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Lettre à un ami communiste
Par Michel Straußeisen

Cher Vincent,

Dans ton dernier courrier, tu me faisais part de tes « réserves » (le mot est faible) quant à la politique menée par le PCF au cours des dernières années, pour ne pas dire des dernières décennies. Comme beaucoup de mes amis et camarades, la plupart issus de familles communistes de la première heure, tu ne te reconnais plus dans cette politique, et de moins en moins dans ce qu’est devenu le parti, sans pour autant faire partie de ceux que l’on pourrait désigner comme les « nostalgiques ». C’est, je crois, que le désarroi que beaucoup de communistes ressentent aujourd’hui a des causes plus profondes qu’un simple changement de ligne politique. Il s’agit en fait des fondements mêmes du mouvement communiste, c’est-à-dire des valeurs fondamentales qui ne sont plus publiquement affirmées et défendues. Dès lors, à partir du moment où la « lutte des classes » ou encore le « marxisme historique » lui-même semblent être bannis des outils conceptuels et des discours, autour de quoi les communistes se rassembleraient-ils ? Les déclarations de bonnes intentions et la « compassion » ( !) envers les plus démunis de nos concitoyens ne suffisent certainement pas. Pire, les atermoiements de dirigeants politiques et syndicaux tendent à faire penser que, au mieux, ils ont choisi de désamorcer certains mouvements populaires. Comme tu me le disais récemment, leur discours semblent se résumer à « Il est urgent d’attendre ». Tous les deux nous sommes convaincus du contraire : il est urgent d’agir. Et je peux te dire que c’est un sentiment très largement majoritaire dans ce qu’on appelle la base, dont je suis. Il suffit pour s’en rendre compte de discuter non seulement avec les camarades, mais avec tous ceux qui se retrouvent régulièrement dans la rue, et plus encore avec tous ceux qui doivent affronter chaque jour sur leurs lieux de travail les coups de boutoirs de l’ultra-libéralisme. Car un autre sentiment largement répandu est la défiance grandissante envers les dirigeants des partis (y compris le PCF) et des syndicats (y compris la CGT).

Début 2006, après le congrès du PCF et avant l’élection présidentielle Sarkozy-Royal, j’écrivais ces lignes en conclusion d’un petit fascicule, Une République à reconstruire [1] :

La gauche française est aujourd’hui à un tournant historique. De sa capacité à se réorganiser dépendront pour une grande part dans les décennies à venir les orientations majeures de notre société.
Le PCF a là une chance à saisir et une responsabilité à assumer, mais sa marge de manœuvre est des plus étroites. D’autant que ce rôle central du PCF au sein de la gauche ne saurait reposer que sur un projet de société crédible et rassembleur, et que sur ce plan-là à peine avons-nous eu droit à quelques balbutiements...

Les Français ont plus que jamais besoin de croire en l’avenir, de croire en des possibles. Ce qui se traduit sur le plan politique par l’urgente nécessité de leur proposer non pas un énième plan de gestion de « la crise » générée par le libéralisme mais, enfin, un projet de société qui puisse servir de support à leurs aspirations légitimes.
Le Congrès du PCF s’est achevé [2]. Loin de s’affirmer comme une force politique capable de structurer la gauche non libérale, le PCF se positionne dans le « suivisme » électoral[Suivisme consistant en quelque sorte à accompagner des dynamiques sociales latentes, « censées se construire et se nourrir d’elles-mêmes » - Pierre Blotin, Communisme français : l’heure de vérité, 2006], allant même jusqu’à qualifier sa prochaine candidature aux présidentielles comme « une candidature de témoignage »… N’est-ce pas là l’aveu de l’absence d’une ligne politique claire basée sur un projet de société concret et bien étayé ? Le « rassemblement » attendu risque bien de se transformer en un « ramassis » peu crédible d’idées éparses… Comme le dit si bien Pierre Blotin : « Pas d’action politique efficace sans volontarisme »  [3] Ce que je compléterais par : pas de volontarisme sans projet clairement établi.
Si d’ici les présidentielles, puis les législatives, le PCF maintient cette position, peut-être y gagnera-t-il quelques sièges de députés, mais il est à craindre qu’il porte la responsabilité historique de l’enterrement de la gauche en France. Car il ne fait aucun doute que sans le rôle moteur que le PCF pourrait jouer à gauche, le schéma politique calqué sur le modèle libéral, essentiellement celui des États-Unis, serait entériné en France. Après 2007, nous aurions alors un paysage politique à l’américaine, avec une vraie droite ultra-libérale et un centre qui passerait pour « plus progressiste », le PCF et l’extrême gauche étant réduits à la portion congrue. Les seuls contre-pouvoirs populaires ne seraient plus politiques mais s’exprimeraient, comme aux États-Unis, dans des regroupements d’opinions, écologiques, alter-mondialistes ou autres.
En somme, le PCF semble en proie à sa « maladie infantile ». Et une maladie infantile sur un vieux corps a une ampleur parfois mortelle. Mais d’ici 2007, peut-être y aura-t-il un sursaut de conscience…

