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Poèmes accordés, Lettre à Laurent
Rémi Boyer a lu ce recueil de poésie. Extraits.

Afin de présenter ce très beau recueil, il convient de laisser la parole à Christophe Dauphin qui en a signé la préface :

« Dans sa vie comme dans son oeuvre, l’humain prédomine. Son œuvre, constituée de huit livres de poèmes (…) possède une solide charpente, que soutiennent des valeurs immuables telles que la fraternité, l’amour et la nature. C’est sans doute pour cela que outre l’amitié de Prodhomme avec le poète de Chair et Soleil (1960), cette poésie – qui ne scrute jamais son nombril, mais demeure ouverture vers l’autre, comme vers l’ailleurs –, est souvent rapprochée de la « Poésie pour vivre », à la fois courant et manifeste majeurs (Jean Breton et Serge Brindeau, Poésie pour vivre, « le Manifeste de l’homme ordinaire », 1964 et 1982) de la poésie contemporaine. (…)

Car, écrire, et Prodhomme le démontre, c’est vouloir se fouiller, plaider pour soi-même, rencontrer autrui au plus profond, donc communiquer, dénoncer aussi les aliénations, laver le vocabulaire, promouvoir en rêve des gestes qui deviendront un jour des actes. Pour Jean Breton comme pour André Prodhomme, la poésie serait une bien médiocre chose si elle n’entraînait pas dans son sillage la vie entière. Car, là où toutes les dimensions humaines ne sont pas brassées par elle, alors, la poésie ne signifie rien, et il est absurde de lui accorder la moindre importance, dès lors que l’émotion ne constitue pas son vademecum, son passeport pour l’absolu. En cela, André Prodhomme est bien un poète émotiviste, plongeant en lui-même comme dans la foule, dans ce bouillon d’émotions – Où les sueurs du monde se contredisent. Pour Prodhomme, c’est dans la rue, que le morceau se grave définitivement, et non dans un laboratoire ou dans une tour d’ivoire. »

Pense-à-un
Pense-à-un
Pense-à-un
Pense-à-un !

J’étais là au milieu de la pièce
Les deux pieds sur le sol
Avec cette scie dans la tête
Pense-à-un
Pense-à-un
Me traversant le cerveau

Deux minutes avant j’avais un titre
C’était malin d’avoir un titre avant d’avoir le poème
Et aussitôt de le perdre

Là debout à l’oblique
Une main qui tremblait vers le ciel
Dans l’autre une feuille blanche
Et dans la main manquante un méchant whisky
J’implorais ce poème à venir
De ne pas me brûler les entrailles
De ne pas me glacer le sang

Et cette scie qui me vrillait l’esprit !
Pense-à-un
Pense-à-un

Soudain je compris
C’était Thélonious encore qui se moquait

J’étais là à me balancer entre rires et larmes
Essayant de lui répondre
Avec à la main droite un stylo noir entouré d’or à l’encre bleue
Que j’agitais désespérément

Pour un poème sans titre
Avec rien dedans

Poèmes accordés, Lettre à Laurent par André Prodhomme, collection Les Hommes sans Epaules, Librairie-Galerie Racine, 23 rue Racine, 75006 Paris, France.


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