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Réflexions sur les modes de développement, l’écologie et le communisme
Gilles Afonsi et Julien Alapetite

“Pour quelqu’un qui a vécu sous le communisme pendant la plus grande partie de sa vie, je me sens obligé de dire qu’à mon sens, la plus grande menace actuelle pour la liberté, la démocratie, l’économie de marché et la prospérité réside dans l’environnementalisme combatif et non dans le communisme. Cette idéologie veut remplacer l’évolution libre et spontanée de l’espèce humaine par une sorte de planification centrale, et maintenant globale...” - Vaclas Klaus, président de la République tchèque, discours du 3 juillet 2007 [1].

Il est savoureux de constater que l’évocation sur un même plan de l’ambition écologique et de l’ambition communiste n’est pas nécessairement le fait des communistes eux-mêmes, mais plutôt de libéraux convaincus comme le président tchèque Vaclav Klaus, économiste libre-échangiste. Il voit “l’environnementalisme” comme une sorte de nouveau communisme, ce qui d’une certaine manière nous convient !
L’objet de cette contribution est en quelque sorte de reprendre cette thèse à notre compte, quoi que d’un point de vue entièrement renversé. Ce que nous appelons le communisme - le communisme du 21ème siècle, que d’autres nomment autrement - s’attache à ouvrir une ère d’émancipation dont le champ embrasse à la fois les rapports des hommes entre eux et leurs rapports avec la planète. Nous sommes à cent lieux de l’illusion d’une “évolution libre et spontanée de l’espèce humaine” qui, à notre sens, n’existe pas et n’a jamais existé depuis la naissance de l’être humain. Et nous sommes très loin aussi des discours en faveur d’un soi-disant retour à la nature vierge de toutes les salissures humaines, discours tenus souvent par ceux-là même qui naturalisent les dominations.

Nous commencerons par poser les questions environnementales et de développement dans leurs dimensions quantitatives et concrètes, car une bonne mesure des problèmes détermine en partie les réponses et le degré de radicalité nécessaires de celles-ci. Puis nous présenterons les principales approches réformistes, en les critiquant, avant de traiter des approches radicales avec lesquelles nous analyserons les points de convergences et de divergences.

Notre préférence va à une approche radicale, nous dirons pourquoi. Dans le même temps, nous voulons souligner que personne ne saurait envisager d’attendre de futures “évolutions communistes” pour agir, alors que la crise écologique et ses catastrophes sont déjà là. Il y a une transition à penser, avec des avancées partielles, des compromis à passer avec certains partisans de la régulation du système actuel. Nous examinerons les outils disponibles à l’intérieur du système actuel, comme les taxes, les quotas, les réglementations et normes, qui peuvent dans une certaine mesure infléchir la trajectoire de nos sociétés. Nous en soulignerons les limites au regard des besoins actuels : l’actualité de la crise écologique en général, et du réchauffement climatique en particulier, renforce considérablement la nécessité de transformations profondes.
Nous n’opposons pas forcément les mesures entre elles. On peut concevoir leur convergence, leur simultanéité, ou une progression dans le temps, dans un sens de plus en plus radical. Il est nécessaire d’envisager la dynamique de la transition : il n’y aura pas de grand soir écologique.
Mais un changement révolutionnaire nécessite des réformes fondamentales, et pour notre part nous plaçons explicitement les avancées partielles comme des éléments concourant à la mise en place d’une autre organisation de la société : au-delà de l’autonomie partielle de chaque avancée, ce qui est en jeu, c’est le mouvement global d’émancipation. Nous partageons donc le point de vue de certains radicaux américains pour lesquels chaque réforme doit être conçue comme un maillon dans un processus qui mène au changement révolutionnaire (nous dirions même un processus qui est ce changement) des institutions fondamentales de la société (le radical américain Michaël Albert qualifie les réformes dans ce processus de “réformes non-réformistes”).

Evoquons les problèmes de développement et environnementaux dans leur dimension quantitative.

Les “besoins”

Deux milliards et demi d’humains vivent avec moins de deux dollars par jour. Nous ne savons pas exactement ce que veut dire vivre avec moins de deux dollars par jour, et les situations sont sans aucun doute variées, mais cela veut souvent dire ceci : pas d’accès à l’électricité, peu ou pas d’accès à l’eau potable, pas d’accès aux soins et aux médicaments de base, de grandes difficultés à se nourrir à sa faim, une éducation rudimentaire voire un analphabétisme très élevé, de longues journées de travail domestique réalisées sûrement par les femmes, une mortalité infantile considérable, une espérance de vie courte, etc...

Tout projet d’émancipation doit prendre en considération qu’il existe de considérables “besoins” de développement pour couvrir des “besoins” non satisfaits. A l’horizon 2050, nous serons environ neuf milliards, c’est-à-dire deux milliards et demi de personnes de plus qu’aujourd’hui. Si l’on ne considère que les deux milliards et demi de personnes les plus pauvres, plus les deux milliards et demi de personnes nouvelles qui elles-aussi auront droit à un certain niveau de satisfaction de leurs “besoins”, alors nous entrevoyons l’immense défi que constitue le problème du développement : se nourrir sainement, avoir accès à l’eau potable, se chauffer, avoir des moyens de transports et de communication, accéder à l’éducation, aux soins, à la culture…

Pour ne prendre qu’un exemple, pour nourrir 9 milliards d’êtres humains en 2050, Michel Griffon [2] indique que la production alimentaire devra doubler. Pour cela, il pense que les agricultures familiales joueront un rôle essentiel et que leur rendement devra, suivant les endroits, être multiplié par deux, trois ou quatre. Cela sans augmenter les émissions de gaz à effet de serre, sous la contrainte d’une utilisation rationnée de l’eau et d’une surface de terre arable limitée par l’espace nécessaire aux forêts, aux zones d’habitats, aux zones protégées.