Aujourd’hui, après que les dirigeants du PCF se soient depuis trois ans continuellement fourvoyés en se lançant dans des alliances désastreuses et politiquement contre-productives, en refusant d’affirmer plus haut et plus fort que jamais les valeurs qui ont fait la force du mouvement communiste (au point que l’on a même vu des élections ou le terme « communiste » était proscrit par le PCF !), et surtout devant l’incapacité de ces mêmes dirigeants de tirer les leçons des échecs répétés et de se remettre en question, que pourrais-je te dire ? Les dernières élections européennes ont hélas confirmé l’analyse que je faisais il y a trois ans et nous avons : « … un paysage politique à l’américaine, avec une vraie droite ultra-libérale et un centre qui [passe] pour « plus progressiste », le PCF et l’extrême gauche étant réduits à la portion congrue. »

La « surprise » créée par les écologistes ne change rien de fondamental à cette analyse, puisque Cohn-Bendit s’inscrit clairement dans le projet libéral européen, qu’il revendique et défend. Le « centre » dont je parlais n’est pas constitué uniquement par le PS de 2006, mais aussi désormais par le mouvement écologiste qui, tout comme le PS, n’est pas « la droite de la gauche » mais bien « la gauche de la droite »…

Ce qu’il faut voir dans ces élections c’est que, qu’il s’agisse de l’UMP (parti politique) ou des écologistes (mouvement d’opinion), les électeurs ont voté pour ceux qui affirment et défendent des systèmes de valeurs. Ce que le PCF ne fait plus depuis longtemps, hormis dans des réunions internes aux ambiances crépusculaires. Je n’ai pas vu au cours de ces dernières années s’affirmer un « projet de société crédible et rassembleur » susceptible de soutenir une « action politique efficace ». Je n’ai vu que des atermoiements, des louvoiements, du suivisme électoral (avec çà et là des alliances contre nature, avec le Modem par exemple), et surtout un flou artistique largement répandu sur les valeurs fondamentales du communisme. Et pour couronner le tout, des luttes internes pour des petits pouvoirs de parti qui finissent par être jetées en pâture sur la voie publique : par exemple, l’expulsion récente de communistes du 14e par la direction locale du PCF, ou l’expulsion de sans-papiers de la Bourse du Travail par la CGT (je précise qu’il ne s’agit pas là de savoir qui a tort ou raison, mais simplement de donner des illustrations d’erreurs politiques déplorables).

Car ce qui se passe dans le PCF est malheureusement et inévitablement relayé dans les instances syndicales. Et aujourd’hui où sur le terrain les nécessités et les urgences des luttes se font de plus en plus pressantes et nécessaires, certains dirigeants ont oublié un des principes majeurs de l’action politique et syndicale (et qu’on ne vienne pas me dire que ce n’est pas la même chose, surtout à l’heure actuelle) : avant tout, écouter la base, ceux qui sont sur le terrain, confrontés au jour le jour à la réalité désastreuse de l’ultra-libéralisme en marche. Trop souvent désormais, les « instructions » émanant de ces instances laissent les militants de terrain perplexes, voire désorientés, au point que trop souvent les actions sur le terrain doivent être décidées contre l’avis des « instances »…

A l’heure actuelle, deux conceptions s’opposent à gauche, c’est-à-dire deux projets de société : soit on accepte le capitalisme (libéralisme ou ultra-libéralisme) comme une réalité inéluctable, auquel cas la seule attitude réaliste est de composer pour en atténuer les effets (et on est alors dans une perspective sociale-démocrate qui n’ose pas dire son nom) ; soit on continue d’affirmer que d’autres projets de société sont possibles et que le capitalisme n’a rien de « naturel » (mais alors on ne peut faire l’économie ni de la construction d’un projet crédible, ni de l’affirmation sans ambiguïté des valeurs défendues). Et c’est bien ce qui divise actuellement certains syndicats, division dont les effets sur les travailleurs sont ravageurs.

