Valère Staraselski : Vous venez de publier avec Georges Aillaud la collection complète de ces deux ces journaux sous l’Occupation. Qu’est ce qui vous a poussé à le faire ?
François Eychart : Une des raisons réside dans l’intérêt exceptionnel de ces deux journaux clandestins du fait de la masse des informations qu’ils présentent. Il y a 19 numéros des Lettres françaises et 17 des Etoiles, c’est-à-dire finalement assez peu et pourtant l’impression ressentie à leur lecture est celle d’une très grande richesse. Jusque-là Les Lettres françaises n’étaient accessibles qu’aux historiens qui pouvaient les lire à la Bibliothèque nationale au contraire des Etoiles pour lesquelles, curieusement, il n’existe pas de collection complète à la Nationale. Cette édition qui donne Les Etoiles, apporte donc beaucoup, non seulement au grand public, mais aussi aux spécialistes de cette période.
VS : Dans votre présentation vous revenez sur les conditions qui président à la naissance des deux journaux.
FE : C’est un élément essentiel qui permet d’éclairer la démarche des fondateurs. Il faut bien comprendre qu’un acte de cette nature (Jacques Decour, Politzer et Solomon ne seront pas arrêtés et fusillés à cause des Lettres françaises mais pour d’autres activités de résistance) n’est pas le fait d’une soudaine inspiration. Les choses viennent de loin. La création des Lettres françaises prolonge une attitude politique qui passe par le soutien à l’Espagne républicaine et au Front populaire, par le rejet de Munich puis de la politique de Daladier et de Reynaud. Le pacte germano soviétique, la répression anticommuniste, la défaite de 1940 n’ont pas effrayé Jacques Decour, Politzer et Salomon. Ils sont des intellectuels communistes connus qui ont déjà à leur actif, si l’on peut dire, la parution de L’Université libre et de La Pensée libre publiées en accord avec la direction du PCF et grâce à son aide matérielle. Mais avec Les Lettres françaises un pas important est franchi. Aragon est venu du midi plaider pour une large ouverture à des gens de divers horizons. Il a une grande expérience de la contrebande, ayant publié de nombreux poèmes qui sont à la limite de ce que les censeurs de Vichy peuvent supporter. Avec Les Lettres françaises d’abord puis Les Etoiles qui suivront, quelques mois après en zone sud, un pas important est franchi dans le combat clandestin contre l’occupant et Vichy. Le dispositif de résistance que le parti communiste a lancé se trouve alors doté d’un pôle intellectuel actif et influent.
VS : Pourquoi ne paraissent-elles qu’en 1942 ?
FE : Parce qu’il faut un certain temps pour que la nécessité de publications de cette nature apparaisse. Puis tout prend du temps. Quand Decour est arrêté il faut plusieurs mois à Claude Morgan, son successeur, pour renouer des fils entre les rédacteurs. Mais les choses sont lancées au niveau politique en mai-juin 1941.
VS : Qu’est-ce qui caractérise ces deux publications dans leur action de résistance ?
FE : Bien qu’elles soient réalisées par des écrivains qui sont pour une large part communistes, ce ne sont pas des publications communistes au sens strict. Sauf peut-être pour l’occupant. Si Claude Morgan est communiste, Paulhan ou Sartre ne le sont pas. De plus il y a entre Les Lettres françaises et Les Etoiles des différences de tonalité que Georges Aillaud a très bien mises en évidence. Bien sûr, on peut dire que Les Lettres françaises correspondent à la sensibilité des intellectuels qui vivent en zone occupée et qui souffrent de deux oppression : celle de Vichy et celle de l’armée d’occupation, tandis qu’en zone sud, jusqu’à l’arrivée de l’armée allemande, on n’a à supporter que la seule oppression de Vichy. Mais cela est insuffisant. Il faut voir dans la tonalité différente des Etoiles le doigté personnel d’Aragon qui est pour beaucoup dans leur contenu. Sur cette question je renvoie à la comparaison précise des thèmes et des articles que donne Georges Aillaud.
Sur le fond ces deux publications contribuent à faire participer les Français à la lutte concrète contre l’occupant et Vichy. Elles dénoncent leurs innombrables exactions, elles dénoncent ceux des intellectuels (Céline, Drieu, Rebatet, Brasillach et consort) qui les soutiennent et les palinodies d’autres petits soutiens à Vichy qui les excusent. En fait ils ont été nombreux ceux qui ont joué au jeu profitable de « Je ne vois rien, je ne m’occupe que de littérature. » Les Lettres françaises et les Etoiles combattent pour la culture française, menacée de disparition, étant entendu que cette culture ne peut avoir d’existence que si elle participe du combat contre l’oppression et pour une France meilleure. Politiquement, socialement meilleure. Cette attitude renvoie chacun à sa responsabilité. Contre une politique de soutien ouvert ou déguisé à la barbarie, il a été possible de rassembler de nombreux intellectuels qui furent l’honneur de la France. C’est une leçon toujours d’actualité et c’est sans doute la raison profonde pour laquelle Georges Aillaud et moi nous sommes attachés à faire revivre ces textes.
Les Lettres françaises et les Etoiles dans la clandestinité (1942-1944), Editions Cherche-Midi