Cet article fait suite à « Le judaïsme contre la femme » et précède « L’islam contre la femme. »
2 - Le christianisme contre la femme
Mais comme l’Église est soumise au Christ, ainsi les femmes doivent l’être en tout à leur mari.
Éphésiens, V, 24.
Commençons par écarter un argument qui revient souvent sous la plume de ceux qui pourfendent le christianisme : le fameux Concile de Mâcon. Cet argument se retrouve à la fois sur les sites des libres penseurs et sur ceux des musulmans. Il ne résiste pas à la critique et les historiens ont montré qu’il s’agit d’une légende.
La légende tout d’abord. À l’occasion d’un Concile qui s’est tenu à Mâcon au VIe siècle, les évêques auraient longuement discuté au cours de leurs assemblées pour savoir si oui ou non la femme avait une âme. Il paraît que dans un synode provincial (585) puis à l’occasion du Concile de Mâcon (586), la discussion a porté sur des termes latins (homo) ou allemand (Mensch) pour savoir s’il fallait les entendre dans le sens large d’« être humain » ou de les restreindre au sexe masculin. Un certain Alcidalus Valeus aurait bien posé la question dans un livre dont Michel Onfray donne le titre : Dissertation paradoxale où l’on essaie de prouver que les femmes ne sont pas des créatures humaines. Mais Onfray ne donne pas de références et je n’ai pas réussi à trouver e titre sur le catalogue de la BN.
Cette question n’a pas été abordée à l’occasion des séances du Concile. Cela n’empêche pas le retour régulier du thème. Mais comment l’Église catholique aurait-elle pu réduire la femme à l’animalité alors qu’elle affirme que Marie est la mère de Dieu ?
Il n’est donc pas vrai que, ainsi qu’elle l’a fait pour les Amérindiens, l’Église ait axé sa réflexion sur la question de savoir si la femme avait une âme ou non. En revanche, si l’on peut dire, elle a constamment affirmé son infériorité. Laissons parler les textes.
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Le Nouveau Testament traduit un incontestable progrès dans la manière d’envisager la condition féminine, avec certaines limites cependant. Un passage célèbre de l’épître Aux Galates (III, 28) lui accorde ce qui peut apparaître comme une égalité en droit : « Il n’y a pas de Juifs ni de Grecs ; il n’y a pas d’esclave ni d’homme libre ; il n’y a pas de mâle ni de femelle ; car vous êtes un dans le Christ Jésus. » D’autres traduisent « Il n’y a pas d’homme et de femme ».
Au moins à l’intérieur du christianisme (« vous êtes un dans le Christ Jésus »), l’égalité est affirmée sans ambages. Le Nouveau Testament, cependant, contient des éléments multiples. l’ensemble des textes résonne d’une façon beaucoup moins « moderne ».
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Jésus est nettement moins macho que Paul. De temps à autre, ses frères juifs lui posent des questions, qui sont autant de pièges. « A-t-on le droit de renvoyer sa femme pour n’importe quel motif ? », la réponse est non, sauf en cas de prostitution : « Je vous dis que quiconque renvoie sa femme, sauf cas de prostitution, et se marie avec une autre est adultère. ». Ses interlocuteurs lui faisant remarquer que, dans ce cas, il vaut mieux ne pas se marier, Jésus leur répond d’une manière qui laisse perplexe :
Il leur dit : Tous ne comprennent pas cette parole, mais à ceux à qui c’est donné.
Car il est des eunuques qui sont nés tels du ventre de leur mère, il est des eunuques qui ont été faits tels par les hommes, et il est des eunuques qui se sont faits eux-mêmes eunuques à cause du règne des Cieux. Comprenne qui peut comprendre (Matthieu, XIX, 11-12).
À un autre moment, Jésus est interrogé sur l’adultère. Doit-on, comme dans les temps anciens lapider la femme adultère ? Il leur fait cette belle réponse « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre », ce qui est une manière de condamner les anciens principes.
Les choses sont très différentes avec Paul :
[…] et soumis les uns et les autres dans la crainte du Christ.
Que les femmes le soient à leur mari, comme au Seigneur ;
car le mari est le chef de la femme comme le Christ est le chef de l’Église, lui le sauveur du corps.
