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Le coronavirus fait-il des choix sociaux ?
Par Guy Burgel

Voilà près de cinq mois que l’opinion publique est abreuvée d’informations médicales et de querelles scientifiques sur la pandémie du Covid 19. Des bilans sinistres quotidiens aux différends claniques des défenseurs et des pourfendeurs du professeur Didier Raoult et de son hydroxychloroquine, nul n’ignore plus rien des subtilités des tests virologiques et des analyses sérologiques, des patients asymptomatiques plutôt jeunes, des morbidités aggravantes, et des effets majeurs de la structure d’âge sur la mortalité. Le coronavirus n’a pas encore une histoire, mais il a déjà une légende.

Inégalité sociale devant la maladie et la mort

Pourtant, silencieusement, une autre vérité est en train de se faire jour : comme la fracture numérique ou le décrochage scolaire des catégories ou des espaces défavorisés ont été aggravés par le confinement, on prend conscience que l’inégalité sociale devant la maladie et la mort est une réalité incontournable.

Elle paraît prendre le pas dans la contagiosité et la gravité de la maladie sur les effets bruts de la démographie (densité, structure d’âge), de l’intensité des relations et des flux géographiques des hommes et des choses. En région parisienne, la Seine-Saint-Denis, département trois fois moins dense, beaucoup plus jeune, et incontestablement moins relié à l’économie mondialisée que la ville de Paris, a connu une surmortalité bien plus importante que la capitale. L’espérance de vie y était déjà plus réduite. En Guyane française, Saint-Georges de l’Oyapock, aux confins de l’Amazonie brésilienne, la zone la plus pauvre et la moins peuplée de ce département d’outre-mer à la population clairsemée, connaît la situation la plus dramatique. Et sur le continent américain, ce sont les couches paupérisées qui paient le plus lourd tribut à la maladie : Afro-américains aux États-Unis, habitants des favelas de Rio et de Sao Paulo au Brésil. Le Covid 19 est une maladie de pauvres, qui, comme toute lutte de classes, fait peur aux riches.

Et déjà les analyses, parfois raffinées, ne manquent pas. Elles établissent plus des cospatialités (coïncidences de territoires) ou des cotemporalités (coïncidences de circonstances), plus que des liens de causalité, qui sont la base de la démarche scientifique : dans les quartiers difficiles de la banlieue parisienne, exiguïté des logements, cohabitation intergénérationnelle, conditions de travail et de transport des « premiers de corvée », plus grande fréquence des comorbidités (diabète, obésité). On en revient à des études urbaines classiques et connues, quand il faudrait des méthodologies originales.

Les raisons de ces insuffisances de réactions rapides de la recherche sont multiples. La diversité des institutions, qui peut être bénéfique en période de croisière, se révèle lourde en temps de crise. Rien qu’en région Ile-de-France, l’ARS (Agence Régionale de Santé), l’ORS (Observatoire Régional de Santé), l’APHP (Assistance Publique Hôpitaux de Paris), l’INED (Institut National d’Études Démographiques), l’Insee (Institut National de Statistiques et d’Études Économiques), peuvent se prévaloir d’approches raisonnées. Compétitivité ou concurrence, quand il faudrait faire vite et coordonner ?

À la chasse aux papillons avec un filet de pêche

Pour le chercheur isolé, la difficulté d’accès aux sources est quasi insurmontable : constitution d’échantillons représentatifs à partir de dossiers d’hospitalisation ? Enquêtes directes ? Ou se retrouver confronté, pour simplement évaluer l’effet différentiel, selon les lieux, de la structure d’âge sur la surmortalité du printemps 2020 par rapport aux années précédentes, à la base de données des décès individuels de l’Insee : plus d’1,5 million de lignes, du 1er janvier 2018 au 15 juin 2020 ! Avec toutes les mises en garde, justifiées, de l’Institut, autant aller à la chasse aux papillons avec un filet de pêche.

Il y a déjà plusieurs mois, le professeur Didier Sicard, ancien président du Comité d’éthique, faisait remarquer qu’en matière de coronavirus, il était aussi important de s’intéresser aux marchés d’animaux vivants en Asie qu’à la structure génétique du virus. On pourrait en dire tout autant pour les conditions sociales de la morbidité et de la mortalité de la pandémie.

Là encore la crise actuelle révèle les carences et les priorités de l’investissement public : recherche médicale et structures de soins évidemment, mais aussi recherches en sciences sociales. On avait coutume de dire qu’elles étaient les ennemies des systèmes politiques autoritaires et des soutiens indispensables de la démocratie. On est en train de découvrir qu’elles sont aussi des auxiliaires de la vie.

Point de vue paru dans Ouest-France le 4 aout 2020

Guy Burgel est géographe, professeur à l’Université Paris-Nanterre


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