
Certaines rencontres sont magiques. Celle d’Odile Cohen-Abbas et Sarah Mostrel l’est sans aucun doute. Toutes les deux sont poètes, auteures et artistes. Nous savons toute la difficulté pour les artistes et les poètes de créer à quatre mains, deux cœurs, deux esprits. Il faut trouver les accords, synchroniser les silences et les rythmes, et laisser faire. La cocréation n’est pas une technique mais un art de l’être.
C’est à travers le théâtre que nos deux auteures ont choisi de nous faire participer à une expérience originale, ou plutôt originelle car quelque chose a voulu naître d’elles.
Nous avons ainsi six pièces, des « pièces de circonstance » qui puisent leurs thèmes dans les traditions pour les actualiser, encore et encore, car le sujet est ce qui demeure, l’essentiel.
La première pièce, Les 36 Justes, rassemble trois personnages pour le premier acte, le grand-père, l’enfant, la femme, deux pour les deux actes qui suivent, le maître et le disciple, dans une quête initiatique qui dépasse le cadre talmudique par son universalité. Ce n’est certes pas un hasard si les 36 Justes, cachés, se signalent aujourd’hui dans ce livre.
La deuxième pièce, Le huitième nain, est une « Fable fantasmagorique en un acte et sept tableaux ». La liste des personnages vaut présentation : Dogmatique, L’Ange paranoïaque, L’Insomniaque, Le Mystificateur, Timide « qui s’efface dans la mort », L’Hypocondriaque, Dormeur, Odile Cohen-Abbas, Le Huitième Nain, Le Peuple des ayants droit vacant, L’Auteure spectrale, La Porte, autant de fonctions qui font typologie des mécanismes de la psyché. Et, parmi elles, Odile Cohen-Abbas, en elle-même ou en hétéronyme d’elle-même ? Nous voici avec sept nains, bien sûr, plus un, comme accomplissement, qui renverse le un plus sept de la construction de la Fable. La symbolique de ce septénaire pointé en son centre pour faire le huit, invite à dépasser l’imitation pour mettre en œuvre l’invention de soi-même comme Liberté.
Vers la lumière, pièce en deux actes, met en scène les oppositions dualistes et les chemins pour en sortir, par la coïncidence ou le dépassement.
« La perfection, l’entièreté, la complétude, sont un idéal à atteindre, dit Le Sage. Qui pourrait se prévaloir d’être totalement parfait ? Personne. Mais cette marge incite à s’améliorer, à progresser, à avancer. L’humanité est certes imparfaite, mais un jour viendra où le monde sera « réparé ». Nous participons, nous au tikoun Olam, à la réparation du monde. »
Avec la Dispute d’éphémères, c’est la question de l’enchantement premier du monde et de ses désenchantements-réenchantements, sorte de respiration tantôt étouffante, tantôt libératrice qui est mis en scène. Dans La Vie, une pièce en trois actes, chaque personnage est lui-même un enseignement, Le Clown, initié-initiateur, le Spectateur, Le Rabbin, L’Homme triste, Le Juste. La tension très spinoziste entre tristesse et joie, avec laquelle jouent tous les pouvoirs temporels, doit devenir consciente pour qu’une joie sans objet, une joie intrinsèque, puisse émerger.
L’ouvrage s’achève avec La nudité excessive, un drame chorégraphique en un acte, cinq répétitions et un cantique. La nudité, le vêtement du langage, le morcellement du corps et son unité autre, plus vaste que le corps, le désir et l’amour, la danse de la vie… pour nous rappeler que si Adam et Eve découvrent qu’ils sont nus, en hébreu, « nu », eyrom, renvoie à la racine aram, « subtil », « intelligent », « sage ».
Séparés ou enchâssés, ces six pièces, six créations, font chemins. Si les chemins sont parsemés d’embûches, la lumière les signale. Au lecteur de les éviter et de découvrir les diamants qu’elles dissimulent !
Pièces de circonstance
Odile Cohen-Abbas et Sarah Mostrel
Z4-éditions – https://z4editions.fr/