Commandé par le Président de la République à l’ancien ministre des affaires étrangères Hubert Védrine, ce rapport fait tout d’abord le constat d’un " échec de la propagande pro mondialisation ". La majorité des français voient dans la mondialisation un danger, alors que " pour les partisans de l’ouverture et de la mondialisation - chefs d’entreprise, patronat, une grande partie des économistes et des médias - celle-ci est uniquement positive et gagnante pour tout le monde " . " Toute demande de protection contre la mondialisation est jugée (par ces derniers) comme le signe d’un archaïsme handicapant, toute mesure de protection, même la plus justifiée et pratiquée par d’autres pays capitalistes, est stigmatisée comme préfigurant le retour à un protectionnisme appauvrissant, à la guerre... ". La méfiance n’est pas l’apanage des Français, comme le montre une enquête publiée par le Financial Times en 2007 : seulement 18% des Français, ont une opinion positive de la mondialisation, mais aussi seulement 35% des Allemands, 23% des Italiens, 17% des Espagnols, 15% des Britanniques et 17% des Américains. A l’opposé, Hubert Védrine note que les alter-mondialistes sous-estiment l’enthousiasme des pays émergents à participer à la mondialisation et à en tirer profit, ce qui explique pour lui le peu d’échecs des " forces de dérégulation ", à l’exception de l’échec de l’AMI (dont il crédite Lionel Jospin) et de l’échec du cycle de négociations de Doha.
Cela ne conduit pas Hubert Védrine à mettre en cause l’insertion de la France dans la mondialisation (on cherche d’ailleurs en vain dans ce rapport mention du déficit croissant de nos échanges). Il s’agit toujours de " renforcer les pôles forts pour qu’ils diffusent ensuite innovation et croissance ". Et de rappeler notamment que la France est le 3ème pays exportateur de services, ou de saluer la force de son potentiel agricole " curieusement absent des rapports sur la mondialisation " et celle des secteurs industriels "compétitifs ". Mais, écrit-il, "si l’on veut que l’opinion se retrouve dans la nouvelle politique française offensive dans la mondialisation, il faut absolument que la légitimité de certaines protections soit clairement admise et revendiquée ". Hubert Védrine considère qu’il ne suffira pas de s’en tenir " à la vulgate néo-libérale : adaptons-nous, améliorons la formation, montons en gamme, créons des emplois. Tout cela doit être fait mais n’est d’aucun secours immédiat pour les victimes directes du choc ". Il invite donc à bâtir " un consensus dynamique combinant étroitement adaptation, protection, régulation, solidarité et action européenne ".
Dès qu’il s’agit de concrétiser cette politique, les propositions sont cependant peu précises ou peu ambitieuses. Hormis la volonté de bâtir des " champions européens ", c’est le cas de la nouvelle politique industrielle, qu’il souhaite pour " s’affranchir d’un tabou qui interdit une telle politique, alors que les Etats-Unis en ont une de facto ". S’agissant des protections, ce sont essentiellement les protections du capital des entreprises des secteurs jugés stratégiques qui sont envisagées par le rapporteur, comme l’ont fait d’autres pays.. Il en est de même de la "régulation de la mondialisation". On relèvera cependant à ce sujet la proposition d’une autorité mondiale chargée de garantir la sûreté des centrales civiles et dotée de pouvoirs supranationaux pouvant aller jusqu’à l’arrêt des centrales dangereuses, l’AIEA n’ayant en charge que la lutte contre la prolifération du nucléaire.
Si la nouvelle politique qu’il appelle de ses vœux n’est pas vraiment définie, il est intéressant de noter qu’Hubert Védrine invite " à ne plus penser au multilatéralisme comme à une panacée et un substitut à la volonté et à la responsabilité de chaque gouvernement, mais à agir à l’intérieur du système multilatéral pour exercer une action régulatrice ". Ne nous y trompons pas, ce sont essentiellement les pays occidentaux qui sont considérés comme des alliés possibles face à la montée des pays dits émergents, qu’il s’agit de contraindre à respecter des normes sociales et environnementales.
