Aujourd'hui, nous sommes le :
Page d'accueil » Arts et littérature » Poésie » Mathieu Bénézet, un ange dans le ciel de Bagneux
Version imprimable de cet article Version imprimable
Mathieu Bénézet, un ange dans le ciel de Bagneux
L’écrivain Philippe de La Genardière relate dans un texte solaire la perte que fut pour lui la disparition, le vendredi 12 juillet, de son ami, l’écrivain et poète Mathieu Bénézet.

Il est mort le poète, il s’appelait Mathieu Bénézet, et je ne sais pas prier, il est mort, et avec lui s’en est allée un peu de notre âme, à nous qui rêvions, qui rêvons encore de faire plier le capitalisme, il est mort le poète, qui, parlant de lui, disait M. B., c’était il y a quelques jours, mais je ne sais pas prier, alors que le ciel au-dessus de ma tête vient de se déchirer, j’entends des voix là-haut dans le ciel, que la colère fait gronder, j’entends quelqu’un dire, sa voix m’est familière, et elle l’était à toi aussi, Mathieu, je l’entends dire, et elle est en colère, qu’avez-vous fait des poètes, hommes de cette terre qui devaient répandre la ­lumière dans l’univers, qu’avez-vous fait des anges que j’avais envoyés sur la terre, dit cette voix, vous les avez traités de saltimbanques pour vous en débarrasser, moi je leur avais donné les mots pour vous élever, et l’oreille avec les mots, j’avais pensé qu’avec eux vous feriez de votre planète l’astre chantant du cosmos, qu’avez-vous fait de la poésie, hommes sans foi ni oreilles, qui ne connaissez que les mots de l’économie et du profit, ces choses sans avenir et sans âme, qui n’ont pas même réussi à se donner un corps.

Il est mort le poète, il ­s’appelait, M. B., alias ­Mathieu Bas-Vignons, né à Perpignan en 1946, et comme sorti du fumier de la guerre, il s’appelait, moi je m’appelle ton ami, mais aujourd’hui je suis en deuil, il s’appelait, au moins il faisait beau lorsqu’on t’a enterré, c’était au cimetière de ­Bagneux, à la périphérie de Paris, là où n’ont jamais mis les pieds les hommes de la ­finance, qui n’ont pas de corps, et qui pourtant nous gouvernent, il faudrait les chasser, disait-on déjà en 1946, lorsque tu es né, il faut les ­assassiner, disait le poète, le ­surréaliste que tu étais, et que la société a sacrifié sur l’autel du bonheur économique, au moins il y avait du soleil ce jour-là, à Bagneux, il faisait même très beau en ce ­matin de juillet, une vaporeuse ­lumière enveloppait ce coin de ­banlieue, avec ses trains, ses usines et ses hommes dont tu avais voulu porter, avec tes mots de poète, le poids qui ­pesait sur leurs épaules quand tu es né, après la guerre, et peut-être sous cette même ­lumière, qui donnait aux vieux arbres de Bagneux la noblesse de ceux qui sont pauvres et qui après la catastrophe ­reprirent le flambeau des grandes idées que les âmes généreuses ont trahies.

Oui, il faisait beau en ce matin de juillet deux mille treize, nous étions quelques-uns à avoir improvisé ce cortège en hommage à la poésie, qui mourait encore un peu plus avec toi, des fidèles qui n’avaient que le livre pour viatique, tu es mort, Mathieu, et nous t’avons accompagné, c’était par une triste et belle matinée de juillet, nous étions sans voix, sans prière et sans Dieu, mais quand nous nous sommes retrouvés autour de ton cercueil, dans cette allée ombragée, quand nous avons fait cercle autour de toi, et alors qu’on venait de faire entendre ta voix, que quelques-uns parmi nous avaient lu à haute voix sous le ciel de ­Bagneux quelques vers de l’océan jusqu’à toi, soudain tu as fait tomber la lumière sur nous, et je crois que nous avons su prier alors, un court instant, et d’une imploration toute nouvelle.

Or voici que tu nous es apparu, Mathieu, mais certes pas en majesté, tu n’étais pas un dieu, et nous savions tous à quel point tu avais été homme, et un homme déchiré, et pourtant, si nous avons su nous recueillir alors, et t’adresser notre supplique pour ne pas, nous les orphelins de la psalmodie, je veux dire, pour que tes poèmes ne finissent pas, et avec eux la poésie, c’est parce que tu avais, que tu as su pousser le rêve de la poésie si loin qu’elle t’a ­finalement rappelé à elle, oui, à cette heure-là, et en ce beau matin de juillet, à Bagneux, et avant qu’on ne te rende à la terre, tu nous es ­apparu comme un ange, Mathieu, ça n’a pas duré longtemps, mais après il y a eu comme une grande paix sur la terre, et ce coin de banlieue, après, nous avons très doucement et chacun jeté une rose sur ton cercueil, il y en a qui ont pleuré, c’était le 17 juillet à Bagneux, la poésie venait de perdre un des siens, après, de la terre a été répandue sur ton corps, le cortège s’est dispersé, quand j’ai tourné la tête en quittant les lieux à mon tour, quand je t’ai dit adieu, j’ai vu de nouveau, un très court instant, une lumière qui scintillait sous les vieux arbres du cimetière de Bagneux, puis quelque chose qui ressemblait à un poème écrit en grand dans le ciel, et j’ai aimé que tu sois devenu un ange, sans m’en étonner, je me suis senti protégé tout à coup – paix à ton âme, Mathieu, tu as fait de ta vie une ode à la poésie, c’est ton honneur, il te sera beaucoup pardonné.

Hommage de Philippe de La Genardière paru dans L’Humanité du 23 juillet 2013


Rechercher

Fil RSS

Pour suivre la vie de ce site, syndiquez ce flux RSS 2.0 (lisible dans n'importe quel lecteur de news au format XML/RSS).

S'inscrire à ce fil S'inscrire à ce fil