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Palestiniens et Israéliens : deux peuples prêts pour la paix ?
L’intervention de Taoufiq Tahani, président de l’AFPS, au colloque "Etat de Palestine : quelle perspective ?"

Je pars du principe que tous les peuples de la planète souhaitent vivre en paix et qu’il en est de même pour les peuples palestinien et israélien. Mais sont-ils pour autant prêts ? La réponse ne peut être que nuancée compte tenu du fait que la paix n’est pas perçue de la même manière des deux côtés. Donc tout dépend de ce qu’on met derrière le mot paix.

S’il s’agit d’une paix véritable, qui pour être durable doit être juste, basée sur le Droit et telle que préconisée par la communauté internationale, celle qui suppose la création d’un état palestinien sur les frontières de 1967 avec Jérusalem-est comme capitale de ce futur Etat, ainsi qu’une solution pour les réfugiés selon la résolution 194, ma réponse serait : oui côté palestinien et non côté israélien.

Cette réponse ne signifie pas qu’il y a d’un côté un peuple ayant l’amour pour la paix dans ses gênes et de l’autre un peuple qui ne s’y intéresse pas, mais elle traduit une réalité qui s’explique par trois raisons essentielles :

1) Le peuple palestinien vit sous une occupation cruelle

Il est en effet indéniable que c’est la population palestinienne qui souffre le plus de cette situation. En Cisjordanie, elle vit sous occupation militaire, à Jérusalem-Est, elle est menacé au quotidien d’un nettoyage ethnique de grande ampleur, à Gaza elle est soumise à un terrible blocus, en Israël elle subit un racisme institutionnalisé et dans l’exil, elle est victime de massacres répétés, permis par les dirigeants israéliens comme à Sabra et Chatila ou dus aux conflits régionaux comme actuellement dans le camp de réfugiés de Yarmouk en Syrie.

Pour avoir une idée de ce que subit la population palestinienne au quotidien en Palestine occupée, il suffit de lire le « rapport de la mission internationale indépendante d’établissement des faits chargée d’étudier les effets des colonies de peuplement israéliennes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des Palestiniens dans le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est ». Ce rapport a été adopté par le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU le 22 mars dernier par 46 voix pour et 1 voix (celle des Etats-Unis) contre.

Ce rapport décrit parfaitement les atteintes aux droits des Palestiniens et les violences qu’ils subissent : « La mission a recueilli des témoignages sur des actes de violence et d’intimidation commis par des colons qui remontent jusqu’à 1973 . Un rapport de la Commission du Conseil de sécurité créée en application de la résolution 446 (1979) appelait déjà l’attention sur les attaques perpétrées par des colons contre des biens et sur les actes d’intimidation restreignant l’accès à l’eau et entravant la scolarisation des enfants.

La Commission notait que le but de ces attaques était de faire pression sur les Palestiniens pour qu’ils quittent leurs terres. Des cas de Palestiniens blessés, voire décédés à la suite d’attaques de colons sont recensés depuis 1980. La mission prend note des statistiques compilées par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires qui montrent que, au cours de la période allant du 1er juillet 2011 au 30 juin 2012, des colons israéliens ont blessé 147 Palestiniens, dont 34 enfants ».

On peut également se référer au rapport des chefs de mission de l’UE en poste à Jérusalem qui donne une description parfaite des plans israéliens pour Jérusalem et considère que : « Par ses actions, Israël enfreint de façon manifeste le doit humanitaire international et particulièrement l’article 49 de la quatrième Convention de Genève. L’activité de colonisation nuit au processus de paix de trois façons
a) premièrement : elle sape la confiance entre les parties et cela a un effet destructeur sur la crédibilité du processus de négociation.
b) deuxièmement : elle met en péril les perspectives de création d’un Etat palestinien viable et continu. Les colonies et les infrastructures non seulement prennent les terres sur lesquelles les Palestiniens sont censés bâtir leur Etat, mais elles coupent Jérusalem-Est de la Cisjordanie.
c) troisièmement : cela rend les compromis nécessaires en vue de la paix, en particulier l’évacuation d’un grand nombre de colons, plus difficiles au fur et à mesure qu’augmente la population des colonies »

Ou tout récemment, celui du Comité des droits de l’enfant de l’ONU qui vient d’accuser la police et l’armée israéliennes de maltraiter les enfants palestiniens, citant des cas de torture, d’arrestations nocturnes et d’isolement en prison pendant des mois. Depuis 2002, l’armée israélienne a arrêté, interrogé et détenu quelque 7000 enfants palestiniens ayant entre 12 et 17 ans, soit en moyenne 2 par jour.