Mais comme l’Église est soumise au Christ, qu’ainsi les femmes le soient aussi en tout à leur mari (Éphésiens, V, 21-24).
On notera au début « dans la crainte du Christ » qui rappelle un peu le Lévitique. La même affirmation de dépendance figure dans l’épître Aux Colossiens (III, 18), mais il est demandé aux hommes d’aimer leurs femmes et de ne pas être amers avec elles. L’épître Aux Corinthiens n’est pas mal dans son genre :
« Je veux que vous sachiez que le Christ est le chef de tout homme, et l’homme le chef de la femme, et Dieu le chef du Christ.
Tout homme qui prie ou prophétise le chef couvert fait honte à son chef.
Toute femme qui prie ou prophétise le chef non voilé fait honte à son chef, elle est comme une femme rasée.
Si une femme ne se voile pas, qu’on la tonde aussi et, s’il est honteux pour une femme d’être tondue ou rasée, qu’elle se voile.
Car l’homme ne doit pas se couvrir le chef puisqu’il est l’image de la gloire de Dieu, mais la femme est la gloire de l’homme,
Car l’homme ne vient pas de la femme, mais la femme de l’homme,
car l’homme n’a pas été créé pour la femme, mais la femme pour l’homme » (Corinthiens, XI, 3-9)
Dans les assemblées, la femme n’a qu’un droit, celui de se taire :
« Que les femmes se taisent dans les assemblées. Il ne leur est pas permis de parler, mais qu’elles soient soumises comme dit la Loi.
Si elles veulent apprendre quelque chose qu’elles questionnent leurs maris à la maison, car il est honteux pour une femme de parler dans une assemblée » (Corinthiens, XIV, 34-35).
Les propos sont du même ordre en d’autres endroits :
« Que la femme apprenne en silence, en toute soumission ;
et je ne permets pas à la femme d’enseigner ni de prendre autorité sur l’homme, mais de garder le silence.
Car Adam a été fait le premier, et Ève ensuite ;
et ce n’est pas Adam qui a été séduit, mais la femme qui, une fois séduite, en est venue à transgresser.
Mais elles seront sauvées par la maternité, si elles demeurent dans la foi, la charité et la sanctification, avec du bon sens » (Timothée, II, 12-15).
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Oser affirmer, après lecture de ces textes, que Paul marque une date dans l’histoire du féminisme a de quoi surprendre. Mais, comme le dit un proverbe anglais, le diable peut citer la Bible pour arriver à ses fins. C’est ce que fait René Rémond. Admirez le travail :
« Il ne faut sans doute pas s’arrêter à certains passages des épîtres de Paul dont historiens et exégètes s’accordent aujourd’hui à nuancer ou même à nier le caractère apparemment misogyne. Dans certains cas, l’apôtre est tributaire des mentalités et du contexte de son temps. Mais l’important est qu’il érige au rang de principe l’égalité au regard de Dieu entre l’homme et la femme et que, dans sa mission d’évangélisation, il ait effectivement travaillé avec des femmes comme Lydie ou Priscille. »
« Dans certains cas », « dans certains passages » : quand ça l’arrange, René Rémond décide que Paul « est tributaire des mentalités et du contexte de son temps ». En conséquence, il ne faut pas accorder trop d’importance à ce qu’il raconte. En d’autres endroits, par contre, ce qu’il dit est parole d’Évangile.
Et que peut vouloir dire « […] s’accordent […] à nier le caractère apparemment misogyne ». Ce « apparemment » à l’air de vouloir atténuer, mais la logique en souffre car si l’on nie une apparence de misogynie, c’est affirmer la misogynie. Bref, Paul transmet la parole de Dieu quand il est féministe et n’est qu’un reflet de la société de production de son temps quand il ne l’est pas. Soyons sérieux. Si le Nouveau Testament est loin du Lévitique, Paul n’est tout de même pas un précurseur de Simone de Beauvoir. La femme est peut-être l’égale de l’homme en Jésus-Christ, mais son rôle est bien délimité : elle obéit, elle se tait, porte le voile à l’occasion, et engendre.
• « A-t-on le droit de renvoyer… » : Matthieu, XIX, 3 pour la question et 9 pour la réponse.
• REMOND René, Le Christianisme en accusation, Desclée de Brouwer, 2000, p. 138.