exemple, qui considérait le Quichotte comme " Le dernier livre de chevalerie et la première nouvelle psychologique des lettres occidentales".
Oui, par ses techniques narratives, par l’intervention même de l’auteur dans le texte, Don Quichotte s’impose comme le premier roman moderne.
Mais ce chef d’œuvre de la littérature mondiale est bien plus que ça ! Et c’est ainsi que Rémi Boyer nous dit tout autre chose. Dépassant la doxa universitaire, il montre précisément, à l’aide d’une époustouflante érudition croisant une solide et profonde connaissance du texte et ce, contre toute attente paresseuse, que l’errance du Quichotte s’apparente à une « rébellion contre les pouvoirs institués ».
Car le chevalier à la triste figure « se sent, se vit comme chevalier, mais n’est pas reconnu comme tel par les institutions et le pouvoir. Il est un chevalier du désir ». Et l’auteur de préciser « Un désir de couronnement et de reconnaissance qui va peu à peu s’intérioriser. Mais d’emblée, il (Don Quichotte) a le pressentiment que seule l’errance (en tant qu’acceptation de l’aléatoire, de la disponibilité et de l’ouverture aux autres) conduit à l’essence de la chevalerie. Déjà, il oppose la chevalerie errante, seule véritable chevalerie, à la chevalerie institutionnelle. »
On sait à quel point la vie de Miguel de Cervantès (il perd l’usage d’une main à la bataille de Lépante, capturé et retenu comme esclave cinq ans à Alger, tente quatre fois de s’évader, est rattrapé, puis racheté etc) fut aventure et à quel point les aléas de son extraordinaire existence conditionneront ses écrits. A commencer par le fameux Quichotte.
Pour Boyer, la folie de Don Quichotte - qu’il relie à l’Eloge de la folie d’Erasme (Souvent un homme fou dit des choses sensées) et à La nef des fous de Brandt - est essentiellement revendication de l’idée de noblesse. Idée comprise à la fois comme absence de calculs intéressés et affirmation de spiritualité. Une spiritualité qui, ainsi que le rappelle Yonnel Ghernaouti, s’apparente à « la vérité d’un désir de service et de justice » [1].
Une spiritualité laïque ou non qui doit autant la Kabbale qu’à la Bible et qu’à d’autres productions ou constructions humaines tel l’hermétisme.
D’où cette errance initiatique, cette quête en fait, qui dépasse la dualité et qui s’affirme en maintes occasions, dans l’Amour courtois par exemple.
Permettons-nous ici de reprendre un extrait de La lettre au Greco de Nikos Kazantzaki cité au chapitre cinq de l’ouvrage.
« Don Quichotte m’est apparu comme un grand saint martyr qui, au-delà de l’humble vie quotidienne, était parti, au milieu des huées et des rires, pour trouver derrière les apparences, la substance.
Quelle substance ? Je ne le savais pas alors, je l’ai compris plus tard. Il n’y a qu’une substance, toujours la même, et l’homme n’a pas trouvé encore d’autre moyen de s’élever ; la déroute de la matière et la soumission de l’individu à une fin qui le dépasse peut bien être une chimère ; pour un cœur qui croit et qui aime il n’est pas de chimère, il n’y a que le courage, l’action et l’action féconde. » [2]
L’approche de Rémi Boyer, rappelons-le, au plus près du texte de Cervantès, délivre une « substantifique moelle » qui nous incite non pas à rire à bon compte du chevalier errant mais bien au contraire à saisir son message d’appel au refus de toute résignation. Absolument moderne ça !
Don Quichotte, comme voie d’éveil. Eloge de la chevalerie errante. Rémi Boyer, Editions La Tarente, 295 p, 28 euros.