Certes, le concept de développement est remis en cause par certains partisans de la “décroissance”, Serge Latouche par exemple [3]. Nous partageons notamment la critique des politiques de développement : elles ont souvent contribué à renforcer les rapports de domination Nord - Sud et elles ont conduit à la destructuration de modes de vie traditionnels. Il n’en reste pas moins que l’on ne peut ignorer les “besoins” des milliards de personnes les plus pauvres. Ces “besoins” nécessitent une production matérielle et des services, et donc d’importantes ressources énergétiques. Et il y a bien une notion de “développement” derrière le fait de satisfaire des “besoins” qui ne le sont pas jusqu’à présent [4].

Les contraintes environnementales

S’il convient de ne pas oublier, par exemples, l’ampleur des pollutions et d’autres phénomènes environnementaux, dont les conséquences pour la qualité de la vie de l’homme et la planète sont lourdes, la crise climatique constitue la principale menace environnementale actuelle, par son ampleur et les catastrophes potentielles associées. Il existe un relatif consensus pour dire que le réchauffement climatique doit être limité à 2°C (voire à 1,7°C), si on veut éviter une catastrophe planétaire. Pour limiter le réchauffement à 2°C, il est estimé que nous devons réduire nos émissions de dioxyde de carbone à 80-90 % d’ici 2050.
Les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) constituent 80 % de la consommation énergétique mondiale et sont la principale source d’émission de gaz à effet de serre (GES). Dans un récent article, pour donner une représentation d’une diminution massive de la consommation d’énergie, Michael Tanzer [5], spécialiste de l’énergie, propose une expérience mentale en quelques chiffres, à partir du cas du Royaume-Uni : à quel niveau de vie descendrions-nous si nous diminuions nos émissions de 90 % dès aujourd’hui  ? En éliminant tous les transports et le chauffage, nous diminuerions les émissions de 33 %. En arrêtant toute génération d’électricité, on obtiendrait une réduction de 15 % supplémentaire. Ainsi de suite, jusqu’à atteindre 90 % de réduction où alors nous pourrions seulement nous nourrir, nous loger (sans chauffage et sans électricité) et consommer des boissons non alcoolisées.

Une autre manière de visualiser ce que représentent 90 % de réduction des émissions est d’estimer quand les pays émettaient 10 % des GES produits aujourd’hui. Le Royaume-Uni produisait 10 % de ses émissions d’aujourd’hui en 1829, les Etats-Unis en 1898 et la Chine en 1969.
Bien sur, ce ne sont là que des représentations et le problème ne se pose pas en ces termes. Mais cela donne un ordre de grandeur du défi actuel et permet de relativiser les mesurettes si souvent proposées aujourd’hui.
Nous savons aussi qu’aucune solution de remplacement substantiel des énergies fossiles ne se profile avant 2030, que toutes les solutions préconisées aujourd’hui ont leurs limites. On connait celles du nucléaire : outre les problèmes majeurs de la gestion du risque et de la gestion des déchets, il s’agit des limites des réserves d’uranium, des limites technologiques, du risque de prolifération, sans parler des difficultés propres à l’énergie électrique : déperdition au cours du transport, impossibilité de stocker et donc incapacité à répondre aux pics de consommation... L’éolien et les énergies hydrauliques sont intrinsèquement limités, même si le premier a un fort potentiel de développement.

Quant à la biomasse, elle est en concurrence directe avec l’utilisation de la terre pour la production de nourriture. Christian Azar [6], dans un exercice de modélisation, montre que l’exacerbation de la concurrence pour l’usage de la terre pourrait multiplier le prix de celle-ci par plus de dix. On imagine les répercussions sur les prix alimentaires et toutes les perturbations sociales que cela pourrait engendrer.

Quant au solaire, qui est la source énergétique majeure du futur, les enjeux technologiques restent considérables.

Bref, aucune énergie ne peut être présentée comme susceptible d’être LA solution à l’enjeu énergétique mondiale, ni sans limites et inconvénients. Ce qui conduit tout droit à cette réflexion simple : c’est à une combinaison de réponses qu’il faut s’atteler, agissant sur l’offre et sur la demande, refondant la notion de besoin sans perdre de vue que l’action publique a vocation à garantir l’accès de chacun et de tous aux droits fondamentaux.

Les deux problématiques du développement humain et de la préservation de la planète mises côte à côte, la tâche peut paraître dantesque, surtout si nous devons les résoudre simultanément alors qu’elles semblent jouer l’une contre l’autre. C’est à partir de cette double problématique que la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU (Commission Brundtland) [7] a introduit en 1987 le concept de “Sustainable development” [8].

Point de départ : le non-développement non-soutenable

Interrogé en l’an 2000 sur les motivations des Etats-Unis en faveur du développement soutenable dans les pays en développement, Noam Chomsky répondit : “C’est la première fois que j’entends cela, est-ce que les Etats-Unis soutiennent le développement soutenable ? Pour ce que j’en sais, les Etats-Unis soutiennent le non développement non soutenable.” [9] Noam Chomsky faisait probablement une bonne description de la politique américaine. Mais que dire de la capacité du système mondial à proposer des solutions ?
L’UNICEF estime que, chaque heure, 1000 enfants [10] meurent de maladies facilement guérissables et que deux fois plus de femmes meurent ou souffrent de handicaps après un accouchement à cause d’un manque de soins élémentaires. Pour assurer un accès universel à des services sociaux de base, l’UNICEF estime que cela nécessiterait un quart des dépenses militaires des pays en développement ou seulement 10 % des dépenses militaires américaines. Et l’on peut prendre de multiples exemples de pandémies, comme le sida, contre lesquels existent des moyens efficaces de traitement, mais qui se heurtent d’une part à l’absence de système de sécurité sociale et de services publics de santé, d’autre part aux politiques commerciales de l’industrie pharmaceutique.

