Chère Martine,
La situation du pays est grave. C’est par ces mots, que nous ne pouvons que partager, que débute la lettre que tu viens de nous adresser. Mais à ce constat, qui impose effectivement à toutes les forces de gauche des responsabilités particulières, j’en ajoute d’emblée un second : si la situation du pays est grave, celle de la gauche l’est aussi. Et il y a des raisons à l’une et l’autre de ces situations.
La crise que connaissent notre pays, l’Europe, le monde n’est pas une crise de plus. Elle est, à nos yeux, une crise globale du système capitaliste mondialisé. Après avoir construit, ces dernières décennies, la domination renforcée des multinationales et des marchés financiers, et la croissance exponentielle des profits sur l’écrasement des revenus salariaux, sur la mise en concurrence systématique des salariés, des peuples et des territoires, sur le recul des protections sociales et des politiques publiques au profit de la marchandisation accrue de toutes les activités humaines et des ressources naturelles, les partisans de ce système cherchent aujourd’hui une sortie de crise dont les salariés paieraient l’addition. C’est inhumain, profondément injuste et totalement inefficace. On ne sortira plus de telles crises sans s’attaquer à la domination de ces logiques. La crise écologique et climatique est d’ailleurs le résultat des ces politiques de profit court-termistes, poussant à un productivisme aveugle, ignorant la nécessité d’apporter des réponses durables aux besoins humains, dans le respect des populations et des écosystèmes. L’hégémonie capitaliste sur le monde a de surcroît conduit à l’amplification d’une très grave crise démocratique qui met à mal à tous les niveaux la légitimité de choix imposés aux populations contre leurs intérêts et ceux de l’avenir de la planète. C’est particulièrement vrai de la construction européenne actuelle, qui bafouant le « non » des Français en 2005 et exigeant aujourd’hui des Irlandais de revenir sur leur vote, s’acharne à mettre en œuvre le traité de Lisbonne et ses orientations libérales.
La France est entrée dans cette crise alors même que la droite au pouvoir, avec à sa tête Nicolas Sarkozy, accélérait la mise en œuvre de toutes les politiques libérales dont la crise manifeste l’échec cinglant. La France et son peuple subissent ainsi, avec la crise capitaliste et la politique de Nicolas Sarkozy, une double peine. Si dans ces conditions le programme de l’UMP était mené à son terme, ce serait catastrophique pour l’avenir de notre pays. La France en sortirait défigurée.
Conscient du danger, notre peuple a clairement manifesté ces derniers mois son opposition à la poursuite de cette politique. Mais sans alternative politique à la hauteur, cette opposition populaire risque d’être condamnée à l’impuissance. Et la droite ne manquerait pas d’exploiter plus encore le désarroi que cela nourrirait.
Il y a donc effectivement urgence à relever le défi de la construction d’une alternative politique à gauche. Mais il ne suffira pas pour cela de lancer des appels miracles au rassemblement, quand à l’évidence l’état actuel de la gauche renvoie à de très sérieux débats sur l’analyse de la crise et sur la nature des ruptures à opérer pour en sortir. Tu invites à défricher les voies d’une « nouvelle démarche de rassemblement à gauche ». Cela passe par une confrontation transparente, associant le débat public populaire, sur ces choix. La gauche est divisée et elle doit s’unir. Oui, mille fois oui, mais seule la clarté des choix et du projet à mettre en œuvre peut l’unir. Cela vaut à nos yeux pour toutes les échéances, sociales ou électorales.
C’est d’ailleurs cette double ambition, pour nous indissociable, de la clarté du projet et du rassemblement le plus large jusqu’à constituer une majorité populaire et politique, qui nous conduits à vouloir poursuivre et élargir la démarche du Front de gauche que nous avons initié avec de premiers succès lors de l’élection européenne.
Autant le dire franchement, si des mobilisations sociales ou des batailles parlementaires nous permettent de nous retrouver, et jamais nous ne refuserons les possibles fronts d’action contre la politique de la droite, nous ne percevons pas à l’heure qu’il est la clarté nécessaire dans les positions du Parti socialiste sur l’Europe, le financement des retraites, la réforme des institutions, pour ne prendre que ces exemples d’actualité. Et que dire de la répétition d’alliances locales avec le Modem, en totale contradiction avec les intentions affichées dans ta lettre.
L’état d’esprit constructif qui nous anime face aux dangers de la situation actuelle me conduit évidemment à accepter la proposition de rencontre que tu formules. La situation du pays et celle de la gauche sont suffisamment graves pour ne négliger aucune démarche de dialogue entre forces de gauche. Mais je le répète, c’est un échange sérieux que nous voulons, sur le fond des choix devant lequel se trouve la gauche, et non d’une démarche de façade ou de replâtrage."
Marie-George Buffet, Secrétaire nationale du PCF
Paris, le 15 juillet 2009
La situation du pays est grave. Il est traversé par une crise profonde. Profonde dans l’ampleur des dégâts sur les vies humaines : la montée du chômage, l’explosion des inégalités et de la précarité sont terribles. Profonde aussi dans sa signification. Cette crise est celle d’un système qui impose la rentabilité à court terme, l’accumulation de biens matériels et d’argent comme principes majeurs de la société. C’est aussi un modèle de société qui oppose les hommes et les territoires et détruit la planète.
