« Eaux troubles » se présente comme un recueil de nouvelles. La nouvelle est un court récit en prose, aujourd’hui, dont les caractéristiques sont de ne porter que sur un seul fait, l’absence de répit du lecteur, le faible nombre de personnages et un dénouement qui oblige le lecteur à réinterpréter la totalité de l’histoire.
Michel Baglin respecte bien la première caractéristique dans ses nouvelles. Les intrigues ne portent que sur un seul fait, plus ou moins complexe. Si, par exemple, dans Noël au bout du quai le fait est clairement circonscrit (Marinette va s’occuper de Julien, huit ans, qu’elle trouve « recroquevillé tout au bout du quai » - p 89 - un soir de réveillon), il est deux nouvelles où Michel Baglin mêle deux évènements vécus par le personnage principal à des mois, voire des années d’intervalle : je parle de Remous et de L’autre bout de la ligne. J’ai peut-être lu trop de livres, de récits, de nouvelles ou de je ne sais quoi, mais je m’interroge. Et ma remarque n’est que mineure ! Car l’essentiel est ailleurs… Le lecteur ne connaît pas de pause car l’auteur a le sens du suspens, les personnages sont réduits au minimum et la chute que maîtrise parfaitement Baglin amène le lecteur que je suis à réinterpréter l’histoire autrement…
L’intérêt de ces courts récits réside dans la façon dont Michel Baglin se sert de sa vie pour les écrire. Le lecteur attentif retrouvera donc des éléments qui sortent tout droit de l’intimité de l’auteur mais en évitant tout voyeurisme. Pour ne prendre que cet exemple, on peut affirmer que l’amour des trains tel qu’il est exprimé à la page 90 de Noël au bout du quai trouve son origine dans l’enfance de Michel Baglin. Faut-il le rappeler, Entre les lignes [1] raconte (entre autres choses) une enfance passée près des voies ferrées, la Lettre de Confranc [2] est l’histoire d’une gare abandonnée qui devient prétexte à revisiter l’histoire des XIXème et XXème siècles ? Ailleurs, dans ce recueil de nouvelles, c’est le journalisme qui est convoqué ou qui sert de toile de fond au récit (Remous, Le Lézard rouge…) : on se souvient alors que Baglin fut journaliste durant plus de trente ans… Quand ce n’est pas la vie personnelle de l’auteur qui sert, le lecteur retrouve avec plaisir des thèmes dans l’air du temps (la tricherie dans le sport, les catastrophes industrielles, l’écologie, les drames du Maghreb…) ; mais Michel Baglin n’est pas prisonnier d’un système, il sait nuancer son propos en tenant compte de l’actualité : « Alors pourquoi, depuis quelque temps, ses yeux s’étaient-il dessillés ? Parce que le Sahel où il avait conduit tant d’amoureux des déserts leur serait bientôt interdit par ces djihadistes qui récusaient la modernité et haïssaient l’étranger ? » (pp 149-150, En bout de course…). La lecture d’au Gué des Pèlerins fait penser à l’explosion du site AZF de Toulouse en 2001 qui fit 31 morts, 2500 blessés et d’importants dégâts matériels. Certes la nouvelle a été rédigée en 1989 soit douze ans avant l’accident ( ? ) d’AZF, certes dans Le Gué des Pèlerins il n’y a pas de victimes, mais ce texte fut écrit à Toulouse là où se trouve l’usine chimique AZF et le lecteur ne peut s’empêcher de faire le rapprochement. D’ailleurs Baglin situe plusieurs de ses nouvelles à Toulouse ou dans la région (Remous, L’infime clandestine, L’eau douce…) et l’on sent l’amour de l’auteur pour cette ville chargée d’histoire. À noter que Loupés russes fit l’objet d’une première publication en 2014 chez Rhubarbe...
On l’aura compris, Michel Baglin mobilise tout ce qui lui est personnel pour écrire mais sait faire œuvre originale empreinte d’un certain humour. Jamais les considérations personnelles ne prennent le dessus mais il ne renie rien de son humanisme.
Michel Baglin, « Eaux trouble ». Éditions Pétra, 196 pages, 16 €. En librairie ou sur le site www.editionspetra.fr.