Au-delà de tous les désaccords possibles sur le sujet, une chose est sûre : le système actuel se montre incapable de répondre à ces besoins immenses, pour lesquels les réponses sont pourtant à portée de main... Que penser donc de sa capacité à répondre à des problèmes plus complexes, exigeants des choix difficiles et une grande créativité ?

Vient alors la question des alternatives, conditionnée en partie par l’affrontement sur le champ des possibles, que nous résumons ainsi : régulation-réparation, à partir de la conviction que les possibles actuels déterminent l’avenir, OU transformation-prévention, avec le parti-pris que nous pouvons étendre le champ des possibles.
Les approches économiques réformistes

Dans sa version théorique, le duo marché - technique est supposé répondre aux contraintes environnementales [11] :
1. Un problème de limite apparaît. Une ressource devient rare, ou une pollution prend une certaine ampleur.
2. Le mécanisme du marché fait augmenter le prix relatif de la ressource par rapport à d’autres ressources, ou la pollution est reflétée dans les coûts des produits et services qui génèrent cette pollution (par un mécanisme de correction, tel une taxe).
3. L’augmentation des prix génère des réponses. Le géologue est stimulé pour trouver plus de gisement, ou le chimiste trouve un substitut. Les entreprises cherchent à substituer la ressource par une autre ou utilisent le recyclage. Les consommateurs utilisent moins de ces produits, ou les utilisent plus efficacement. Et les ingénieurs développent des techniques pour contrôler la pollution, ou pour la séquestrer, ou ils inventent d’autres techniques de production qui ne génèrent pas cette pollution en premier lieu.
4. La réponse par le jeu du marché aboutit au choix de la technologie et du type de consommation, avec un objectif de rapidité et d’efficacité au moindre coût.
5. Le problème fini par être peu ou prou “résolu”.
6. Tout cela est faisable à un coût que la société est prête à payer et se déroule dans un temps assez court pour éviter des dommages irrémédiables.

Nous prenons volontairement le temps de décrire ce mécanisme car nous ne voulons pas le rejeter d’un revers de main, comme s’il était entièrement inopérant.

Cependant, on peut facilement critiquer ce modèle théorique et il est juste de le comparer avec la réalité. Entre le capitalisme théorique et le capitalisme réel, il y a un monde. Et cet écart crée une sorte d’espace réformiste, pour qui pense que le champ des possibles se limite nécessairement aujourd’hui à dompter la “bête” capitaliste dans un sens plus respectueux de l’environnement.

C’est dans cet “espace” que peuvent être compris les accords de Kyoto, les taxes pollueurs-payeurs, les permis d’émissions, les réglementations et les normes. Et c’est dans cet espace que les propositions des Verts se situent majoritairement aujourd’hui [12].

Or, il existe plusieurs objections majeures à ces mécanismes théoriques.

Tout d’abord, ces mécanismes ne fonctionnent que dans une certaine mesure, à court terme, pour des objectifs relativement faciles à atteindre ou, pour le dire avec le jargon économique, là où les coûts marginaux pour la préservation de l’environnement sont les plus faibles. Un livre d’Aurélien Bernier [13] regorge de ce type d’exemples.

Par exemple, la société Rhodia qui, en 2005, rénove deux usines en Corée et au Brésil qui émettent du N2O. Pour 14 millions d’euros d’investissement, la société récupère des droits d’émissions valorisés à l’époque à 200 millions d’euros ! Certes, les deux usines ont été rénovées, ce qui est une bonne chose. Reste que, même avec les objectifs très insuffisants du protocole de Kyoto, ce genre de "gisement" pour réduire les émissions est déjà tari. Les projets se portent maintenant sur la substitution de combustibles - remplacer le charbon par du gaz moins émetteur par exemple - qui sont encore faciles à mettre en oeuvre et rentables, mais ce "gisement" sera vite lui aussi limité… et ainsi de suite. Le marché choisit les solutions à moindre coûts et les plus faciles à mettre en oeuvre.

Ce que nous constatons, c’est que le mécanisme de marché est complétement inadapté pour les considérations de long terme, qui nécessitent des mesures difficiles à mettre en œuvre, coûteuses, qui ne généreront pas de profit, mais qui bénéficieront à l’ensemble de la société … Le marché se concentre sur les possibilités faciles de réduction d’émissions, qui sont limités, et laisse de côté les principales sources d’émission. Quand les questions posées sont, ou seront, d’arrêter certaines productions – comme ce devrait être un objectif en matière de production d’armement, par exemple -, la question du pouvoir – pouvoir du marché ou pouvoir politique, démocratique ? – est, et sera, déterminante.

Nous aurons perdu du temps, un temps précieux, car le compte à rebours est engagé pour que les dommages consécutifs au réchauffement climatique ne soient pas irréversibles. Ce temps aura été consacré à tenter de créer l’illusion que la main invisible du marché pourrait résoudre ces difficiles questions en extrapolant par rapport à des résultats faciles à atteindre, au lieu de créer directement les nouveaux modes d’organisation, les nouveaux systèmes et les nouvelles institutions dont nous avons besoin.

