L’an dernier je vous présentais un lieu « à part » du festival off d’Avignon, le Théâtre des Doms, vitrine de la création en Belgique francophone. Cette année, repassons en France avec la région Champagne–Ardenne qui occupe depuis une quinzaine d’années la « Caserne des Pompiers », rue de la Carreterie. Enfin, l’ancienne caserne. Rencontre avec Bruno Désert, chargé de mission "Arts de la scène" à l’Orcca [1]. Jacques Barbarin.
Bruno Désert. La région Champagne-Ardenne est une région rurale, sa densité est moins de la moitié de la moyenne nationale, et cela se ressent sur le nombre de théâtres qui sont sur notre territoire. Il est important pour les élus de notre région que les compagnies implantées qui présentent des spectacles, qui dynamisent notre territoire ne soient pas handicapées par le fait d’y vivre pour leur développement professionnel. Cela a été une motivation de la région au soutien de ces compagnies en offrant à quelques-unes unes la possibilité de jouer chaque année en Avignon. Nous avons fait suite à une démarche initiée par les compagnies. Certaines sont venues à la Caserne dans les années 95 pour y jouer. Il y avait un principe de mutualisation, de partage de la gestion des espaces, ce n’était pas cinq compagnies les unes à coté des autres. Maintenant il y a des subventions, des aides, une machinerie qui permet à tout le monde de travailler dans des conditions professionnelles… Malgré tout nous gardons des principes de mutualisation, des aspects de la gestion du lieu continuent d’être gérés collégialement par les compagnies.
Il y a quand même, pour une région rurale, trois grands pôles en matière de spectacle vivant : la Comédie de Reims, centre dramatique national [2], l’Institut International de la Marionnette à Charleville-Mézières, et le C.N.AC, Centre National des Arts du Cirque, à Chalons en Champagne, unique établissement public d’enseignement des arts du cirque en Europe.
Le théâtre est très présent mais c’est vrai que nous mettons maintenant l’accent sur les langages marionnettes et cirque. Le théâtre continue d’avoir une place majoritaire, au moins de 50% dans les programmations. La Comédie de Reims a joué un rôle ans le développement du théâtre sur notre territoire. Nous avons également le festival mondial de la Marionnette à Charleville, Les Furies, festival de théâtre de rue à Chalons. Des richesses dont nous sommes très fiers et sur lesquelles nous souhaitons capitaliser pour renforcer chez les habitants de Champagne-Ardenne et à l’extérieur le fait que cette région est une terre de cirque et de marionnettes.
D’autres régions ont essayé de s’installer en Avignon mais je pense que vous êtes la plus pérenne.
A ma connaissance nous sommes la plus ancienne, la première qui ait investi un lieu, cela fait une quinzaine d’années. Cela a permis une reconnaissance parce qu’il y a une sélection des compagnies qui viennent jouer ici. Les gens savent que, lorsqu’ils viennent à la Caserne, ils ne vont pas forcement aimer tous les spectacles parce qu’il y a une part de subjectivité, que nous pouvons nous tromper aussi, amener une compagnie qui n’est pas prête mais globalement il y a une qualité qui s’est installé.
Ainsi, cette année, j’ai été plus qu’impressionné par La solitude dans les champs de coton de Koltès. La mise en scène (Marine Mane) en traitant l’espace en quadrifrontal, en quelque sorte comme un ring, inclut acteurs et spectateurs dans une même dramaturgie. Il y a les deux acteurs (Clément Cresson et Fabien Coubertin) qui par leurs dits, leur engagement, nous font vibrer l’art poétique de l’auteur. Ils seraient comme deux duettistes qui, aux cours de leur partition, s’échangeraient leurs instruments. Comment s’effectuent les sélections des compagnies présentées en Avignon ?
