Maurice Winnykamen est né en 1933 à Paris. Président de l’Association " La Paix maintenant 06 " pour l’amitié entre les peuples palestinien et israélien, co-fondateur de l’Association pour la Mémoire des Enfants Juifs déportés des Alpes-Maritimes, il est membre de la coordination MRAP-Reconstruction. Auteur de plusieurs ouvrages dont récemment « Grandeur et misère de l’antiracisme. Le MRAP est-il dépassé ? » (2007, Editions Tribord) ; « Quel avenir pour le syndicalisme ? » (2004, Page après page) ; « Hommage » (2001, Société des écrivains).
Il y a eu, tout au long de l’histoire des hommes, différentes formes de racisme. La plus ancienne, l’antisémitisme, s’est développée sur des bases cultuelles, culturelles et économiques à la fois, mais pas, sauf dans les caricatures, sur une particularité physique.
Les Juifs ne font pas partie des minorités visibles. Rien ne distingue un Juif européen d’un Blanc « ordinaire » ; il existe des Juifs asiatiques et Noirs ; quant aux Juifs palestiniens - je ne parle évidemment pas des Israéliens venus d’Europe -, bien malin qui saura faire la différence avec un Palestinien arabe.
L’antisémitisme conserve le triste privilège d’avoir provoqué, notamment en Europe mais pas seulement, le plus grand nombre de victimes tout au long des siècles et particulièrement lors de la seconde guerre mondiale (au cours de laquelle, faut-il le rappeler ?, les nazis ont inventé et industrialisé la solution finale).
Il y a soixante-dix ans la Nuit de cristal, énorme pogrom nazi en Allemagne et en Autriche, avec ses deux cent synagogues brûlées, ses milliers de vitrines de magasins juifs fracassées et des dizaines de milliers de Juifs internés dans des camps de concentration (et qui seraient, ensuite, conduits dans des camps d’extermination) en était le prélude.
De nos jours, l’antisémitisme est alimenté par le conflit du Moyen-Orient. Cependant, autant à l’inverse du MRAP actuel, je ne veux pas voir l’antisémitisme, (pas plus d’ailleurs qu’aucune autre forme de racisme), délayé dans le vocable racisme sans la majuscule qui permettrait ensuite d’en décliner les formes, autant je me refuse à opposer Racisme et Antisémitisme. Ce serait, déjà, faire acte de racisme.
Je considère que toutes les victimes du racisme souffrent de la même douleur et qu’il s’avère essentiel de pouvoir appuyer son combat contre la forme spécifique de racisme et de ségrégation que l’on subit (ou qui s’inscrit dans sa propre mémoire collective), sur les combats passés et présents des autres victimes, au lieu de les opposer dans une course à plus de victimisation.
Aujourd’hui, la France compte davantage d’actes racistes anti-maghrébins, anti-noirs, et même anti-asiatiques que d’actes antisémites : multiples ségrégations au travail, au logement, aux loisirs, dont on ne connaît généralement que les rares exemples suivis d’un dépôt de plainte.
Il faut ajouter l’entassement dans des quartiers défavorisés, les écoles désavantagées, le soupçon d’appartenance à une bande pratiquant le deal et la violence, voire le terrorisme... pour comprendre le mal-être des minorités visibles.
L’histoire a - malheureusement - conduit les Juifs à une vigilance que les autres minorités n’ont pas encore atteinte, mais qu’elles atteindront. Elles sont en bonne voie.
Je ne crois pas qu’il y ait recrudescence du racisme ou de l’antisémitisme et, peut-être, à la lecture des chiffres, pouvons-nous même affirmer l’inverse.
Nous assistons en revanche à l’augmentation en gravité des actes de violence racistes et antisémites exécutés par des minorités agissantes inspirées, motivées et parfois contrôlées par des représentants de l’intégrisme (le plus souvent religieux) qui détournent les victimes de l’indispensable combat contre leurs véritables agresseurs en les enfermant dans le communautarisme.
A ce propos, je fais une parenthèse. Je voudrais établir une fondamentale différence entre la communauté et le communautarisme qui en est une déviance terrible.
Quoi de plus normal que d’intégrer une communauté qui, partageant les mêmes joies, les mêmes peines, les mêmes soucis, les mêmes revendications, les mêmes espoirs et souvent un langage commun, saura vous comprendre, vous soutenir, vous enrichir ? Dès lors que cette communauté s’ouvre à l’autre, libère la parole, échappe aux gourous, se transcende et sait échanger avec les autres communautés.
Finalement, c’est sous cette forme que se construisent une cité, une nation, la France, l’Europe.
En revanche, si au nom d’un intégrisme, religieux ou philosophique, cette communauté se referme sur elle-même, elle crée toutes les conditions de la haine des autres, la peur, le racisme et le sexisme, le refus d’échanger, de s’éduquer, de se comprendre. C’est cela, le communautarisme ; ces attitudes engendrent, selon moi, la recrudescence des actes de violence sexiste, raciste et antisémite.
Bien sûr, on comprend aisément l’attrait du communautarisme pour certains responsables politiques. La fracture entre les humains reste évidemment bien plus sociale que « raciale » et le racisme devient un outil de division, parmi d’autres utilisés par ceux qui détiennent le pouvoir.
On assiste aussi à une volonté politique, par exemple à travers le projet sarkozyen avorté de parrainage des enfants de la Shoah, de projeter le racisme sous les projecteurs de l’actualité. C’est de la bêtise. Un effet de manches de plus. Une opération irréalisable et, surtout, terriblement dangereuse car à l’inverse de son objectif annoncé, elle aurait renforcé le mal vivre ensemble, encouragé davantage là encore le communautarisme.