Nous ne pouvons que constater que les outils correctifs sont toujours insuffisants ; les taxes pollueurs-payeurs sont trop basses [14] ; les permis d’émissions ne sont pas répartis de manière juste  ; les investissements dans la recherche pour d’autres technologies plus respectueuses de l’environnement sont insuffisantes. On peut toujours blâmer les politiciens et les experts pour qu’ils soient plus exigeants. Mais le problème est inhérent au capitalisme qui ne peut internaliser complètement les coûts des externalités environnementales de la production et de la consommation car cela serait contradictoire avec la recherche du profit, qui est son ressort principal.
Concernant le duo technique - marché, les voies du progrès technique induit par les mécanismes de marché sont celles qui "ouvrent" de nouveaux marchés ; les voies d’amélioration technique sans captation possible de profits ne sont pas explorées.

Un exemple typique d’une dynamique perverse du jeu marché / technologie se trouve dans l’agriculture. L’agriculture a été un espace de production particulièrement retors aux méthodes de production capitaliste. Une raison en est qu’une partie importante du capital nécessaire pour l’agriculteur est la semence et que celle-ci lui est, ou lui était, fournie quasi-gratuitement par la récolte elle-même. Cette caractéristique essentielle de ce mode de production rendait l’agriculteur relativement indépendant du banquier ou des capitalistes. En soi, il n’y avait aucune raison de remettre en cause ce don gratuit de capital à l’agriculteur, et les progrès technologiques auraient pu se concentrer sur l’augmentation de la productivité de l’agriculture paysanne. Or, ce n’est pas ce qui s’est produit : la technologie s’est consacrée à développer des techniques dont le premier enjeu était de remettre en cause la gratuité de la semence, pour rendre l’agriculteur dépendant d’une nouvelle sorte de capitaliste, le semencier. C’est ce type d’évolution qui explique les semences hybrides et les OGM aujourd’hui [15]. Cela ne veut pas dire que la technologie n’a pas aussi contribué à l’augmentation de la productivité. Mais elle l’a fait sous condition et contrainte par la logique du profit, et elle n’a pas exploré d’autres logiques qui auraient elles-aussi augmenté la productivité, sans nécessairement générer du profit de type capitaliste, mais seulement du revenu aux agriculteurs ou / et de la qualité pour le consommateur.

En ce qui concerne les énergies renouvelables, nous savons que les capitalistes font et feront des profits en construisant des panneaux solaires ou des éoliennes, et il est préférable qu’ils se lancent dans ces nouveaux marchés plutôt que dans d’autres productions et marchés plus nuisibles à l’environnement. Mais viendront les questions des conditions d’exploitation de ces marchés, de production, d’installation et de recyclage des matériaux par exemple.

Dans le mécanisme d’induction de progrès technologique, il y a un certain optimisme sur la technologie, une forme de toute puissance illusoire, dont une contrepartie est la publicité faite à des gains mineurs ou d’enjeux secondaires, dès lors que ces gains peuvent être profitables et vendus comme de formidables avancées techniques. Il est nécessaire de se prémunir contre les illusions publicitaires et les manipulations commerciales : ne prenons pas les vessies capitalistes pour des lanternes écologiques.

Un aspect du noeud gordien émission / énergie est la nécessité d’améliorer l’efficacité énergétique, c’est-à-dire la quantité de biens produits par unité énergétique. On considère en général que l’intensité énergétique connaîtrait avec le progrès technique une courbe en “V renversé”, d’abord croissante puis décroissante (à un rythme actuel de 1 % ou 2 % en Europe, selon le rapport du commissariat du Plan) [16]. D’après Alain Lipietz, tout l’espoir technique de l’humanité réside dans le pari que cette évolution serait généralisable. Si, au niveau de la production et surtout des structures de la consommation, on parvenait à obtenir une accélération de l’efficacité de l’énergie aussi spectaculaire que le fut la hausse de la productivité du travail durant les trentes glorieuses, alors on pourrait espérer généraliser aux générations futures un niveau acceptable de confort matériel, sans dérégler irrémédiablement le climat terrestre. Sauf qu’en l’état actuel des connaissances, nous ne savons pas quelle sera l’ampleur de la baisse de l’intensité énergétique. Tempérons donc l’optimisme technologique.

De plus, et peut être surtout, la critique majeure faite à cette dynamique marché / technique est l’effet rebond mis en avant, entre autres, par les mouvements de la décroissance. L’effet rebond se produit lorsque les économies monétaires réalisées grâce à la croissance de l’efficacité énergétique favorisent un accroissement de l’usage du bien ou un redéploiement de la consommation et de l’investissement productif dans d’autres activités, éventuellement fortement consommatrices de ressources. Au final, loin de réduire l’impact écologique global, la décroissance locale de l’intensité énergétique peut conduire à la croissance globale de l’énergie consommée et des flux de matière.
C’est pourquoi qu’au-delà du développement nécessaire de dispositifs destinés à prévenir les gâchis d’énergie, il faut sortir de l’inflation consummériste. Cela heurte des évolutions qui sont en cours, des manières de vivre, le triomphe de la surconsommation, survalorisée par le système économique et les médias. Mesurons que cela nécessite de casser la machine dédiée au formattage des désirs des individus dès la petite enfance.

