Le nom d’Alexandre Marius Jacob (1879 – 1954) ne vous dit rien ? Pourtant, vous le connaissez tous sous le nom d’Arsène Lupin. Maurice Leblanc a toujours nié semble-t-il s’être inspiré du célèbre cambrioleur sans doute pour ne pas être associé au mouvement anarchiste. Car Alexandre Marius Jacob est une figure de l’anarchisme et le vol n’est pas pour lui un moyen de s’enrichir mais une régulation sociale dans une société très inégalitaire. A l’époque, l’anarchisme est favorable à l’action illégale.
Alexandre Marius Jacob, libertaire, voleur particulièrement ingénieux, écrivain, orateur brillant à l’humour délicieux, nous a laissé quelques textes passionnants que vous trouverez dans cet ouvrage intitulé Travailleurs de la nuit, nom de la bande qu’il avait organisée et qui réussit des coups spectaculaires mettant à mal la gendarmerie, la police et la justice souvent ridiculisées.
Ce qui nous intéresse ici est moins le côté Lupin, certes savoureux, que la force politique et sociale de son projet et de sa parole, toujours aussi actuelle.
« Le propre du militaire, c’est de tuer, de tuer encore, de tuer toujours. Comme on le répète bien des fois, l’armée n’est autre chose que l’école du crime. A l’atelier on apprend l’ajustage, la serrurerie, la cordonnerie, la couture ; à l’usine, l’art de tisser, de fondre, de forger ; au chantier, à maçonner, à charpenter, à terrasser ; aux champs enfin, à labourer, semer, moissonner, récolter, vendanger : dans tous les lieux on apprend à travailler, à produire, à se rendre utile, mais à la caserne on n’apprend qu’à assassiner. »
« Si les animaux avaient la parole, nous entendrions l’âne parler paille, le cheval avoine, le porc pomme de terre au même titre, pour la même raison pour mieux dire, que le militaire parle consigne pour tuer, le prêtre religion pour tromper, le geôlier règlement pour torturer, le policier et le magistrat loi : l’un pour arrêter, l’autre pour condamner. Et les uns et les autres, ils en vivent, ils s’en repaissent. Le rentier, le propriétaire, le commerçant, l’industriel, tout capitaliste enfin parlent aussi loi, pour voler. Que cette poignée de fripons aiment, chérissent la loi, qu’ils s’en gargarisent la bouche avec emphase et béatitude, cela s’explique, cela est dans l’ordre de votre société pourrie, puisque la loi est faite par eux et pour eux. Elle est le râtelier des uns ou le bouclier des autres. »
« Je comprends que les uns aient besoin de la loi pour opprimer les autres. La loi est leur sauvegarde. Mais pour moi qui ne suis ni maître ni valet, ni fripon ni dupe, mais un révolté qui sait voir clair dans les ténébreux rouages de votre société, pour moi, dis-je, la loi n’est qu’une peste, qu’un choléra ; et bien loin de la respecter, je la combats comme l’on combat la peste, comme l’on combat le choléra : par tous les moyens, même les plus violents. »
Finalement arrêté en 1903, il rejoint le bagne en 1906. Il restera dix-huit ans au bagne quand l’espérance de vie y est de cinq années. Il étudiera le droit en détention afin d’aider ses compagnons d’infortune et entretiendra une correspondance avec Albert Londres. Cette correspondance nourrira la campagne orchestrée par Albert Londres pour la fermeture du bagne. Revenu en métropole suite à l’action d’Albert Londres, il est libéré en 1927. Il reprendra son combat libertaire mais abandonnera les cambriolages jusqu’à son suicide en 1954.
Outre ce livre, L’insomniaque a publié deux autres ouvrages d’Alexandre Marius Jacob, Extermination à la française - lettres de prison et du bagne à sa mère en 2000 et Écrits en 2004.
En 2016, une bande dessinée très réussie, de Vincent et Gaël Henry intitulée Alexandre Jacob, journal d’un anarchiste révolutionnaire est publiée aux Editions Sarbacanne.
En 2016 également, Olivier Durie a réalisé un excellent docu-fiction de 90 minutes, Marius Alexandre Jacob et les travailleurs de la nuit, diffusé par Les Films grain de sable.
Ce qui frappe à la lecture des écrits de Marius Jacob ce sont, derrière la dimension hautement romanesque, la pertinence et l’actualité de ses analyses, la justesse de ses conclusions.
« Je n’ai ni feu, ni lieu, ni âge, ni profession. Je suis vagabond, né à Partout, chef-lieu Nulle-part, département de la Terre. »