Longtemps au XXe siècle, on a dit écriture au lieu de littérature. C’est que la langue littéraire elle-même ne se réduisait pas à témoigner mais à dire le réel en le découvrant. Comment ? En s’interrogeant sur elle-même et en se révolutionnant.
« Nulle histoire de la littérature ne saurait être juste, qui se contenterait d’enchaîner des écoles sans marquer la coupure qui met alors à nu un nouveau prophétisme : celui de l’écriture. « Changer la langue », mot mallarméen est concomitant de « Changer le monde », mot marxien » écrivait Roland Barthes en 1977. C’en est fini de cette modernité-là assure Forest qui, avec Rien n’est dit, dresse un riche et impressionnant tableau de la récente histoire de la modernité littéraire qui, débordant d’abord le champ esthétique, finira dans un champ clos, desséché, pour finalement céder la place au Marché, c’est-à-dire au Spectacle et à l’Académisme.
De la sorte, Philippe Forest constate que « depuis longtemps ce n’est plus l’écrivain qui fait scandale mais le scandale qui fait l’écrivain… C’est en faisant scandale que tout auteur espère accréditer la fiction qui lui permettra, aux yeux de l’opinion, de passer pour un authentique écrivain ».
Si « la littérature a désormais intégré les codes du Spectacle qui décident par avance de la forme qu’elle devra prendre », la déception léguée par les interprétations téléologiques des discours émancipatoires du siècle dernier n’y est pas pour rien.
Reste que pour Forest : « Rien, jamais, tout à fait, n’est dit ». Aragon pour désigner aussi bien la genèse que le moteur de toute modernité littéraire faisait sienne cette parole de Michel Foucault : « On a beau dire ce que l’on voit, ce que l’on voit ne loge jamais dans ce qu’on dit ». La modernité étant cette prise de conscience que le réel ça résiste.
Rien n’est dit,
Moderne après tout
Philippe Forest,
Seuil p 460, 23,50 euros