Je comprends moins bien que le MRAP (qui par ailleurs effectue un bon travail pour lutter au cas par cas contre les discriminations et la ségrégation), pratique cette politique, dès qu’il s’agit du racisme anti arabo-musulman. Il tend à confondre la défense de l’individu victime de racisme avec la défense de la religion islamiste devenue incritiquable, voire même interdite de citation historique, sous peine d’être accusé d’islamophobie.
Du coup, puisque le communautarisme crée toutes les conditions pour que, sous d’autres formes, avec de nouvelles victimes et de nouveaux bourreaux, rejaillissent racisme, xénophobie, et violence, il ouvre à court terme la voie à l’escalade de la haine réciproque entre les victimes. Au nom de l’antiracisme, un comble !
Je cite dans mon livre, entre autre (au chapitre traitant des actes racistes et antisémites à l’école) le cas d’enfants victimes de la ségrégation, devenus à leur tour coupables d’un acte antisémite et voyou, et pourtant défendus, pour cet acte, par l’avocat du MRAP !!!
En outre, et cette attitude ajoute au communautarisme, le MRAP se laisse entraîner par le conflit Israélo-palestinien, prétexte à renforcer un antiracisme choisi. Lorsque par exemple il a exigé la réintégration du sous-préfet Guigue mis à pied par la ministre de l’intérieur pour avoir tenu des propos antisémites et, affirmé que des snipers israéliens tiraient sur des fillettes à la sortie des écoles. Il a pareillement rédigé un communiqué pour condamner la fusillade (8 morts) dans une école religieuse israélienne mais conclut sur le fait qu’il faut protéger les Palestiniens ; alors qu’à mon sens il convenait d’insister pour la nécessaire signature d’un traité de paix entre les deux parties et, dans l’attente, de protéger pareillement Palestiniens et Israéliens.
Avec « La Paix Maintenant », je critique la politique israélienne et je soutiens le peuple palestinien, sans tomber dans ces travers qui alimentent, selon moi, l’antisémitisme.
C’est le MRAP de 1949 directement issu de la résistance au statut des Juifs de Pétain, (mon livre retrace la genèse du M.R.A.P.) qui a changé en 1978 son nom « Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et pour la Paix » en « Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples » afin de favoriser la venue en son sein des travailleurs algériens victimes d’un épouvantable racisme. C’est ce MRAP-là, qui a obtenu en 1972 une loi française spécifique contre le Racisme. C’est ce MRAP-là, que je veux retrouver, intransigeant sur ses fondamentaux, pour mener, aux côtés de SOS Racisme, Ni putes ni soumises, la LICRA, la Ligue des droits de l’homme, le CRAN et j’en passe, le combat contre toutes les ségrégations sans préférence communautariste. Pas celui de Mouloud Aounit qui justifie le voile et la nourriture hallal à l’école, suggère une loi contre le blasphème, multiplie les procès contre les journalistes, les caricaturistes, les professeurs d’histoire, les témoins d’actes antisémites dans des défilés qu’il co-organise...
Le MRAP porte une responsabilité certaine dans la crise du mouvement de lutte contre le racisme et l’antisémitisme de la France aujourd’hui d’autant plus importante que le MRAP constitue une grande organisation antiraciste à la parole écoutée.
Mais là encore, permettez-moi de distinguer : d’une part les adhérents qui, sur le terrain, militent sans compter, jour après jour, pour défendre les victimes d’actes racistes ou d’appels à la haine raciale, et d’autre part la direction nationale qui poursuit sa politique communautariste. Est-ce un hasard si 30% des délégués au dernier congrès du MRAP ont refusé de siéger (aucune de leurs suggestions n’avaient été retenue, malgré les promesses, au cours des précédentes mandatures) et finalement mis en place la coordination « MRAP reconstruction » ?
Pour conclure, je poserai une question en tentant d’y répondre. Le brassage des cultures, des religions et des origines tel qu’il se développe en France porte-il des germes d’optimisme pour l’avenir ?
Tout dépendra de nous. Le brassage des cultures et des origines, oui, mais certainement pas en forçant un gamin à vivre comme vivait son grand-père dans son pays d’origine. Oui, mais en renforçant la culture, en admettant l’autre tel qu’il est et non comme nous voudrions qu’il soit ; en insistant sur le respect mutuel.
Le brassage des religions, c’est autre chose. La difficulté actuelle provient du fait que, à l’inverse des multiples immigrations antérieures indifférentes à la notion de religion (puisque tous pratiquaient la même, à l’exception des Juifs que la nation n’a précisément intégrés que depuis Napoléon et qui prouvent à chaque occasion qu’ils en sont heureux et reconnaissants), les nouveaux immigrés apportent avec eux l’Islam, religion respectable en soi, mais aussi quelques individus qui, refusant les lois républicaines et remettant en cause les principes de 1905 sur la laïcité, se révèlent dangereux pour l’avenir de la République. Ceux qui composent cette minorité agissante militent, et pas toujours de façon pacifique, pour une République française islamiste en France. Pour une gouvernance islamiste dans le monde.
Dans ces conditions, je ne peux croire au brassage des religions. Chaque fois que la religion s’est mêlée de politique, elle a provoqué un bain de sang. On nous vend la religion avec cet idéal « Aimez-vous les uns les autres », mais chaque prêtre, imam, rabbin ou autre idéologue vous assure que n’existe qu’un seul Dieu, le sien, qu’une idée valable, la sienne.
Ma religion - j’ai été baptisé deux fois et avec les meilleures intentions du monde, dans deux religions différentes, sans que l’on ait demandé mon avis -, c’est le respect de l’autre, la tolérance absolue de la foi de l’autre ; tout l’inverse de l’extrémisme.