Quant au positionnement politique de la France et de sa diplomatie, Hubert Védrine cherche à se démarquer " des courants européistes d’une part, et atlantiste-occidentaliste d’autre part ", qui veulent " la normalisation de la politique étrangère et de défense de la France ". Le premier courant est jugé responsable de "la fuite en avant institutionnelle des années qui ont suivi Maastricht ". Pour l’ancien ministre, on a oublié la distinction entre politique commune et politique unique. Quant au deuxième courant, il est jugé particulièrement dangereux en ce qui concerne la réintégration dans l’OTAN, réintégration qu’il ne soutiendrait qu’à la condition qu’elle aille de pair avec " la reconnaissance de l’autonomie du pilier européen de l’alliance " et la clarification de l’aire géographique et des missions de cette alliance.
Abordant avec diplomatie la question du projet de bouclier anti-missiles imaginé face à aux menaces " qui obsèdent l’Occident depuis qu’il a vaincu l’URSS ", il rappelle que " théoriquement les boucliers affaiblissent la crédibilité de la dissuasion et c’est pour cela qu’il y avait eu de 1972 à 2001 un traité ABM " mais se garde de répondre à la question " faut-il des systèmes défensifs en plus de la force de dissuasion ?"
Par delà la prudence et les ambiguïtés caractéristiques de sa position de ministre potentiel, Hubert Védrine considère, fidèle en cela à son opposition à la guerre menée par G.W. Bush en Irak, que " la France prendrait un grand risque en s’en remettant pour sa politique étrangère à une nouvelle sainte alliance occidentale génétiquement programmée pour affronter pour des raisons idéologiques, sécuritaires, énergétiques ou autres les pôles non occidentaux, conduite par des Etats-Unis non influençable par l’extérieur et sujets à des accès d’aventurisme".
La partie la plus originale du rapport concerne sans doute le " ton " de la diplomatie française perçu comme " arrogant " dans une grande partie du monde (Kouchner est sans doute tout autant visé que Villepin). " La puissance et la persévérance nourrissent l’influence, la prétention la mine ", " la classe politique devrait avoir le courage d’aller contre le goût de l’opinion et des médias pour des initiatives spectaculaires et sans lendemain et mieux faire valoir son action de longue durée ". S’agissant des droits de l’homme, " davantage de modestie serait plus conforme à la réalité ", " l’action pour obtenir un meilleur respect des droits de l’homme ne peut être le centre de notre politique ".
En fait, il s’agit de " repartir d’une vision moins chimérique et plus réaliste du monde d’aujourd’hui ". Ainsi faisant référence aux prises de position de " beaucoup d’intellectuels français, mais aussi de l’opinion " il pose la question " est-ce raisonnable et légitime d’agir de l’extérieur pour transformer en démocratie des régimes non démocratiques ? " et répond que " la démocratisation devrait être traitée comme un processus souhaitable mais périlleux ", en invitant à " ne pas confondre démocratisation des sociétés hétérogènes et homogènes " et "à ne pas croire que l’application des techniques démocratiques (élections) suffit à implanter aussitôt la culture démocratique (respect des minorités) ".
Refusant à la fois " le relativisme et le néo-colonialisme ", il juge qu’une " ancienne puissance coloniale n’est pas la mieux placée " pour aborder ce sujet.
Considérant que " la compétition va s’accroître férocement autour des sources d’énergies fossiles et des voies d’acheminement et entre capitalismes concurrents ", Hubert Védrine craint l’aiguisement des tensions internationales et invite Nicolas Sarkozy à une politique étrangère ayant pour objectif premier " d’assurer à moyen terme notre sécurité géopolitique, stratégique, économique, écologique ".
Refusant de suivre ceux qui opposent le rôle de l’Europe ou des institutions internationales à celui des Etats, il invite à " re responsabiliser les Etats " : " à trop répéter qu’un Etat, un pays ne peut plus rien, on en était venu à déresponsabiliser les gouvernements et à décourager les citoyens, alors que le multilatéralisme suppose, pour être efficace, la coopération et l’engagement d’Etats forts au sein d’un cadre commun ".