Je suis allé voir le site de tes amis, qui ont pour objectif de reconstruire un PCF. L’entreprise est louable, mais je te dirai sans ambages que je pense la démarche vouée à l’échec. On ne reconstruira rien à l’identique.
Souvent au cours des discussions que j’ai pu avoir avec des camarades, il m’a été objecté que l’on ne pouvait compter « sur l’homme providentiel ». Ni sur la femme providentielle d’ailleurs, car Marie-George Buffet, quelles que soient ses qualités, ne saurait jouer ce rôle. Pourtant je persiste à penser que la seule et sans doute dernière chance pour le mouvement communiste, qui garde malgré tout une capacité d’influence non négligeable, même si elle ne se traduit pas dans les urnes, est de s’affirmer clairement en tant que tel, et de rassembler autour des valeurs qui lui sont propres. Mais comme je le disais en 2006, rassembler ce n’est pas constituer un ramassis de volontés plus ou moins bonnes.
Rassembler, c’est avant tout construire.

Et je suis convaincu que ce rassemblement n’aura de chance de se produire, au moins au départ et étant donné l’état actuel du PCF, qu’autour d’une personnalité forte, et non pas autour d’instances de plus en plus perçues comme « politiquement correctes », c’est-à-dire intégrées à la farce électorale. Un des leitmotiv de la rue est « Tu votes, tu votes pas, c’est pareil ». Ce qui traduit à la fois la défiance des électeurs vis-à-vis de représentants qui finissent souvent par les trahir pour des raisons de politiques de partis, mais aussi une impuissance désespérante à pouvoir changer les choses.

Comme je l’écrivais en 2006, toujours dans le même petit opuscule, Une République à reconstruire :
_ … le problème a des causes multiples, et on ne saurait l’aborder en ne prenant qu’un seul bout de la lorgnette. Vouloir résoudre ce problème en ne considérant que les dimensions socio-économiques est voué à l’échec, si dans le même temps on ne propose pas un véritable projet de société [4]. Dire que la conscience sociale et politique dépend des conditions d’existence serait nier les enseignements de l’Histoire. Les conditions de vie étaient bien plus difficiles à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, lorsque les grands mouvements ouvriers se sont constitués pour répondre aux effets de la « Révolution industrielle ». En fait, la dépolitisation dans les banlieues va de pair avec la déresponsabilisation.

Le problème ne sera résolu ni seulement « par le bas », ni seulement « par le haut ».

Il ne servirait à rien par exemple de vouloir responsabiliser en développant une conscience citoyenne et politique si par ailleurs les élus n’accomplissent pas les tâches pour lesquelles ils ont été mandatés. Non plus si on ne propose pas un projet de société d’envergure nationale et européenne, un projet qui ne soit ni l’asservissement à des logiques commerciales (comme la Constitution européenne que l’on nous a présentée), ni un repliement nationaliste frileux et mortifère, ou encore l’application dogmatique de théories politiques obsolètes. Ce projet pourrait se baser sur les valeurs qui ont fondé notre République, valeurs qui ont été perverties au cours des dernières décennies par la grande majorité de notre classe politique.

Il ne servirait à rien non plus de vouloir responsabiliser sans s’attaquer aux conditions socio-économiques. Certes, je l’ai dit, ces conditions ne sont pas à elles seules la solution au problème, mais elles en sont l’un des facteurs. On ne saurait bâtir sa maison sur des sables mouvants...
On ne résoudra rien si on ne s’attaque pas à l’ensemble des causes. Toutes les institutions de la République sont concernées :
-  les institutions politiques et syndicales qui ne jouent plus depuis longtemps leur rôle de courroies de transmission ;
-  les institutions économiques qui ne jouent plus leur rôle régulateur face aux appétits insatiables des actionnaires ;
-  les institutions sociales qui se contentent de colmater les brèches ;
-  les institutions judiciaires qui tantôt oublient que le premier rôle des lois est de protéger la population, tantôt renforcent les inégalités ;
-  l’enseignement stérilisé par une machinerie administrative étouffante quand ce n’est pas par des considérations socio-psychologisantes ;
-  les institutions sanitaires soumises à la loi du profit, etc.

Mais une fois encore, ces réformes générales et en profondeur ne peuvent s’intégrer que dans un projet de société qui soit crédible, c’est-à-dire basé sur des valeurs partagées par tous et établi pour le bien de tous.
La tâche est immense : tout est à reconstruire...

En résumé, cher Vincent, je répèterai ceci :
Pas d’action politique efficace sans volontarisme, pas de volontarisme sans projet clairement établi.

Non seulement nous en sommes loin, mais nous nous en éloignons encore…

Pour ma part je continue à œuvrer sur le terrain, dans les luttes quotidiennes et à mon modeste niveau. En espérant que l’on finira par écouter à nouveau la base…

Amitié,
Michel Straußeisen

2 juillet 2009

Notes :

[1Michel Strausseisen, Une République à reconstruire, 2006

[2Précision : il ne s’agit pas du congrès du PCF de 2008

[3Pierre Blotin, opus cité

[4Bernard Giusti, « Un nouveau projet social », Vendémiaire n°15, octobre 2004


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