Ethique, responsabilité et conscience individuelle

Nous sommes favorables à une approche critique de la notion de responsabilité individuelle. Le fond positif en est que les hommes sont redevables du sort de la planète, que la révolution démocratique que nous appelons de nos voeux passe à la fois par la participation des individus à la délibération politique et par les modes de vie en adéquation avec une conception de l’être humain, avec le souci de l’avenir de la planète, de notre avenir commun et des générations futures. En ce sens, adopter des comportements écologiques va au-delà du copiage de modèles inaccessibles promus par les magazines : c’est un type de rapports sociaux différents qui pourrait s’inventer au travers de mille et une expériences individuelles et collectives, arts de vivre autrement (autrement que dans le tumulte des vies pressées, pressurisées, qui sont les nôtres, en particulier dans les villes telles qu’elles sont).

Mais le fond négatif du renvoi systématique de la question écologique à la responsabilité individuelle est tout à la fois de masquer les inégalités sociales, les inégalités de responsabilités et particulièrement de faire taire la critique de l’ordre économique et social capitaliste. Il y a comme un effet miroir de l’idéologie libérale, où l’individualisme égoïste forcené est remplacé par un “individualisme éthique forcené”. La question pour nous n’est pas que l’individualisme soit éthique ou égoïste. C’est l’individualisme lui-même qui pose probléme.

Le fait est qu’en dépit des prises de conscience récentes, notre société ne s’attache pas à résoudre les problèmes écologiques au niveau nécessaire, et que chaque individu se trouve en quelque sorte livré à lui-même pour résoudre les questions les plus globales dont, seul, il n’a en réalité pas la clef. Même si beaucoup s’efforcent de vivre autrement, nous vivons dans un système qui encourage les comportements égoïstes et prédateurs et pénalise les comportements altruistes. La pensée libérale imprègne la manière de voir en s’efforçant de faire croire que le système serait “mauvais” par l’agrégation de mauvais comportements individuels : il suffirait donc que les personnes deviennent vertueuses pour que, par agrégation, le système le devienne aussi.

Pour nous, la responsabilité et la conscience individuelle conçues comme des formes de prises de conscience séparées de la totalité du vivant, du social, ne résoudront pas plus la question écologique que la charité ne règle la question sociale. Pour plusieurs raisons. L’une d’elle est quantitative : les gestes individuels ont souvent un impact concret dérisoire par rapport aux besoins et en tout état de cause ne peuvent pas suffire à transformer les situations au-delà du local : il faut pour cela des moyens collectifs, comme en témoignent d’ailleurs - c’est l’un de leurs mérites - les expériences locales.

Le geste écologique ponctuel peut selon les cas ouvrir la porte à une véritable évolution du rapport de l’individu avec son environnement, ou servir à se donner une fausse bonne conscience, parallèlement au maintien de toutes les pratiques anti-écologiques. Souvent, il vient d’ailleurs trop “tard”, en réparation d’un mode de vie consumériste.
Nous n’opposons pas responsabilité individuelle et responsabilité collective. Nous pensons au contraire nécessaire à la fois de distinguer et d’articuler étroitement les deux dimensions. Oui, il existe une responsabilité individuelle, qui concerne à la fois nos manière de vivre à chacun et notre implication dans la vie de la cité (cette seconde dimension étant le plus souvent passée sous silence, ou séparée de la question des pouvoirs économique et politique) ; mais elle ne doit pas masquer les enjeux de transformation de l’organisation de la société ; elle ne doit pas servir de cache-misère à l’absence d’ambition des pouvoirs publics pour affronter les problèmes écologiques ; elle ne doit pas servir à cacher les responsabilités des décideurs économiques. Il existe des responsabilités collectives, auxquelles il s’agit aujourd’hui de donner corps de manière explicite : responsabilités différenciées des groupes humains, des Etats, des collectivités, des entreprises (et parmi elles des firmes multinationales)…

Les approches radicales

En contrepoint des approches réformistes, une approche systémique des problèmes entreprend d’attaquer les causes à la racine, et pas seulement de réparer tant bien que mal les conséquences et les târes du système, en le laissant fondamentalement inchangé. Nous avons déjà souligné que l’ampleur des problèmes nécessite des réponses d’une telle portée qu’il n’est pas réaliste de parvenir à les affronter sans de profonds changements structurels, sans un dépassement du capitalisme.
Nous savons que la mécanique du marché et la recherche du profit ont pour conséquence que les prix des services et marchandises ne reflètent pas leurs vrais coûts (ou bénéfices) sociaux et environnementaux, et conduisent à une sur-allocation sur certains services et produits et sous-allocation sur d’autres. Cela est dû à ce qu’on appelle les externalités, c’est-à-dire les conséquences d’une activité économique qui n’affectent pas directement soit l’acheteur, soit le vendeur.
Par exemple, les problèmes de congestion et de pollution ne sont pas pris en compte dans le prix d’une automobile. Et le problème n’est pas que l’acheteur ou le vendeur n’auraient pas conscience des problèmes écologiques. Au passage, même le citoyen écologiste le plus convaincu ne proposera pas facilement de payer deux ou trois fois plus cher son automobile pour prendre en compte l’ensemble des coûts environnementaux [17].

Les radicaux divergent avec la plupart des économistes sur l’ampleur de ces externalités. Pour nous, elles sont prévalentes et de grande ampleur, inhérentes à la transaction dans une économie de marché qui est fondamentalement viciée.