2) Contrairement à la population israélienne, la population palestinienne a déjà été préparée au compromis historique.

La direction palestinienne a déjà fait le travail pour préparer sa population à l’acceptation d’un compromis douloureux. C’est en 1988 que le Conseil National de l’OLP a opté pour la solution à deux Etats, avec l’établissement d’un état palestinien sur seulement 22 % de la Palestine historique. Même le Hamas, en adoptant le document des prisonniers, rédigés par de célèbres prisonniers appartenant à l’ensemble des formations palestiniennes comme Marwan Barghouti (député du Fatah), Ahmad Saadat (le Secrétaire général du FPLP) et Aziz Dweik (Président du Conseil Législatif Palestinien et membre du Hamas) et en participant aux élections et au gouvernement issus des accords d’Oslo, a de facto accepté la solution à deux Etats sur les frontières de 1967. Cette position historique de l’OLP a été confortée par l’initiative de paix arabe de Juin 2002 à Beyrouth puis réactivée en 2007 à Riyad et reformulée en Juin 2013 à Washington par tous les ministres des Affaires étrangères arabes. Par cette initiative, « Les pays arabes proposent la paix et la normalisation de leurs relations avec Israël en contrepartie d’un retour aux frontières du 4 juin 1967, y compris le territoire du Golan. Ils demandent l’application des Résolutions 242 et 338 du Conseil de Sécurité par Israël, ainsi que la création d’un Etat palestinien ayant Jérusalem Est comme capitale et une solution au problème des réfugiés palestiniens (selon la Résolution 194 du Conseil de Sécurité) ».

Dans une récente enquête d’opinion réalisée par le « Centre palestinien de recherche politique et de sondages », une majorité de deux tiers de la population palestinienne soutient la solution de deux Etats et estime que si un accord de paix est conclu entre Abbas et Netanyahou, la plupart des Palestiniens voteront oui à cet accord. Ils sont par contre 70 % à ne pas croire à la réussite des négociations en cours et 75 % qui refusent tout règlement qui comprenait une période de transition de dix ans, au cours de laquelle les forces israéliennes resteraient dans la vallée du Jourdain. La population palestinienne montre ainsi sa volonté d’aboutir à une paix basée sur le droit, tout en refusant de brader ses revendications légitimes.

Côté israélien, la donne est complètement différente. Les gouvernements successifs israéliens, qu’ils soient de droite ou de gauche, ont tout fait pour rendre la solution de deux états impraticable.

Sharon, qui était aux commandes en 2002 avait opposé une fin de non-recevoir au plan de paix arabe et seules quelques personnalités, comme Motti Steinberg - alors principal analyste du Shin Beth - estimaient qu’Israël devait saisir cette occasion. Non seulement elle n’a pas été saisie mais l’évolution sur le terrain en faveur de la colonisation est de nature à saper toute perspective de paix. Le désengagement unilatéral de Gaza n’était en rien une remise en cause de la colonisation qui aurait supposé une concertation avec les Palestiniens. Il s’agissait simplement de faire la part du feu pour mieux se consacrer à la colonisation de la Cisjordanie.

En 2009, des informations contenues dans un rapport confidentiel du ministère israélien de la Défense qui avait « fuité » et été rendues publiques par le groupe israélien de défense des droits de l’homme, Yesh Din, montraient que la colonisation en Cisjordanie, s’effectue avec la complicité passive ou active du gouvernement israélien. Les informations contenues dans le rapport montraient que, dans de nombreux cas, les maisons pour colons en Cisjordanie sont construites sur des terres privées appartenant à des Palestiniens et que le gouvernement israélien est au courant depuis longtemps de ces infractions mais les garde secrètes.

