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Nuit d’hiver
Entretien avec Valère Staraselski

Avec Nuit d’hiver, Valère Staraselski signe un roman grave et beau sur un sujet difficile, la résilience.

Nuit d’hiver est votre cinquième roman, est-ce le plus autobiographique ?

Valère Staraselski : C’est ce qui se rapproche le plus de ce que j’ai vécu dans mon enfance. D’ailleurs, tous mes romans et nouvelles sont plus ou moins autobiographiques. Une histoire française l’était aussi, même si cela se déroule au XVIIIe siècle. Un homme inutile, c’est quand j’étais au chômage. Dans la folie d’une colère très juste, ces sont les années Mitterand vues par un jeune type de gauche engagé. Tout ce que j’écris, en général, a un rapport avec ce que je vis.

Alors, le petit Joseph Esperandieu du roman, c’est vous ?

V.S. : C’est moi sans doute, mais l’enfance de Joseph est plus douce. La mienne était bien pire. Si je l’avais écrite, les gens n’auraient pas voulu me croire, ce n’est pas un récit, c’est un roman, avec une part d’autobiographie, édulcorée. C’est ce que Boris Cyrulnik nomme la résilience, le sujet du livre, et non la maltraitance. Ca m’a fait du bien de l’écrire, mais en même temps, ça m’a rendu malade...

Comme Joseph, on vous a écarté très tôt de vos parents ?

V.S. : Mon père et ma mère se sont séparés. J’ai retrouvé mon père quand j’avais vingt-huit ans, et ma mère, psychotique, se trouvait en hôpital psychiatrique. Ma grande sœur a été gardée par mon père. Ma petite sœur et moi, nous avons échoué chez un oncle et une tante. Le juge, à l’époque, a fini par statuer pour que nous restions chez eux. Cela ne serait plus possible aujourd’hui, les enfants seraient confiés au père. Nous sommes tombés là et on n’a pas pu en bouger.

« Sournoise », la tante, et ses enfants légitimes, étaient aussi horribles que ça ?

V.S. : C’était la même fratrie que dans le livre. Sournoise ? Elle était ainsi, elle était méchante et perverse. Il y a des explications, elle avait ses propres enfants, mais ça rapportait de l’argent aussi de nous avoir. C’était d’abord pour cela qu’elle nous gardait, parce qu’il n’y avait pas d’amour, il y avait un rejet bien réel, définitif. Avant que je ne parvienne à comprendre qu’on puisse être tendre avec quelqu’un j’ai mis beaucoup de temps…

Comme Joseph, vous vous en êtes sorti par l’école, par la lecture. Et plus tard, lui par la musique et vous par l’écriture ?

V.S. : Moi je m’en suis sorti d’abord par l’amour de l’oncle, s’il ne m’avait pas aimé, je n’aurais pas pu vivre ni devenir ce que je suis. Il n’y a pas une nuit où je ne rêve de lui. Parce que c’était un type bien quand même. Ensuite, je m’en suis sorti par la rage et j’ai commencé à travailler très tôt. Effectivement, il y a eu l’école, le catéchisme aussi…. Après il y a eu le militantisme qui m’a sauvé, et la pratique de l’art. Non pas la musique mais l’écriture. Ici j’ai choisi la musique parce que c’est l’art, pour moi, le plus abouti, comme dit Heinrich Heine « Là où les mots manquent commence la musique ». C’est certainement l’art qui exprime le mieux l’émotion. J’ai choisi de faire de Joseph un pianiste parce que j’ai énormément d’admiration pour les musiciens, de la fascination même ! Pour en revenir au roman, au fil du temps, Joseph sait qu’il n’a pas d’autre choix que de se battre. On le voit s’imposer et devenir –paradoxalement- l’enfant préféré de l’oncle, celui qui lui ressemble le plus. Parce que l’oncle a perdu un enfant qui s’est fait écraser par une voiture et en fait, Joseph, c’est…. un enfant volé ! Joseph est arrivé juste après l’accident et l’oncle, terriblement touché par la mort de son fils, a reporté son amour sur Joseph.

Eprouvez-vous, malgré cette enfance douloureuse, une nostalgie pour les années 1960 ?

V.S. : Ah bien sûr, d’abord parce que les couches populaires étaient majoritaires ! Et la fraternité, la solidarité étaient majoritaires dans le pays. Maurice Chevalier qui a eu une enfance à la Dickens, déclarait : « Il faut du génie à un riche pour comprendre la pauvreté ! » Je n’ai pas la nostalgie de la pauvreté, mais celle des rapports de solidarité très forts qu’il pouvait y avoir entre les gens.
D’ailleurs à mon avis, qu’un film comme Bienvenue chez les Ch’tis soit devenu un tel phénomène de société annonce que les couches moyennes sont en train de se prolétariser. On a toujours la nostalgie de ses vertes années, même si elles sont très difficiles voire impossibles. Et moi, j’aimais bien le temps où c’était plutôt Jean Gabin et Fanfan la Tulipe que le trash et Vincent Delerm. Ca c’est sûr, je préférais ça, c’est générationnel.

Quel livre avez-vous en chantier actuellement ?

V.S. : Je travaille sur Un siècle de Vie Ouvrière. L’ouvrage relatera de façon chronologique l’histoire du journal qui aura cent ans en septembre 2009. J’aimerais écrire aussi un roman qui se passe dans le métro, véritable théâtre humain qui incarne pour moi la liberté.

Energies Syndicales, Novembre 2008


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