Pour les économistes néo-classiques, mais aussi pour une partie des écologistes, ces externalités sont corrigeables par des outils comme les taxes, les subventions, les permis d’émission, en modifiant le prix de marché pour qu’il reflète “correctement” les coûts sociaux. Pour les radicaux, ces “corrections” seront toujours en-deçà du coût réel des externalités. Elles ne peuvent pas intervenir au-delà d’un certain seuil : si on faisait apparaître le véritable coût du transport automobile, celui-ci deviendrait prohibitif et nous devrions opter pour d’autres modes de transport de masse, ce qui n’a plus rien avoir avec une "correction".
Sous cet angle, on entrevoit une formulation différente de la question écologique, qui la rapproche de la question sociale. Il s’agit de faire intervenir dans les décisions économiques l’ensemble des acteurs concernés, et pas seulement le duo acheteur - vendeur. C’est bien autre chose qu’un changement de “mécanisme” économique. Cela implique des modes de décisions collectifs plus sophistiqués que ceux basés sur la simple transaction marchande.

Bien que ce soit sur les problématiques écologiques qu’elles apparaissent de la manière la plus évidente, les problèmes de pollutions étant les cas d’écoles d’études des externalités, les externalités sont aussi prévalentes dans les phénomènes sociaux et sociétaux. Le chômage, la pauvreté, la précarité, l’exclusion peuvent être vus sous cet angle aussi. Les actes économiques de base, - acheter, vendre, produire, consommer - ne sont pas conçus pour prendre en compte les aspects externes ; l’entrepreneur le plus “social” ne peut décider seul de son côté d’embaucher au delà de ce que la gestion rationnelle de son entreprise lui impose  ; et il n’y a pas de dispositifs institutionnels qui lui permettraient de s’entendre avec d’autres entrepreneurs pour embaucher plus ou partager le temps de travail. Dans le système actuel, ces mécanismes de coordination ne peuvent se faire pour l’essentiel qu’au plus haut niveau, au moins celui de l’Etat, et la mécanique ne peut être que corrigée, après coup.
Nous pensons nécessaire d’envisager une révolution démocratique, incluant des modes de décisions collectifs nouveaux, plus sophistiqués, destinés à prendre en compte toutes les inter-connexions entre le social (incluant le sociétal), l’économie et l’environnement. Nous y revenons plus loin, car cela touche bien sûr les questions de la propriété et du pouvoir économique.

La décroissance

Au sein de l’écologie radicale, le mouvement de la décroissance plaide pour une remise en cause radicale de nos modes de production et de consommation, une rupture avec nos modes de vie présents.
La décroissance n’est pas une doctrine unifiée, mais elle indique une direction à prendre pour la société, en rupture avec la direction actuelle. Le choix du terme indique cependant que la caractéristique essentielle du système actuel serait la croissance ou le productivisme, et non pas l’appropriation par quelques-uns du travail de tous les autres, que nous appellons selon l’expression appropriée : l’exploitation capitaliste. Il y a là selon nous une vision centrée sur la conjoncture libérale, voire néolibérale, vision qui de fait ne s’intéresse pas à l’exploitation des personnes, ou en renvoie l’examen critique à l’extérieur du combat politique “central”.

Pour nous, la croissance qui épuise la planète, qui gâche les ressources, autour de laquelle se sont instaurés tous les systèmes de formatage des esprits à la consommation (notamment par la publicité), est la croissance liée à l’accumulation capitaliste. Son socle fondamental est l’exploitation de l’homme par l’homme, l’accaparement de la richesse produite par le travail humain, qui va avec le monopole de la décision économique par les propriétaires des moyens de production. Pour nous, toute croissance n’est certainement pas bonne à prendre, mais toute croissance n’est pas en elle-même, ou par nature, synonyme d’exploitation, de profit et d’abrutissement. Et nous avons évoqué le besoin d’un autre type de développement.

En plaçant “la” croissance au centre de la critique, les décroissants changent le point de focalisation et c’est alors en quelque sorte le capitalisme qui devient une sorte d’épiphénomène : c’est lui qui serait entraîné par la croissance, et non plus lui qui génèrerait le type de croissance actuelle, celle que nous subissons et qui cause les dommages environnementaux.

Pour notre part, comme pour certains décroissants qui se définissent comme des anticapitalistes, nous pensons possible d’associer la critique du système d’exploitation capitaliste et la mise en cause du productivisme et du consumérisme. Cela pose la question de savoir ce que serait la croissance dans une société post-capitaliste : d’une nature différente de celle d’aujourd’hui, basée sur d’autres indicateurs - économiques, sociaux, environnementaux… - visant une autre efficacité économique et sociale, un autre développement humain.

Nous voudrions attirer l’attention sur la pensée d’Herman Daly, ex-économiste de la banque mondiale [18], qui va au-delà d’une critique de la croissance. Il propose un cadre institutionnel et des outils économiques pour la société qu’il entrevoit. Pour lui, il n’y pas d’autres possibilités que “d’arrêter la croissance” pour atteindre un niveau stationnaire (Steady state) ; mais il a le mérite de ne pas faire croire qu’il existerait des solutions faciles à des problèmes difficiles, ou que les problèmes environnementaux causés par le capitalisme pourraient être résolus par quelques corrections de prix et des améliorations technologiques. Bien qu’il n’aille pas explicitement jusqu’à proposer de dépasser le capitalisme, il met en cause le système. Pour lui, il n’existe pas d’autres solutions que de passer par un niveau de planification très important et, par exemple, d’appliquer des quotas annuels d’exploitation des ressources naturelles. C’est par là que s’imposerait une limitation de la croissance, en accord avec une gestion saine des ressources naturelles. Reste qu’une telle logique nécessiterait de nouveaux critères de gestion pour une autre efficacité économique et sociale. 

