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Le baiser de l’étrange de Jean-Claude Guillaume. Photos Stephan Borensztajn
La critique de Rémi Boyer

Les mots glissent sur l’océan noir de la conscience comme les scintillements d’un soleil invisible. Les mots sont le vaisseau. Les mots sont le vent. Jean-Claude Guillaume, psychanalyste, en appelle à la fonction poétique pour dire le non-dit. Son complice, Stephan Borensztajn, spécialiste en microscopie électronique à balayage traverse son texte de photos de ce monde à la fois effrayant et fascinant, celui des insectes. Le fort grossissement, à la manière d’un Douglas Harding, bouscule notre rapport au monde. Qu’est-ce qui se donne à voir ?

Point de départ de ce voyage, la question du réel et du virtuel. Cet écran d’ordinateur, condensé de notre rapport fermé à un monde que nous avons nous mêmes construit peut-il être une porte sur l’infini ?

« Face à l’ordinateur, nous confie Jean-Claude Guillaume, au jaillissement des données convoqué par le jeu du clavier, j’ai vu soudain l’écran comme une fenêtre obscure, ouverte sur l’infini du monde, à la fois fermeture, opacité et transparence, images, sons, ou paysages, dansant au gré de mes doigts sur les touches obéissantes, feux follets traversant la scène, s’immobilisant le temps d’une pause, pour disparaître ensuite. Curieuse impression de frôler tous les savoirs, voilée pourtant par l’immensité de mon ignorance. Même si le moteur informatique s’emballe, fend la foule des informations à la vitesse de l’éclair, il demande inlassablement une direction. Sans elle, il tourne en rond, passe et repasse, cherche un guide. Je suis assis sur un trésor sans en avoir la clé. »

Après l’accident de vitesse de Paul Virilio, Jean-Claude Guillaume nous avertit d’un possible accident d’infini. Toute quête exige une intention et un orient. La science sonde, elle ne prouve pas. La question cachée, « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? », en appelle une autre, « Ce quelque chose n’est-il pas un rien ? Ce rien n’est-il pas un plein ? ». Jean-Claude Guillaume invite, avec justesse, des poètes et des philosophes à se joindre à lui, Valéry Larbaud, Pedro Salinas, Fernando Pessoa, le maître du jeu des hétéronymes, Borges, Char, Kant, pour finalement en appeler à Gulliver. Il s’agit de changer de perspective, de modifier le rapport spinoziste avec les objets extérieurs, le premier mode de connaissance. Ce changement de rapport peut seul nous donner accès aux causes, le deuxième mode de connaissance, voire, dans l’intervalle, aux essences.

Commencer par l’araignée n’est pas anodin. Efficace sans conteste. Grossie 13x, elle a un regard. L’étrangeté est là. Nous hésitons entre la rencontre avec cet autre si proche, si différent, et la fuite lovecraftienne. A fort grossissement des choses, 10000x, 15000x, les limites et les frontières disparaissent, les réalités multiples ne s’inscrivent plus dans des catégories. Minéral et végétal se fondent. Les identifications se dissolvent. Qui suis-je en la présence de « ça » ? Syrphe, mouche, moucheron, coccinelle, acarien, mite et autres nous enseignent. Habitants immenses de ma conscience.

« Etrange similitude, souligne Jean-Claude Guillaume, lien subtil tissé entre les dimensions du temps et de l’espace, témoin imprévu d’une unité étrange, improbable entre les habitants multiples de l’univers des vivants.

Mais, une fois encore, je sais que je dois garder le front lisse et découvert pour le baiser de l’étrange, dépasser et contenir ce démantèlement soudain d’un éprouvé qui me déborde…

Les masques, quels qu’ils soient, n’apportent qu’une aide transitoire.

Le vrai reste corollaire de leur abandon. »

Masqué, démasqué, acéphale, voilà les étapes de la quête. Cette expérience des profondeurs à laquelle nous convie Jean-Claude Guillaume fait sens à l’instant présent, quand l’étrange me rapproche de moi-même.

« Le monde est en toi et hors toi. Tes inventions qui courent dans le théâtre extérieur, ne sont bien sans doute que le reflet de tes formes internes. »

En reconnaissant la machine comme métaphore de changement, Jean-Claude Guillaume nous livre une clé pour l’actuel. Il y a dans cette expérience, le pressentiment de la non-dualité.

« La familière étrangeté de l’autre, souvent brutale et déconcertante, quitte parfois les labyrinthes obscurs de l’âme et se dépose dans l’analyste qu’il m’arrive d’être avec ses terreurs, autant de morsures hérissées par l’émotion dans les fibres du corps. Dans ce duel intime, en quête du sens, l’attrait des certitudes sert d’ancrages ou de défense. Il convient pourtant de laisser battre l’aile du papillon, de laisser glisser les morsures dans les replis profonds de la mémoire, à la recherche d’une trace commune, toujours présente mais difficile d’accès. »

Voici un bel essai, un message venu de l’étrange pour nous porter « à plus haut sens ».

Le baiser de l’étrange de Jean-Claude Guillaume. Photos Stephan Borensztajn, Editions La tête à l’envers.

Editions La tête à l’envers, Ménetreuil, 58330 Crux la Ville.
www.editions-latetalenvers.com


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