C’est en effet le mot « conviction » qui va comme un gant quand on parle de Robin Renucci. Le théâtre, à cet homme-là, c’est sa conviction, sa foi, son engagement.
Cinéma et télévision lui ont fait les yeux doux (du premier me remonte le critique d’art de Escalier C, de la deuxième le docteur Larcher de la série Un village français). Quant au théâtre (quand je pense que j’ai raté Le soulier de satin à Avignon), deux temps forts : l’aventure théâtrale qu’il mène en Corse (dans les années 1990, il développe un festival de théâtre en Corse, l’île d’où est originaire sa famille) et celle qu’il effectue à la tête des “Tréteaux de France”.
Et c’est lorsqu’il est venu jouer à Nice L’école des femmes, mis en scène par Christian Schiaretti que nous l’avons rencontré. Nice qui est également un Centre Dramatique National – voir notre rencontre avec Irina Brook - comme les Tréteaux de France, sauf que celui-ci se distingue un peu de la trentaine des CDN répartis sur le territoire français. Jacques Barbarin.
Robin Renucci. C’est une institution qui a été fondé par Jean Danet avant de devenir un CDN. Jean Danet, qui était le « Phébus » de Notre Dame de Paris avec Anthony Quinn et Lola Lollobrigida gagnait beaucoup d’argent et avait envie de renouer avec la tradition théâtrale de l’itinérance, aller à la rencontre du public. Et, toute vedette qu’il était à cette époque, il cachait un homme de théâtre très humaniste, avec un désir de la rencontre. Il a créé cela en 1959, cela perdure. En 1972 le ministère de la culture lui donne le label “Centre dramatique national itinérant”, et il continue, parmi la trentaine des CDN existant aujourd’hui, en ayant perduré avec Jean Danet jusqu’en 2001. Puis ce fut Marcel Maréchal et moi-même depuis 2011.
Quelles sont les missions des “Tréteaux de France” ?
C’est une mission de service public de création, comme tous les CDN, et s’ajoute à cela les missions habituelles des CDN plus ou moins assumées selon, d’action culturelles, d’action artistiques, de formation, d’accompagnement des compagnies… Ce qui en fait la spécialité c’est d’aller à la rencontre de tous les publics et de ne pas avoir de toit sur sa tête, ces tréteaux qui font qu’il n’y a pas de sclérose, pas de lourdeurs, c’est l’itinérance qui me plait. Notre première mission est d’aller plutôt dans lez zones rurales. Mais aujourd’hui la France est un pays qui n’est pas équipé de la même manière qu’elle ne l’était en1959 : il y a des lieux partout. Le même spectacle que nous jouons ici peut aller dans un gymnase, dans une salle des fêtes, dans un lieu en plein air, bien sûr si le temps est clément… Bref, assumer notre mission du « partout », à la rencontre du public, là où il est.
Quelle est le type de programmation des Tréteaux de France ?
Je n’y suis que depuis deux ans. J’ai choisi ce que je voulais faire comme programme, avec une ligne de conduite qui passait par l’emprise des cerveaux, c’est à dire précisément comment nous cerveaux sont mis sous tutelle, aujourd’hui, comme d’ailleurs tout le temps. Ca a été la question de l’émancipation des hommes, de la liberté de penser par eux-mêmes. Tout ce qui altère la pensée me semble bon d’être critiqué, en tous cas analysé et relevé. C’est le cas pour Ruy Blas, avec Salluste qui vient s’insinuer dans le cerveau du jeune homme pour le pousser vers le sommet de l’état, d’en faire son pion dans la vengeance que ce Salluste a décidé d’assumer. C’est le cas de Mlle Julie, d’abord sous l’emprise de la noblesse, puis du cerveau de son valet qui l’emmène au suicide. C’est le cas de l’Ecole des femmes où Arnolphe croit posséder le cerveau de cette jeune fille. Et ça sera le cas de notre prochain spectacle, La leçon, de Ionesco, où le maître tue son élève.
L’école des femmes est mis en scène par Christian Schiaretti, qui dirige le Théâtre National Populaire de Villeurbanne. Quel est ce rapprochement, quelle est cette complicité entre Tréteaux de France et TNP ?
D’une certaine manière, ils ont la même origine, Firmin Gémier, en 1920 l’instigateur d’un théâtre-roulotte, qui partait sur les routes et qui était bien plus important que les théâtres de France. C’était même des trains, parfois, des déplacements très importants : c’était, en quelque sorte, les débuts de la décentralisation. Il a donné les lettres de noblesse au TNP, leur signe en tous cas. Christian et moi, nous avons cette filiation originelle, puis de choix de type de travail, plutôt langagier, plutôt fort en texte, avec une constance de la langue française, un désir de transmettre et de partager la langue comme bien commun et que le théâtre soit le plus dépouillé possible et le plus symbolique possible à travers sa langue. Dans un premier temps nous avons fait ce compagnonnage pendant la durée d’un mandat. L’avantage pour Christian c’est que j’assume cette mission de décentralisation « augmentée » puisque je peux donner une deuxième vie à un spectacle qui a été vu au TNP. Et puis nous sommes au cœur de la mission des Tréteaux de France, un théâtre d’art, un théâtre fort, qui me permet de ne pas avoir de troupe permanente mais de bénéficier de la permanence d’un autre CDN qui lui paie ces comédiens toute l’année.