C’est ainsi que la notion de planification, qu’abhorrent la plupart des économistes libéraux (comme Vaclas Klaus et son “évolution libre et spontanée de l’espèce humaine”), mérite d’être reprise et refondée. Nous pensons nécessaire de la sortir des oubliettes, de lui donner une chance nouvelle, sans rapport avec les pratiques répressives qu’ont connus les ex- pays socialistes au 20ème siècle, et fondamentalement démocratisée par rapport aux formes de planification qui existent en France.
Il s’agit fondamentalement d’inscrire les choix politiques, économiques et sociaux sur le temps long des mutations culturelles et structurelles, de la formation des besoins, de l’aménagement du territoire aussi, contre la frénésie capitaliste, consumériste et manipulatrice.

A la différence d’Herman Daly, il nous semble que la planification ne devrait pas être réservée aux seuls grands agrégats macro-économiques : les méthodes de planification peuvent être développées à tous les niveaux, et aller de pair avec une démocratisation radicale, contre une planification purement technocratique.

Communisme, révolution démocratique, planification participative

Au sommet de la terre à Rio, en 1992, les pays de Sud soulignaient que “la pauvreté est la première des pollutions”. Si on peut comprendre leur refus de passer par pertes et profits les exigences de développement économique et social, qui devraient selon certains passer derrière les exigences écologiques “vitales”, il y a derrière ce type d’agencement de priorités une impasse – une impasse voulue par les capitalistes et qu’ils ne peuvent affronter. On retrouve d’ailleurs ce type de logique dans des discours qui ont cette forme : pour envisager le développement économique et social, il faudrait d’abord préserver la planète, et l’on nous dit cela avant de nous inviter à taire les revendications sociales pour ne pas gêner le développement des exigences écologiques.

En fait, le capitalisme considère comme une contradiction inhérente à la vie humaine, impossible à transformer, ce qu’une politique d’émancipation doit au contraire prendre à bras-le-corps. Dans le système capitaliste, effectivement, les exigences écologiques et les exigences sociales sont à de nombreux égards contradictoires, de sorte qu’investir en faveur de l’une conduit à désinvestir l’autre, ne serait-ce que parce que l’objectif des capitalistes est toujours de maximiser les profits.

Une politique d’émancipation vise précisément à transformer cette contradiction en articulant étroitement avancées écologiques et avancées sociales, en élaborant une convergence fondamentale entre les deux sous le fronton de la recherche d’une meilleure qualité de vie et de relations humaines débarrassées de toutes les dominations. Soulignons qu’en parlant d’élaborer cette convergence fondamentale, nous ne la décrétons pas comme un retour à un ordre naturel qui serait gâché par l’homme. Nous soulignons au contraire qu’elle ne peut être qu’une construction humaine : la construction du monde de l’Homme, qui suppose dans notre visée le respect de la nature et du vivant en général.

En ce sens, nous sommes dans une autre logique que celle qui viserait à équilibrer avancées sociales et avancées écologiques, ou à opposer et à compenser les unes par les autres. Dans le monde que nous souhaitons, elles ne sont pas seulement non contradictoires, elles sont étroitement chevillées les unes aux autres. On voit bien en quel sens la notion de développement soutenable est pour nous hautement compatible avec l’hypothèse communiste.

Nous avons précédemment évoqué les enjeux majeurs du développement, et esquissé des pistes pour une transformation sociale et écologique. Nous avons notamment évoqué la nécessité de ne pas “nier” les “besoins” humains, tout en soulignant celle de s’émanciper du formatage des besoins par le système libéral. Dans cette perspective, nous pensons nécessaire de concevoir des évolutions différenciées de la production comme de la consommation de biens matériels.

Pour nous, il faut aller au-delà d’un simple objectif d’une “baisse globale” de la production de biens et de réduction des inégalités :
- On ne peut simplement produire et consommer moins ou mieux : pour produire autrement, il faut changer la finalité de la production, donc la propriété et le pouvoir économique : produire non pour faire du profit, mais pour que cela profite à chacun ;
- On ne peut pas simplement souhaiter la réduction des inégalités : elle suppose de mettre à bas les gigantesques machines à profit que sont les bourses et les firmes multinationales ; elle suppose le développement de services publics et de systèmes de solidarité, pour l’accès aux droits fondamentaux (eau, électricité, santé, logement, école…).

Ce ne sont pas là seulement des éléments de programme, même s’il est nécessaire de formuler des propositions concrètes et applicables ; ce sont des repères pour aller dans le sens d’une amélioration de la qualité de la vie.
Nous avons conscience que le mot communisme recouvre des sens divers, qu’il ne peut être défini exactement, et que de plus le mot est chargé par l’histoire. Nous l’utilisons cependant car, au delà de tous les usages du concept, il recouvre quelques propriétés communes essentielles à nos yeux. Communisme s’oppose à propriété privé et se réfère toujours à une gestion commune des biens communs, avec une extension large de ce que recouvrent les biens communs. Le communisme est une société sans classes, c’est-à-dire sans groupes humains jouant un rôle spécial dans la production, rôle tendant à se reproduire et qui les associe à un certain échelon social. Il n’y aura plus de rôle pour les détenteurs de ressources naturels ou de capitaux, car ceux-ci seront socialisés. Et il n’y aura plus non plus de “classe coordinatrice”, que ce soient les administrateurs de l’Etat ou les managers des entreprises privées.

Bien au-delà de seules considérations économiques, le communisme est aussi une société sans domination de genres, sans races, et sans pouvoir hiérarchique autoritaire (sans Etat au sens d’aujourd’hui), débarrassé de toute domination.

