Nicolas Sarkozy dit, à Versailles : « la burqa n’est pas la bienvenue sur le territoire de la République française ». Ce qui signifie que ce voile intégral vient d’ailleurs, qu’il est étranger à notre société française.
Voilà de quoi nourrir l’incompréhension (voire une exaspération sincère ou calculée) parmi les 5 millions de musulmans français. Ce discours de droite, d’exclusion et de stigmatisation au nom des valeurs de notre République n’est pas acceptable.
Certains discours critiques, pourtant faits au nom de la liberté des femmes, de la laïcité, du refus du salafisme et du respect même de l’Islam -donc un discours plus savant et plus à gauche- comportent aussi de vrais dangers.
Ainsi, dans son interview à l’Humanité (23 juin 2009), Dounia Bouzar (anthropologue) se déclare non opposée à une Commission d’enquête. Pourquoi justifier une décision de dimension institutionnelle et parlementaire de cette portée pour un problème qui touche probablement une petite minorité de personnes et y compris une minorité chez les citoyens français musulmans ?
Dounia Bouzar, en revanche, a raison de dire qu’il ne faut pas valider une justification religieuse dans cette problématique sectaire. Mais c’est inévitablement ce qui risque de se produire. En plaçant cette question sous les projecteurs médiatiques, en en faisant une question politique et institutionnelle de portée nationale, on risque évidemment des polémiques et des réactions s’appuyant sur le religieux.
Enfin, D. Bouzar affirme que le droit international permet de « limiter la manifestation de la liberté à deux conditions : entrave à l’ordre public et aux libertés fondamentales »... « le neqab tombe sous le coup de ces deux critères » dit-elle.
Le voile intégral est, effectivement, une atteinte à la liberté des femmes mais le lien avec le droit international n’est pas si simple à établir. Quant à « l’entrave à l’ordre public »... c’est un argument consternant qui risque d’être relevé comme une provocation. En quoi la burqa (ou la femme qui la porte) pourrait-elle, en soi, constituer une « entrave à l’ordre public » ?
Le port du voile intégral est essentiellement [1] issu, dès la fin des années 70, du développement de l’intégrisme [2], c’est-à-dire d’une mouvance diversifiée de l’islamisme politique, dans le monde arabe et d’abord en Iran. La récupération de la révolution iranienne, de 1979, par les Mollahs est un événement majeur ayant permis le développement de l’islamisme politique dans le monde arabe, principalement.
Cet intégrisme est le produit de la fracture politique, idéologique et culturelle qui s’est creusée entre le monde capitaliste occidental et le monde arabe en particulier à cause de l’histoire : colonisation, dominations, Palestine, Irak, Afghanistan... l’accumulation d’humiliations a alimenté cette fracture, cette incompréhension. Elle a nourri le « choc des civilisations » et ce que Ziegler appelle la haine de l’ Occident.
La tension est si forte que les réactions sont épidermiques et passionnelles.
Prendre de front le voile, c’est alimenter cette fracture, cette tension. On se souvient de l’affaire des caricatures de Mahomet. Nous sommes dans un cas de risque semblable.
En demandant une Commission d’enquête ou une mission parlementaire, en poussant au débat public et médiatique, politique et institutionnel, on s’attaque à l’effet au lieu de réfléchir à la cause. Même si l’objectif est seulement de poser le problème. Et ce problème est énorme. Il contribue à la configuration des relations internationales et des crises depuis plusieurs dizaines d’années. Ce n’est ni une mission parlementaire ni une loi qui peuvent le résoudre.
Ce que l’on peut proposer :
- réaffirmer notre rejet du voile intégral, symbole d’ enfermement et de domination contre les femmes. Le port du voile intégral vient d’une pression politique et sociale intégriste qui s’inscrit donc dans le développement de l’islamisme politique. Mais attention, si l’instrumentalisation de la religion est au coeur de cette politique réactionnaire, le vécu d’une femme qui porte un tel voile ne peut être, sauf exception, considéré comme une option délibérément politique. C’est, la plupart du temps, un choix personnel, intime, vécu comme religieux. D’où la complexité. On ne règle pas une problématique de cette nature par une loi générale. Et cela aussi interdit la stigmatisation ;
- repréciser et réaffirmer l’esprit et les règles de la laïcité et leurs conséquences pour ce qui concerne l’espace public en particulier ;
- réaffirmer le cadre des libertés publiques. Le port du voile ne peut être ni contraint, ni interdit. A celles qui disent vouloir le porter par choix personnel indépendant, il peut être rappelé que ce voile ne correspond, selon des autorités musulmanes compétentes, à aucune obligation religieuse. Enfin, on ne peut incriminer le voile que s’il est lié (et seulement si) à des faits illicites ;
- travailler sur : éducation, culture, intégration. Refus de la stigmatisation ; lutte contre les discriminations, pour l’emploi et la réponse aux attentes sociales ;
- expliquer l’ensemble des causes et de la complexité de cette problématique qui va du personnel/intime aux relations internationales. Rappeler ce que disent bien des spécialistes et des autorités religieuses musulmanes : le Coran n’impose nullement le port d’un voile intégral. Rappeler aussi que c’est un texte du 7ème siècle, marqué par l’esprit et la pratique de son temps et qu’on doit interpréter ce texte, et les pratiques religieuses, les règles de vie qu’il indique, en fonction de son origine historique et non en fonction de notre siècle. Il faut refuser une interprétation littérale et obscurantiste de tout texte religieux.
24 juin 2009
[1] Même s’il existe des traditions de voile intégral dans certains pays arabes. On rencontrait par exemple des femmes recouvertes d’un voile total (elles voyaient à travers le tissu) au Yemen du Nord, au début des années 70.
[2] Je n’emploie pas le mot « fondamentalisme ». Cette notion, trop souvent mal utilisée, renvoie en effet à la racine, à l’essentiel d’une religion. Un fondamentalisme peut ne pas avoir vraiment de portée politique. Ce n’est pas le cas de ce que l’on nomme « intégrisme », ou islamisme politique. Ces notions nomment des instrumentalisations politiques de la religion.