J’espère que William ne m’en voudra pas d’avoir emprunté cette citation de Macbeth pour intituler mon article. Elle est prononcée à l’acte I dans la scène des 3 sorcières. Mais Irina Brook n’est pas une sorcière, c’est une magicienne. Etonnez-vous après que sa pièce favorite soit « La Tempête ». Tenez, étonnez-vous que son fils s’appelle Prosper[o] [1].
J’écrivais dans mon article sur la présentation de la saison du Théâtre National de Nice, à propos de la pièce qui nous occupe, …C’est la différence entre l’apparent fouillis du jardin anglais et le sage ordonnancement du jardin français. C’est çà. C’est exactement çà. C’est – excusez moi Irina- le goût inimitable de la salade de mesclun : une flaveur qui se compose de l’harmonie de toutes les autres flaveurs.
Il faut aller à ce spectacle vierge de tout présupposé, y compris de l’œuvre et se laisser conduire par le fil d’Ariane que déroule le spectacle. J’oserais dire –et je le fais, je vais me gêner – que la forme présuppose le fond. Ainsi la nordicité : l’immensité de l’espace scénique, sa temporalité, ses teintes, nous « disent » le nord bien avant que de savoir que l’œuvre soit d’Ibsen.
Comme l’écrit le Drehpunkt Kuktur, de Salzbourg : "C’est le théâtre dont vous osiez à peine rêver : un théâtre qui enchante avec la poésie du néant." C’est un théâtre populaire – qui s’adresse à toute émotion, pour tous ceux à qui le mot populaire effraie - au sens de l’universalisme de cet art.
C’est un spectacle vivant au sens fort du terme. C’est un conglomérat d’arts d’où jaillit un autre art. Si je devais l’appréhender, c’est-à-dire le saisir par l’esprit, je dirais qu’il est en droite ligne d’avec les représentations du théâtre antique grec. De la confrontation du verbe, de la danse, de la musique, de ce creuset jaillit un nouvel art, le théâtre.
Comme je l’écrivais dans mon article précédent, la pièce est une farce satirique proposant une quête de l’identité indéfinissable, remplie d’humour sous des dehors graves et débordant de charges satiriques. C’est un drame poétique et philosophique. Poésie et philosophie sont deux concepts à l’aune de la mise en scène d’Irina Brook.
La pièce relate la chute et la rédemption d’un Norvégien aventureux et paresseux, Peer Gynt, un jeune fanfaron d’une vingtaine d’années qui tente de fuir la réalité pour la pure vie idéale et accessoirement par le mensonge. Peer sera donc « un poète hâbleur, vaurien, irresponsable, fuyant le devoir, le vouloir, la réalité », comme le commente Régis Boyer.
Dans la pièce d’Ibsen, Peer Gynt devient un riche homme d’affaires dont sa richesse fraîchement acquise ne l’incite qu’à plus de débauches. Irina Brook en fait une rock star, « PG » (prononcer Pee Gee). Ce n’est pas antithétique, c’est la même course effrénée à un pouvoir.
Cette transformation m’a fait penser au personnage de Tommy, dans l’opéra éponyme des Who. Tommy recherche son identité, comme Peer Gynt : « Qui suis-je ? » Gnothi seauton, connais-toi-toi-même. « Ton voyage est fini, Peer, tu as enfin compris le sens de la vie, c’est ici chez toi et non pas dans la vaine poursuite de tes rêves fous à travers le monde que réside le vrai bonheur. », comme lui à la fin la fidèle Solveig, qui l’a attendu miraculeusement, et le console en ses ultimes instants.
C’est Shantala Shivalingappa, qui, en toutes gracilités, joue Solveig. Peer Gynt est sublimé par le grand acteur Ingvar Sigurdsson. La pièce est en langue anglaise, mais outre que les surtitres sont habilement disposés, la vérité du jeu des acteurs, leur engagement corporel et spirituel, la lisibilité de la mise en scène, n’obèrent d’aucune manière le propos.
A souligner la chorégraphie de Pascale Chevroton, la scénographie de Noëlle Ginefri, les costumes de Magali Castellan. A par le rôle de Peer Gynt, les 13 comédiens et comédiennes occupent plusieurs rôles. 7 sont musiciens. Tous sont des « chercheurs de vérité ».
A propos de musique, Irina Brook fait intervenir quelques airs de la suite « Peer Gynt » d’Edward Grieg. L’orchestration (presque jazzy, ce n’est pas fait pour me déplaire) est à la mesure du traitement de la pièce, de « l’Irina Brooks s’touch », proche de ce qu’on appelle « l’heroïc fantasy » une plongée dont on ressort ébloui, émerveillé.
Peer Gynt, jusqu’au 18 octobre Théâtre National de Nice Promenade des Arts 06300 NICE
http://www.tnn.fr
[1] Prospero personnage principal de La Tempête