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Marguerite Buffard-Flavien, l’engagement total. Un livre de Christian Langeois
Par Rachel Prizac

Derrière ce visage émacié, ces grandes billes noires et ce regard décidé : Marguerite Buffard, intellectuelle communiste, résistante, dénoncée et arrêtée le 10 juin 1944 avant de se défenestrer pour échapper aux interrogatoires de la milice aux ordres de Paul Touvier. Un parcours exemplaire à plus d’un titre, qui jusqu’à maintenant n’avait jamais fait l’objet d’une biographie. Seule une rue de Troyes, près du lycée où elle enseigna, porte son nom.

Alors qu’est-ce qui pousse un retraité d’EDF, Christian Langeois, à se lancer dans un travail de recherches de plus de trois ans pour rendre sa dignité à une militante communiste exclue, que les livres d’histoire avaient oubliée ? La curiosité bien sûr, une passion pour l’histoire aussi, mais surtout la conviction que cette femme méritait mieux. Née dans le Jura en 1912, fille d’enseignants, élève modèle, Marguerite est nourrie au biberon de la « méritocratie républicaine ». Après une Hypokhâgne à Versailles, bien qu’on l’en dissuade, elle choisit de se présenter à l’agrégation masculine de philosophie, promotion de 1935 dont Jacques Vernant et Paul Ricœur sortent en tête. Nommée successivement à Colmar, Caen, puis Troyes, elle est tiraillée entre ses exigences d’enseignante et son engagement total au parti communiste puis dans la Résistance. « La beauté du monde est une grande chose, confesse-t-elle, les fruits de la culture aussi. Ce sont des dieux auxquels il serait doux de consacrer sa vie, s’il n’y avait pas tant d’injustice parmi les hommes . »
Déterminée, forte en tête, érudite et charismatique, elle dérange rapidement la direction du parti communiste, pris en étau par le pacte germano-soviétique. Révoquée en 1939 en raison de son militantisme, elle est en outre exclue du parti, qui la suspecte de trotskisme. Elle n’en renonce pas pour autant à son engagement communiste dans la Résistance : il en faut plus pour lui faire baisser les yeux. Cette force de caractère hors du commun, le lecteur la découvre au travers de ces correspondances avec son mari Jean, également militant communiste. « Dans mes rêveries, lui écrit-il, toujours, je trouvais une femme comme toi, venue du monde des lettres. Quoi, une intellectuelle se rencontrer avec un paysan, un plouc ? ... Plus j’y retourne et plus je suis sûr maintenant que j’ai dû inconsciemment t’aimer dès le premier jour. »

Internée en 1942 au camp de femmes de Monts, près de Tours, elle participe à l’une des rares révoltes contre la mauvaise nourriture et enseigne à des jeunes femmes incarcérées, parmi lesquelles Odette Niles qui préface la biographie. Transférée à Mérignac, près de Bordeaux, Marguerite s’évade en décembre 1943 et rejoint la Résistance à Lyon, où elle est dénoncée. Le 13 juin 1944, vraisemblablement par crainte de parler sous la torture et de trahir ses camarades, elle se défenestre du troisième étage du siège de la milice, rue Sainte-Hélène. C’est finalement en écho qu’un autre militant, Christian Langeois, lui redonne toute sa place dans l’historiographie de la Résistance plus de 65 ans après les événements.

Né en 1948, originaire du Calvados, Christian Langeois intègre EDF-GDF à 18 ans. Militant syndical, il est aujourd’hui retraité. La biographie de Marguerite Buffard est son premier livre. Les droits d’auteurs de cette édition sont reversés à la Fédération nationale des internés résistants patriotes (FNDRIP).

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser au parcours de Marguerite Buffard ?

Christian Langeois. J’ai toujours été sensible à l’Histoire. En poursuivant les recherches généalogiques que mon père avait engagées, j’ai plongé dans les archives du Calvados, où je suis tombé par hasard sur un dossier Marguerite Buffard, une professeur de philosophie, secrétaire de la fédération du PCF en 1937, résistante, morte en 1944, ce que je ne savais pas. J’ai été étonné de ne jamais avoir entendu parler d’elle, et en partant d’une simple curiosité, j’ai mis la main dans l’engrenage et trouvé une documentation importante. J’ai eu ce sentiment d’être devant un parcours exceptionnel, avec l’envie de comprendre ce silence autour d’elle après la guerre. Alors tout syndicaliste que j’étais, j’ai passé les portes d’un autre monde, celui de la recherche, et commencé à remonter le fil de sa vie. Au bout de six mois, j’ai pu rencontrer sa belle-sœur qui, comme dans les films, m’avait préparé une belle boîte en fer, pleines d’archives et de correspondances. À partir de là, j’ai su que j’allais faire quelque chose de l’histoire de Marguerite.

Selon vous, pour quelles raisons, malgré son parcours exemplaire, Marguerite Buffard est restée si longtemps absente de l’historiographie de la Résistance ?

Incontestablement, parce que c’était une femme. Leur rôle a été minoré à la Libération. Quant à ses parents, ils ont gardé leur douleur pour eux, n’ont pas cherché de reconnaissance quelconque. Ils lui ont fait réintégrer l’Éducation nationale à titre posthume et ont reversé l’argent à une élève méritante. Par ailleurs, ses déboires avec la direction du parti communiste n’ont sans doute pas aidé.

Comment s’est réalisé, pour vous qui n’aviez pas d’expérience en la matière, le passage à l’écriture ?

J’ai tenté d’être le plus rigoureux possible, me suis formé dans des colloques, à la lecture des ouvrages essentiels, même si je n’ai pas la prétention d’avoir fait un travail d’historien. Je ne voulais rien laisser au hasard, rien extrapoler. Il y a finalement peu de moi dans ce livre, si ce n’est l’écho qu’a eu chez moi le parcours de cette résistante exemplaire.

Critique.

Marguerite Buffard-Flavien, figure centrale de la Résistance
Bien que le colonel Rol-Tanguy déclara dès la Libération que « sans elles, la moitié de notre travail eût été impossible », le rôle des femmes est encore minimisé dans l’historiographie de la Résistance française. Le grand intérêt de cette biographie est qu’elle parvient à plonger le lecteur au cœur d’un parcours exemplaire, celui d’une intellectuelle antifasciste, Marguerite Buffard, symbolique du militantisme communiste des années 1930-1940, de ses forces comme de ses contradictions. Et loin de se cantonner au seul parcours de celle qui choisit de mettre fin à sa vie en 1944 pour ne pas parler sous la torture, Christian Langeois l’inscrit dans l’histoire des luttes du XXe siècle qu’il dépeint dans leurs dimensions politiques et humaines. De nombreux documents inédits viennent enrichir la connaissance de la vie dans les camps. Rigoureuse, nourrie d’une correspondance magnifique, la biographie dressée par ce syndicaliste fraîchement retraité redonne à Marguerite Buffard, figure centrale de la Résistance, toute la place qui devait légitimement lui revenir après tant de temps.

Textes parus sur CCAS-Info, octobre 2009.

Marguerite, de Christian Langeois. Éditions du Cherche Midi. 151 pages.

A lire également sur le site, un entretien avec Christian Langeois sur son livre Henri Krasuki, 1924, 2003.


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