"L’accident de BP a cela de commun avec celui de Tchernobyl il y a trente ans qu’il somme les acteurs mondiaux du secteur de revoir profondément les conditions de la sûreté de leurs opérations."
Depuis deux mois, l’accident sur la plate-forme Deepwater Horizon au large du golfe du Mexique mobilise les médias du monde entier. Il nous rappelle, d’une part, notre dépendance par rapport aux hydrocarbures et, d’autre part, que le monde de l’énergie est un monde d’interdépendances, où tout événement local a des résonances globales.
Ne nous leurrons pas : pour remporter les défis énergétiques que nous avons devant nous -garantir la sécurité énergétique, préserver l’environnement et réduire la pauvreté énergétique -nous aurons besoin de toutes les énergies, y compris les énergies fossiles. Il est donc vital de s’assurer que toutes les énergies seront disponibles et acceptées par les populations. Ce dernier point est crucial. Sachons tirer les leçons du passé.
L’accident de BP a cela de commun avec celui de Tchernobyl il y a trente ans qu’il somme les acteurs mondiaux du secteur de revoir profondément les conditions de la sûreté de leurs opérations. Certes, la priorité est de réparer rapidement les dégâts et d’éviter que d’autres accidents du même type ne se reproduisent, notamment par un moratoire sur les forages en eaux profondes dans le golfe en attendant des réponses satisfaisantes aux interrogations légitimes. Toutefois, ces deux mesures ne suffiront ni à consolider durablement l’acceptabilité des plates-formes pétrolières dans le monde, ni à rassurer les populations sur la sûreté des autres installations énergétiques.
Si cette marée noire n’est pas la plus importante que le monde ait connue, c’est pourtant celle qui impactera le plus le secteur pétrolier à long terme en forçant les acteurs à redéfinir ensemble la conception, la pratique et le contrôle de la sûreté des procédures et des installations.
L’accident de BP est également comparable à celui de Tchernobyl dans la mesure où il crée de la solidarité entre les acteurs de l’industrie. La sûreté est devenue un enjeu et un bien communs qu’il faut apprendre à partager -une seule défaillance chez l’un pouvant provoquer un moratoire pour tous.
Après le traumatisme de 1986, l’industrie nucléaire s’est organisée pour garantir tout risque de façon solidaire. Elle a mis en place des principes et bonnes pratiques dont pourrait s’inspirer l’industrie pétrolière : en premier lieu, la redondance des systèmes indépendants de sûreté. Sur la plate-forme BP, il y avait bien plusieurs niveaux de sûreté, mais certainement pas suffisamment indépendants. Dans les centrales nucléaires, il existe un doublement, voire un quadruplement des systèmes indépendants de sûreté. Autre piste : une évaluation des systèmes par un tiers extérieur, de préférence un pair. Les « peer reviews » permettent une évaluation objective par des acteurs compétents, tout en limitant les risques de conflits d’intérêts puisque les pairs n’ont a priori aucun intérêt à se montrer conciliants.
Enfin, l’harmonisation des standards internationaux de sûreté. L’industrie aéronautique est un exemple à suivre en la matière. Cette mesure doit être encore approfondie dans l’industrie nucléaire.
Il ne peut y avoir d’énergie à deux vitesses sur le plan de la sûreté. La sûreté ne doit plus être discriminante, tributaire des exigences plus ou moins fortes des acteurs. Elle a naturellement un coût. Ainsi, en France, l’exigence croissante de sûreté a fortement augmenté les coûts des centrales nucléaires. Mais refuser d’en payer aujourd’hui le prix, ce serait décaler le problème et laisser une terrible dette aux générations futures qui devront réparer nos dégâts, payer des infrastructures pharaoniques pour garantir la sûreté d’installations vieillissantes et rembourser notre dette financière, en plus des autres dettes menaçant déjà leur niveau de vie futur… Il faut que des politiques publiques nationales justes et ambitieuses permettent de donner le « vrai prix » de l’énergie -intégrant tous les coûts, y compris ceux de la sûreté et du CO2, afin de stimuler l’innovation et de préparer la transition vers une économie sobre en émissions carbone. Finalement, cet accident peut constituer pour le monde de l’énergie un réveil salutaire, si toutefois il sait en tirer les leçons.
A mes yeux, il est urgent de se doter d’une véritable capacité de coordination et d’harmonisation internationale des critères de sûreté pour toutes les énergies, avec pour objectif de les partager en toute transparence et de les extraire ainsi du jeu concurrentiel.
Le Conseil mondial de l’énergie, que je préside, amorcera le dialogue entre tous les acteurs (industriels, gouvernementaux et experts) sur ce sujet et proposera de premières pistes pour mettre en oeuvre des solutions concrètes, dès son congrès triennal du 12 au 16 septembre à Montréal.
http://www.lesechos.fr/info/analyses/020662555248-nous-sommes-tous-des-petroliers.htm
Publié le 15 juillet 2010 dans le journal Les Echos
Pierre Gadonneix est Président d’honneur d’EDF et Président du Conseil mondial de l’énergie.