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Le geste de travail est un geste identitaire
Marie Pezé

Je veux réécrire avec force la centralité du travail dans la construction de l’identité, dans l’accomplissement de soi, dans le maintien d’un équilibre psychique, somatique et même social. Car, pas d’illusion, nous ne tenons pas notre identité de nous-mêmes. Il nous faut le regard d’autrui, regard dans le champ amoureux, regard dans le champ social.
En contrepartie de la contribution que nous apportons à l’organisation du travail, nous attendons une reconnaissance. Pas simplement un salaire mais aussi une rétribution identitaire. La reconnaissance de la qualité de notre travail est LA réponse à nos attentes subjectives. Alors, la fatigue, les difficultés, les doutes s’évanouissent devant la contribution à l’oeuvre collective et la place que l’on a pu se construire parmi les autres. Le travail trouve aux soubresauts pulsionnels une issue socialement valorisée et utile. Nous voyons les dégâts de la violence quand l’issue sociale leur est barrée par un chômage chronique.
Les gestes de métier ne sont donc pas que des enchaînements musculaires efficaces et opératoires. Ils s’ancrent dans notre enfance par la copie des modèles aimés et admirés. Dans les traditions de métier transmises par apprentissage, nouant des liens étroits entre l’activité du corps et l’appartenance à un collectif de travail. Enfin, ils traduisent notre identité de genre, notre appartenance à un sexe. Est-il besoin que je rappelle qu’une femme n’occupe pas les mêmes métiers dans la division sexuelle du travail ? À elles, la prise en charge de la saleté, de la souffrance, de la mort, de la maladie, des personnes âgées, des enfants.
Notre engagement corporel au travail parle de notre identité sociale, de notre identité de genre, de notre identité personnelle.
Toucher aux gestes de travail, c’est toucher à notre identité. Si l’ouvrier à la chaîne, l’aide-soignante pris dans une organisation du travail verrouillée ne peuvent rien investir de leurs ressorts personnels, il y aura souffrance. Quelle négociation possible avec sa part personnelle lorsque les gestes de travail renvoient à une manualité ingrate, répétitive ? Penser est alors inutile. Le silence mental se prête bien mieux au travail monotone et se maintient par la répression de soi, geste après geste, jour après jour.
Premier symptôme, la fatigue usure du geste vidé de sens qu’il faut accomplir quand même, en réprimant toute activité spontanée pour coller au script qui défile sur le prompteur, sans écart autorisé.
Quand le geste n’exprime plus rien, il ne sert qu’à tenir.

Tribune publiée dans L’Humanité du 5 octobre 2009.

Marie Pezé est responsable de la consultation « Souffrance et travail au CASH de l’Hôpital de Nanterre. Elle est psychanalyste, psychosomaticienne et experte judiciaire. Elle a publié le Deuxième Corps (La Dispute, 2002) et Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés (Pearson, 2008).


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