Le communisme est un processus global d’émancipation : il a vocation à intégrer à chaque moment les besoins humains nouveaux, les exigences nouvelles qui se manifestent au fur et à mesure des évolutions des sociétés. A l’évidence, nous ne sommes capables aujourd’hui que d’exprimer certaines ambitions, limitées. C’est en se sens que l’on peut dire, avec Marx, que le communisme est le mouvement réel qui abolit l’état actuel des choses.

Nous ne voulons ni de la planification centralisée, ni du marché, tels qu’ils ont existé ou existent encore aujourd’hui. Autant dire que nous sommes en zone “inconnue”, ce que Robin Hahnel, économiste radical américain, appelle un angle mort dans la pensée progressiste, lorsqu’il fait le constat de l’échec des expériences du 20ème siècle, qui n’ont pas permis aux travailleurs et aux consommateurs de se prendre en main eux-mêmes [19].

Nous savons en gros ce qui a échoué, à savoir des formes de transformation de l’Etat par le haut, non démocratiques, des régulations-conversions au libéralisme qui ont conduit à ne pas prendre en considération les alertes écologiques lancées depuis plus de trente ans, mais aussi un déficit d’ouverture aux initiatives de la “société civile” qui pourtant ne cesse de développer des expériences de mises en commun et des pratiques “communistes”.

Nous savons à peu près ce que nous ne voulons pas reproduire : des formes de délégation de pouvoir qui confinent à la dépossession systématique, mais aussi des formes de hiérarchisation des combats pour l’émancipation qui produisent de l’indifférence et reproduisent les négligences cyniques du capitalisme.

Nous savons quelque peu ce que nous cherchons  : outre le recul que nous avons sur les expériences des générations précédentes, nous concevons le combat écologique et le combat social au sein du combat d’émancipation, associant les préoccupations et les avancées écologiques et sociales. Et concernant la question des outils nécessaires à la politisation de la question écologique, nous sommes engagés dans des expériences nouvelles de confrontation-construction avec d’autres citoyens et militants - associatifs, syndicaux, politiques - aux parcours différents.

Texte rédigé en août 2009. Gilles Alfonsi et Julien Alapetite sont membres du PCF, de l’Association des communistes unitaires et de la Fédération pour une alternative sociale et écologique. Les auteurs remercient Michèle Kiintz pour sa relecture attentive et ses conseils.

Notes :

[2M. Griffon, Nourrir la planète, O. Jacob, Paris 2006

[3Serge Latouche, Survivre au développement, Mille et une nuits, 2004

[4Pour une argumentation détaillée sur ce sujet http://www.monde-diplomatique.fr/2004/07/HARRIBEY/11307

[5Michael Tanzer, Reducing CO2 Emissions. Towards a Quantitative Utopian Model, juillet 2009. http://www.zmag.org/znet/viewArticle/21993

[6Azar C., Ëmerging scarcities - Bioenergy-food competition in a carbon constrained world, in Scarcity and Growth Revisited. Resources for the future, RFF Press, Washington, 2005.

[7Rapport de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU, 1987. http://www.wikilivres.info/wiki/Rapport_Brundtland

[8Ce terme a malheureusement été traduit en français “développement durable” au lieu de “développement soutenable”

[11Repris de Limits To Growth, re-édition 2004, page 207

[12Voir par exemple Alain Lipietz, Qu’est ce que l’écologie politique ?, La Découverte, 1999

[13Aurélien Bernier, Le climat otage de la finance, Mille et une nuits, 2008.

[14Par exemple la taxe carbone proposé par Nicolas Sarkozy est à 32 euros la tonne de CO2, montant qui s’aligne sur les modèles les plus optimistes, et non pas sur d’autres modèles plus précautionneux, comme celui du rapport Stern qui préconise un taxe sept fois supérieure à ce montant !
(http://nordhaus.econ.yale.edu/nordhaus_stern_science.pdf). Par exemple, en Suède, la taxe se situe déjà à 110 euros par tonne (http://www.taxecarbone.info/taxation.html)

[15Pour une explication détaillée de ces processus voir Jean Pierre Berlan, La guerre au vivant, Agone, 2001

[16Alain Lipietz, Qu’est ce que l’écologie politique ?, La Découverte, 1999, page 106.

[17Une prise de conscience ne suffit pas pour pouvoir agir efficacement

[18Herman Daly, Steady-state economics, second edition, 1992.

[19Robin Hahnel, Overcoming Blind Spots In Left Vision : Participatory Planning, may 2009. http://www.zmag.org/znet/viewArticle/21474. Il écrit notamment : “Au début du 20ème siècle, la plupart des socialistes pensait qu’une fois que le capitalisme serait renversé, les travailleurs dans les différentes entreprises planifieraient ensemble sans grande difficulté. Mais l’histoire du socialisme du XXème siècle n’a rien à nous enseigner sinon que ce ne fut pas le cas. La planification par les producteurs associés ne s’est pas réalisée pour plusieurs raisons qu’il est important d’analyser en détail. Mais une des raisons est que ce n’est pas tout simplement pas facile pour des groupes de travailleurs et de consommateurs de planifier ensemble, contrairement à ce que les premiers socialistes présupposait. Prendre des décisions dans un conseil de quartier ou d’entreprise de manière non seulement démocratique mais aussi réellement participatif est déjà difficile. Mais travailler sur des procédures qui permettent aux différents conseils de quartiers et d’entreprise de garder une autonomie appropriée sur leur activité et, en même temps, planifier leur relation avec équité et efficacité est encore plus difficile. (...) Un des plus grands échecs intellectuels du XXème siècle fut qu’il nous laisse pratiquement sans idées sur comment aider les groupes de travailleurs et consommateurs à coordonner leur activité eux mêmes - de manière juste, efficiente et démocratique”.


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