« Voici donc le récit de l’histoire d’un vaincu », nous prévient Cécile Obligi dans son ouvrage dont le titre reprend l’apostrophe que Büchner met dans la bouche de Danton s’adressant à Robespierre dans sa pièce La mort de Danton : « tu es d’une probité révoltante ».
Pour Cécile Obligi, « il est temps de revenir sur deux idées reçues si communément admises qu’oser les contester revient d’emblée à classer l’auteur le plus pacifique dans la catégorie des robespierrolâtres assoiffés de sang et de vengeance (…) : le 9 Thermidor est le coup d’arrêt porté à une dictature terroriste sanguinaire contrôlée par le Comité de salut public et à l’intérieur de ce Comité, principalement par Robespierre. La deuxième idée est très liée à la première : Robespierre était un tyran. »
Et d’ajouter : « Les gagnants du 9 Thermidor se sont entendus pour nommer un bouc émissaire, un homme leur permettant de s’exempter de leur responsabilité des heures noires de la Terreur. Pour cela la propagande démarre dès le 10 Thermidor. C’est une belle réussite puisqu’aujourd’hui la supercherie passe pour la vérité historique ». Les vainqueurs, et tout spécialement Barrère [1], confectionnent ainsi « une légende noire », nourries de fables [2] et d’interprétations psychologisantes à bon marché. Relevons que Babeuf apporta sa pierre à cette entreprise avec une brochure commandée par Fouché, là aussi pour se dédouaner de ses responsabilités, La guerre de Vendée et le système de dépopulation [3].
Précis et prudent dans ses interprétations, l’ouvrage cite de nombreux passages des discours [4] de Robespierre en présentant leur contexte. Les évènements majeurs du cours des premières années de la Révolution sont ainsi utilement rappelés.
Parmi ces interventions (contre le suffrage censitaire, sur les émeutes du pain, pour égalité des droits pour les juifs, contre l’esclavage, contre la peine de mort, etc ; mais rien sur les femmes relève Cécile Obligi), signalons celles contre la guerre, voulue par les Girondins. Robespierre est, selon Cécile Obligi pétri de l’idée que « déclencher une guerre ne peut servir qu’un seul objectif : renforcer le pouvoir exécutif dont il se méfie comme de la peste » : « la guerre est bonne pour les ambitieux, déclare-t-il, pour les agioteurs qui spéculent sur ces sortes d’évènements ; elle est bonne pour le ministre, dont elle couvre les opérations d’un voile sacré… ». Et Robespierre s’élève contre la guerre dans des termes qui résonnent encore aujourd’hui : « la plus extravagante idée qui puisse naître dans la tête d’un politique est de croire qu’il suffise à un peuple d’entrer à main armée chez un autre peuple pour lui faire adopter ses lois et sa constitution. Personne n’aime les missionnaires armés »
« Il est un autre aspect de la terreur sur lequel on s’étend rarement qui s’arrête progressivement à partir de fin juillet 1794 : les mesures sociales. Le maximum est supprimé, la gratuité et l’obligation de l’école également, la guerre de conquête prend un nouvel essor. La Révolution est reprise en main par la bourgeoisie, qui rétablit dès que possible le suffrage censitaire », conclut Cécile Obligi en rappelant la phrase de Boissy d’Anglas : « un pays gouverné par des propriétaires est dans l’ordre social ».
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[1] « Le plus incroyable est sans doute le rapport de Barrère, dès le 10 Thermidor, le même Barrère qui a été pendant des mois le porte-parole du Comité de salut public à la convention et qui l’a convaincue de voter des mesures dites terroristes » et qui déclare « un seul homme a manqué de déchirer la patrie »
[2] Lorant Deusch propage encore celle de Robespierre s’emparant de quelques poils d’Henri IV lors de la profanation de sa tombe
[3] Voir l’édition de La guerre de Vendée et le système de dépopulation, présentée et annotée par Reynald Secher et Jean-Joel Bregeon, qui font référence aux travaux de l’historien Louis Madelin. On peut lire dans la brochure de Babeuf : « Maximilien et son conseil avaient calculé qu’une vraie régénération de la France ne pouvait s’opérer qu’au moyen d’une distribution nouvelle du territoire et des hommes qui l’occupent. » En conséquence « un dépeuplement était indispensable » : pour régler le problème de la « population surabondante », « il y aurait une proportion de sans-culottes à sacrifier ».
[4] « La popularité de cet homme politique s’est construite par le discours, martelé en divers lieux, écrit et habilement diffusé dans toute la France, par l’intermédiaire du réseau jacobin notamment. Encore davantage qu’au théâtre, sous la Révolution, dire c’est faire ».