Intervention lors d’une réunion amicale de La faute à Diderot, le 15 janvier 2009
Nous tenions à « marquer le coup » ce soir, car nous sommes fiers d’avoir Thierry dans l’équipe de La Faute à Diderot, et donc heureux de voir son travail reconnu avec ce titre de Chevalier des Arts et Lettres.
J’ai reçu un message disant en substance qu’il ne fallait pas accepter ce type d’honneur, à l’instar de Sartre et Camus…Pour ma part, je pense que notre société honore trop rarement ceux qui font un travail comme celui que fait Thierry. Quand j’écoute à la radio les listes de ceux qui reçoivent les honneurs de la République, je me dis qu’il arrive que ceux qui dressent ces listes galvaudent ces honneurs. Et c’est encore plus vrai quand on a pense à ceux qui sont honorés chaque jour par les médias…
Dans le cas de Thierry, c’est son travail de terrain pour faire vivre la poésie, la littérature, le livre, qui lui a valu d’être Chevalier. Valère pourrait dire bien des choses sur le rôle de la langue française dans la formation de la nation, pour ma part, je ne suis pas un spécialiste, et je dirai seulement que c’est un travail qui est parfois ingrat (nous ne sommes pas un pays où l’on rempli les stades pour écouter des poètes, même en chanson, et on n’en prend pas le chemin puisque les qualités littéraires ne sont mêmes plus exigées dans la sélection des élites, comme le faisait remarquer un intellectuel anglais, ce dont témoigne encore notre président actuel, et peut-être que la raison de son intervention récente sur la culture est de le faire oublier). Tu expliquais dans le texte qui est disponible sur le site : « deux fléaux menacent, sans arrêt, la société des artistes et des gens de lettres. Le populisme, d’une part, qui ressemble de vraiment très près à la démagogie. L’élitisme, d’autre part, qui place le créateur un peu trop hâtivement au-dessus de la mêlée. Il y a, c’est sûr, entre ces deux dangers, un fil ténu sur lequel il faut essayer de tenir en équilibre. » Il est donc important que ce travail de funambule soit cité en exemple.
Pour ma part, le premier contact avec Thierry, je l’ai eu par le biais de son livre sur Robespierre. J’en parle parce que ça a quelque chose à voir avec ce que nous essayons de faire avec La Faute à Diderot. Défendre Robespierre n’était pas forcément chose facile en un temps « d’obscurantisme mondial » comme le disait alors Thierry (c’était le moment où triomphaient les thèses, d’ailleurs amputées, de François Furet). Mais comme le prouvent les travaux des historiens la position de Robespierre n’était elle-même pas facile : en gros de prendre part au gouvernement révolutionnaire tout en s’efforçant d’endiguer la Terreur. Et l’on a peut-être tendance maintenant à trop idéaliser et simplifier cette période de la Révolution…
Donc ce que cela a à avoir avec le site, c’est l’exigence de ne pas faire dans la facilité, dans la confrontation théorique et la confrontation à la production des connaissances, dans toutes leurs dimensions.
Aujourd’hui, cette confrontation n’est pas absente (la preuve l’endroit où nous sommes), mais il me semble qu’il y a en gros plusieurs attitudes qui dominent :
- soit de considérer comme dogmatique, voire nul et non avenu tout ce qui était fait auparavant dans le mouvement ouvrier, et donc de prôner un éclectisme qui est une mise à distance, puisqu’alors ces idées ne peuvent engager une pratique
- soit de prôner le retour à des sources débarrassées des impuretés de l’histoire (Zizek l’exprime ainsi : « l’un des pièges les plus retors pour les marxistes est celui qui consiste à rechercher le moment de la chute, le moment où les choses ont mal tourné dans l’histoire du marxisme »).
Dans les deux cas c’est l’histoire réelle des idées au XXème siècle qui est passée à la trappe, donc la réflexion sur ce que nous sommes, et donc la réflexion sur ce qu’est la société, sauf à penser que les idées n’y comptent pas…