La sélection est arbitrée en dernier ressort par le bureau de l’ORCCA. Nous faisons une présélection à l’aide d’un comité de professionnels de la région : directeurs de théâtres, responsables de l’Institut de la marionnette, le CNAC est invité. Un ensemble de professionnels se réunit sur la bas de candidatures faites par les compagnies qui nous explique pourquoi elles veulent venir, pourquoi c’est important dans leur développement. Ces critères nous permettent d’établir une « short list » avec des compagnies qui fassent l’objet d’une reconnaissance de la part des programmateurs régionaux. C’est important parce que nous nous disons qu’une compagnie qui n’a pas cette reconnaissance ne réussira pas à percer parmi les 1160 spectacles proposés dans le off. Nous sommes aussi très attentifs à ce que les compagnies aient une démarche de préparation et de suivi de l’opération. Souvent, les résultats des premiers contacts qui se font ici c’est deux ans, trois ans après. Nous croisons aussi des compagnies confirmées avec des compagnies plus jeunes. Cette année 3 compagnies viennent ici pour la première fois [3]. Et il y a une présence – quand on le peut- du cirque et de la marionnette : il n’y a pas toujours beaucoup de propositions chaque année et nous avons pour le cirque des contraintes technique assez fortes.
Le fait, pour toutes les compagnies, de venir d’un même « territoire » doit les ressouder et leur donner confiance en elles-mêmes.
En tant qu’artistes, selon la terre où l’on est implanté, on est parfois un peu isolé : les compagnies ardennaises, ou de Haute Marne chez nous peuvent être relativement seules et Avignon est l’occasion de se rencontrer avec d’autres, de partager quelque chose… le principe de mutualisation que nous avons adopté fait que toutes les compagnies voit les spectacles des autres – même si ce n’est pas imposé. Parfois on retrouve deux ans plus tard dans telle production d’une compagnie rémoise un interprète troyen, par exemple. Nous avons ces croisements là qui pour nous sont importants car encore une fois nous sommes une région rurale.
Il n’y a pas que de la programmation de spectacle à la Caserne, il y a des rencontres.
Chaque année nous avons un débat professionnel, ouvert à tout public intéressé mais qui rassemble en particulier les compagnies présentes à la Caserne, des diffuseurs, nos élus. Cela leur permet de rencontrer les acteurs de terrain dans un cadre différent de l’année et pas dans le cadre d’un rendez-vous mais d’une manière un peu plus collégiale.. Nous sommes aussi partenaire des CEMEA [4] pour l’opération « Lycéens en Avignon ». La région met des moyens pour permettre à 70 lycéens, et pas que des options théâtre – on essaie d’avoir une diversité culturelle et sociale – de venir voir non seulement des spectacles du in mais aussi des spectacles programmés dans notre lieu.
Chaque année votre hall d’accueil sert de lieu d’exposition.
Cette année c’est une exposition qui a été produite par le C.N.A.C à l’occasion de ses 25 ans en 2011 qui parle des aspects artistiques mais aussi pédagogiques et il y a de très beaux visuels qu’on ne peut pas voir ailleurs.
Pour l’avenir ?
Je pense que nous pouvons améliorer la présence des professionnels dans notre lieu. Nous sommes aussi sur une réflexion de partenariat avec la région Midi-Pyrénées pour éventuellement, sur un principe d’échange, pouvoir être présent à l’île Piot [5] et qu’ils présentent un spectacle chez nous. Si l’an prochain nous avons un gros spectacle de cirque, il faut que l’on travaille avec d’autres. Nous essayons de nous renouveler et de nous adapter en permanence parce que c’est nécessaire.
Propos recueillis par Jacques Barbarin
[1] Office Régional Culturel de Champagne-Ardenne
[2] Je me rappelle dans ce lieu un de mes plus beaux souvenirs de théâtre, le Stabat Mater Furiosa, de Jean-Paul Siméon, interprété par Gisèle Torterolo, mis en scène par Christian Schiaretti
[3] En 2012 la « Caserne » présentait 6 compagnies
[4] Centres d’Entraînement aux Méthodes d’Education Active
[5] Ile sur le Rhône où la région Midi-Pyrénées présente des spectacles de cirque