Nous le savions avant, mais là c’est établi de façon irréfutable. Le rapport adopté par Conseil des Droits de l’Homme de Mars 2013 rappelle en effet les différents plan officieux « Différentes sources indiquent l’existence de plans directeurs des colonies de peuplement, notamment du Plan Allon (1967), du Plan Drobles (1978) − ultérieurement élargi et renommé Plan Sharon (1981) − et du Plan Cent mille (1983). Bien que ces plans n’aient jamais été adoptés officiellement, les gouvernements israéliens successifs les ont appliqués en grande partie. La mission constate l’existence d’un schéma selon lequel les plans élaborés pour les colonies de peuplement ont été repris dans les instruments de politique publique et mis en oeuvre sur le terrain ».

Aujourd’hui, il y a environ 550.000 colons en Cisjordanie, dont plus de 200.000 à Jérusalem-Est et la colonisation se poursuit d’une façon exponentielle.
Au cours des 120 premiers jours des négociations, le gouvernement israélien a démoli 159 maisons, tué de sang-froid 23 Palestiniens et a annoncé la construction de 5992 logements dans les colonies. Et, selon le mouvement « La Paix Maintenant », depuis le début de l’année 2014, cinq plans de nouvelles constructions portant à 2791 unités le nombre de logements annoncés pour le seul mois de Janvier. Lors de l’annonce du 5ème plan, les colons ont froidement arraché 800 plants d’oliviers dans le village de Singil au nord de Ramallah.

Mais il y a aussi la colonisation par l’agriculture. Dans un rapport de 112 pages réalisé par l’expert israélien Dror Etkes (ancien du mouvement israélien La Paix maintenant) sur l’activité agricole en Cisjordanie de 1997 à 2012, l’auteur cite les nombreuses méthodes par lesquelles Israël a pris le contrôle des terres palestiniennes afin d’y construire des colonies ou d’étendre son domaine agricole :
1) Les ordres militaires de confiscation pour « raisons de sécurité ».
2) L’expropriation en raison d’une « utilisation publique » et le transfert à des colonies.
3) L’allocation de « terres d’Etat » à des colonies.
4) Le transfert de terres palestiniennes à des colonies en vertu de la « loi sur la propriété des absents » (propriétaires palestiniens qui ont quitté Israël pendant et après la guerre de 1967).
5) La réquisition de terres appartenant au Waqf (Office des biens musulmans) au profit des colons.
6) Des incitations aux sociétés israéliennes à acheter, par le biais d’intermédiaires, des terres palestiniennes.

Monsieur Etkes découvre lors de son enquête que des milliers d’hectares dont Israël a pris le contrôle par différents moyens pour les transférer aux colonies sont loués à des fermiers palestiniens, lesquels doivent payer un loyer afin d’exploiter des terres qui leur appartenaient et qui ont été données gratuitement aux colons.

Les dirigeants israéliens prennent soin de ne jamais informer la population israélienne de leurs politiques envers les Palestiniens. Le seul discours qu’ils lui servent est que, comme vient de l’écrire Avraham Burg «  le monde entier est contre nous (un non-sens psycho-national ), et que toutes les conspirations visibles et invisibles du monde se concentrent uniquement sur nous - sur la haine et l’antisémitisme, bien sûr ». Le fait de cacher la vérité à la population israélienne et de continuer à lui mentir ne lui rend pas service et la pousse vers une fuite en avant que le journaliste Ari Shavit avait qualifié « de spectaculaire suicide collectif ».

Ceci conduit à une situation très inquiétante où les Israéliens s’expriment majoritairement en faveur d’un régime d’apartheid institutionnalisé (voir enquête réalisé en Octobre 2012 par l’institut « Dialog »). Selon ce sondage, 69% de l’opinion juive d’Israël soutiendrait une loi interdisant aux quelque 2,5 millions de Palestiniens de Cisjordanie le droit de vote en Israël en cas d’annexion de cette région.