Pourtant la droite, aujourd’hui emmenée par Nicolas Sarkozy qui fait sienne cette idéologie néolibérale, n’a pas été sanctionnée dans les urnes.
En cela, le résultat des dernières élections est un nouvel échec pour les forces de progrès, même si les résultats individuels ont été contrastés. Nous réunissons plus de voix que la droite mais nous apparaissons collectivement comme les perdants du scrutin du 7 juin. Et si certains partis de gauche se détachent à telle ou telle élection, nous sommes incapables de transformer notre force collective en alternative politique à la droite.
Pour gagner, nous devons surmonter les divisions de nos mouvements et ou de nos partis. Nous devons changer. Nous devons, d’une seule voix, convaincre les Français que nous incarnons, ensemble, une alternative solide et durable pour bâtir un autre modèle de développement, un nouveau modèle de société, un nouveau monde.
Comme beaucoup d’entre vous, j’ai appelé de mes vœux une nouvelle démarche de rassemblement à gauche. Une « Maison commune » ouverte à tous les chemins que nous pouvons emprunter ensemble. Le Parti Socialiste aborde cette démarche sans préalable. Les formes que doit prendre cette démarche sont à inventer collectivement.
Bien sûr, nos partis et nos mouvements représentent tous une histoire particulière, des valeurs et des projets qui leur donnent une légitimité politique. Les enjeux changent, les solutions de demain ne sont pas celles d’hier, mais les valeurs et les combats menés demeurent notre socle commun.
Le Parti Socialiste est né des rapports entre capital et travail dans l’entreprise. Il a su unir, à force de luttes, l’aspiration à la justice sociale et l’attachement aux libertés. Il a apporté une puissante contribution à l’établissement de la protection sociale. Ces combats sont plus que jamais d’actualité. Mais, ils sont perdus s’ils ne prennent pas compte les nouveaux impératifs de notre société : la mondialisation, la société numérique, les chocs démographiques et écologiques.
Ces évolutions - pensées et régulées - peuvent être positives. Aujourd’hui, elles sont créatrices de nouvelles formes d’inégalités. Et si l’écologie politique a reçu un écho favorable lors des dernières élections, c’est aussi parce que les hommes comprennent l’urgence environnementale. Ils perçoivent ces enjeux environnementaux comme une nouvelle ligne de fracture entre ceux qui peuvent résister, se protéger et ceux qui, déjà, subissent la dégradation de la planète. Ils veulent qu’on pense aux générations futures.
Tous ensemble, nous devons relever les nouveaux défis de cette société exsangue. Nous aspirons à une société post-productiviste fondée sur une croissance sélective, sobre, socialement responsable et post-matérialiste portant le bien être, l’émancipation de chacun, le soin et le respect de l’autre.
Nous pouvons répondre aux aspirations des Français si nous sommes résolus à mettre en commun nos analyses, à partager nos perspectives et à proposer des solutions pour préparer un autre avenir.
Cela suppose que nous acceptions tous de réévaluer nos certitudes pour dégager ensemble les bases d’une politique alternative. Le Parti socialiste y est prêt.
Clairement, notre objectif est de participer à l’élaboration d’un projet commun de la gauche en 2012, mais aussi de mettre en œuvre une stratégie politique électorale commune pour l’emporter. Nous pensons que la « maison commune » doit accueillir tous les citoyens qui se reconnaissent dans cette démarche de changement.
Nous avons déjà eu les uns et les autres des contacts informels. Je vous propose que nous entrions de plain-pied collectivement dans cette démarche. N’oublions pas que c’est toujours en étant unis que nous avons connus nos plus belles victoires au service de nos concitoyens, en 1936, en 1981 et en 1997, mais aussi récemment nos plus belles victoires locales.
Nous devons accorder à ce dialogue tout le sérieux nécessaire en nous donnant le temps qu’il faut, mais sans en perdre : pour nous, notre rassemblement doit s’engager dès les élections régionales. Elles sont un enjeu majeur pour la gauche, le Parti socialiste est prêt à travailler dans chaque région avec l’ensemble des partis de gauche et les écologistes, sur un projet commun et une réflexion commune sur notre stratégie électorale.
Au-delà, ce rassemblement pourrait se décliner sous la forme d’initiatives communes, par exemple sur la question de l’emploi à la rentrée -qui va être sans doute la plus difficile jamais connue particulièrement pour les 650 000 sortants du système scolaire- ou à l’automne sur le climat dans la perspective du sommet de Copenhague. Nous pourrions aussi décider du principe de ripostes communes aux atteintes contre les droits sociaux, et les libertés publiques ou locales.
Les hommes et les femmes que nous représentons réclament l’unité. Ils ont raison et la crise qu’ils subissent nous crée plus que jamais des obligations. Nous devons marquer notre volonté de changer la donne politique. Pour inventer et porter ensemble un autre modèle de société, fondé sur nos valeurs de progrès, de justice sociale, de solidarité et de préservation des équilibres écologiques et des libertés collectives. Voilà pourquoi je vous propose de nous rencontrer au plus tôt selon les formes dont nous pourrons convenir.
Je sais le chemin du rassemblement exigeant mais je m’y engage pleine d’espoir et d’optimisme, consciente de notre responsabilité historique et de l’attente populaire.
Paris, le 7 juillet 2009