Malgré la faiblesse numérique du camp de la paix en Israël, je tiens à saluer le remarquable travail fait par les militants anti colonialistes israéliens. Ce travail qui maintenant sert de base pour plusieurs ONG internationales et même palestiniennes. Des organisations tels que Who profits qui met en lumière les profits réalisés grâce à l’occupation, Beaking the silence qui met en lumière la violence de l’armée, Yesh Din qui dévoile régulièrement la politique israélienne en faveur de la colonisation, les Anarchistes contre le mur, souvent présents aux côtés des Palestiniens. Je tiens également à rendre hommage aux militants israéliens qui participent toutes les semaines aux manifestations non-violentes des villageois palestiniens contre le mur, la colonisation, l’occupation et l’expropriation de leurs terres

3) L’impunité dont bénéficie Israël ne favorisera pas le réveil des Israéliens.

L’impunité accordée à Israël et les nombreux “cadeaux” qui lui sont offerts malgré son mépris pour le droit n’est pas de nature à favoriser le réveil du peuple israélien victime de ses dirigeants et des colons qui le prennent en otage et que Avraham Burg qualifie de « vrais ennemies d’Israël ». Elle ne peut non plus donner confiance au peuple palestinien qui, à juste titre, se sent abandonné par la communauté internationale et privé délibérément de son droit à la justice.

Il est anormal qu’un colon bénéficie 100 fois plus qu’un Palestinien des échanges avec l’UE et que malgré son refus de se plier aux exigences du droit international, Israël soit le seul pays non européen à participer au programme Horizon 2020.

Il est inadmissible de faire pression sur les Palestiniens pour qu’ils ne dirigent pas vers la juridiction internationale tout en laissant l’armée et les colons israéliens commettre des actes de violence contre une population palestinienne démunie.

Pourquoi aucune suite concrète n’est-elle donnée aux différents rapport onusiens ou émanant d’ONG internationales sur les mauvais traitements infligés aux 5500 prisonniers palestiniens, dont un nombre considérable d’enfants, qui subissent mauvais traitements et actes de torture ?

Dans l’intérêt des deux peuples, il faut mettre fin à cette politique de deux poids deux mesures. Il faut réveiller le peuple israélien en le mettant face à la réalité.

Conclusion

Le peuple palestinien n’a que trop payé la négation de ses droits et une situation de conflit à plus ou moins basse intensité pour n’y aspirer pas fortement. En même temps le manque de crédibilité d’une paix à portée de main est déstabilisant pour la société tout entière et pourrait pousser au nihilisme et à l’autodestruction du projet national.

Côté israélien, la situation (ni guerre, ni paix) peut être ressentie comme pouvant se prolonger à l’infini dans la mesure où on peut vivre très correctement en se bouchant les yeux et où on semble pouvoir s’en accommoder. La fragmentation de la société rend difficile à formuler la perspective d’un avenir national crédible. D’où la tentation de se mettre la tête dans le sable.

Mais, malgré cette complexité, la paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens est toujours possible. Mais ceci suppose une forte implication de la communauté internationale et une vraie volonté politique pour imposer la justice et pour qu’il y ait réparation. On ne peut se cacher éternellement derrière la nécessité de négocier à l’infini au risque de voir la situation se détériorer encore et encore.

Il n’est absolument pas responsable de croire que des négociations bilatérales, sans une réelle implication de la communauté internationale et non des seuls États-Unis (qui ont démontré depuis fort longtemps que leur alliance stratégique avec Israël passe avant la justice), puissent déboucher sur une solution viable. Le déséquilibre dans les rapports de forces est tellement flagrant qu’imposer des négociations dans ces conditions reviendrait à ne pas chercher la paix. Uri Avneri disait : « Si vous avez un conflit entre deux parties telles qu’un loup et un agneau, vous devez disposer d’un tiers dans la chambre, juste pour s’assurer que la Partie 1 ne va pas prendre la Partie 2 pour son dîner, au cours des négociations ».

Il y a donc nécessité urgente d’une intervention internationale avec sanctions et contraintes adéquates pour remettre le droit de chacun à sa place et permettre aux peuples de croire la paix possible et faire qu’elle s’impose comme telle.

Taoufiq Tahani est président de l’association France Palestine Solidarité

Le colloque "Etat de Palestine : quelles perspectives ?" était organisé le 6 février 2014 par l’IRIS et la Fondation Gabriel Péri.


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