Convaincu que « dans ce monde formaté, il est essentiel de redonner du sens aux utopies collectives et d’encourager le désir d’inventer, de créer des imaginaires… » (Robin Renucci, l’ardent insoumis aux Éditions de l’Attribut, 2006), il s’investit en Corse dans le développement d’un festival de théâtre et d’ateliers dramatiques dans la tradition de l’éducation populaire. Situées en Haute-Corse, dans la micro -région du Giussani, les activités de l’association Aria (Association des rencontres internationales artistiques, créée en 1998) visent aussi à la re-dynamisation d’un territoire du Parc Régional de Haute Corse en voie d’abandon...
Robin Renucci. A 16 ans, j’ai découvert les mouvements d’éducation populaire, leur force émancipatrice, leurs qualités esthétiques, de rigueur artisanale dans leur choix, la chance que j’ai eue avec les metteurs en scène, les directeurs qu’on appelait à l’époque des conseillers techniques et pédagogiques du ministère de la jeunesse et des sports m’ont permis d’acquérir une grande exigence du métier de comédien. J’ai fait mes premières classes dans les stages de réalisation d’éducation populaire d’éducation populaire : cela m’a emmené à l’école Dullin, puis au Conservatoire National. Je n’ai jamais perdu cette filiation avec cette origine–là.
Quelle a été votre démarche concernant votre travail en Corse ?
C’est une mission que j’ai assumé depuis dix-sept ans, maintenant, mission de militant de l’éducation artistique, de la transmission, de la formation que j’ai donc reçu de par mes origines de jeune homme dans l’éducation populaire. Et lorsque j’ai eu 40 ans, j’ai décidé de fonder en Corse une association dans les petits villages de montagne qui sont ceux de mon berceau maternel et dans un lieu très éloigné transformer des handicaps en atouts pour la résidence de comédiens mélangés avec des amateurs, des enseignants, des animateurs, des participants de pays étrangers, pour qu’ils soient en laboratoire de travail et surtout de réalisation de spectacle.
Comment se déroulent les formations ?
Elles durent de 3 à 4 semaines, et donnent lieu à chaque fois à des spectacles totalement réalisés, mis en chantier, et qui font que le public qui vient partager un théâtre fort, populaire, puissant dans sa démarche puisque c’est le public lui-même qui fait le théâtre. Il y a un grand avantage à travailler avec des enseignants et des amateurs : cela déplace un petit peu le cadre, les habitudes, les engagements… Cela dure depuis 17 ans, c’est ouvert à tous. Il y a des comédiens qui n’ont plus droit à des formations professionnelles et qui peuvent retrouver un cadre de travail, des amateurs qui ont rarement l’occasion de travailler avec des professionnels se retrouvent là à travailler sur le même plateau avec des professionnels, de même que des éducateurs, des enseignants de l’éducation nationale qui on tant besoin de formation aujourd’hui et qui sont loin de transmettre le théâtre, contrairement à ce qu’étaient les conseillers techniques et pédagogiques.
Pour en revenir au spectacle que vous avez présenté, à la toute fin de votre Ecole des femmes, une fois qu’il n’y a plus personne sur scène, Agnès, l’air un peu hésitante, sort par la porte centrale, celle de la maison où l’enserrait Arnolphe.
C’est le cas, je crois, de la question psychologique de la séquestration, c’est là où on l’a forcé à vivre et où elle va peut-être se remettre, dans un premier temps, avant d’affronter l’extérieur. Elle a été vendue deux fois, puis reprise par son père initial qui vient la réclamer à la fin. Le simple fait qu’elle revienne dans le lieu dans le lieu où elle peut faire le point, dans son lieu de réclusion, c’est ce qu’a voulu Christian, et qui est très juste, je trouve. On assiste à une lecture qui est très droite, qui nous rappelle la réclusion de certaines jeunes filles d’aujourd’hui et la manière dont elles sont maintenues par rapport au monde extérieur. Et l’émancipation de la femme, le rapport de l’égalité de la femme, la domination d’un cerveau sur un autre - tout cela est très lisible à travers une pièce qui se joue sur tréteaux, en costumes 17ème siècle - est en droit fil du travail de Molière. Et si donc Molière pariait sur l’intelligence du public à ce moment-là pour comprendre ce qu’il avait à raconter, cela serait triste qu’aujourd’hui nous ne misions pas sur cette intelligence. Intelligence que peuvent alimenter des faits divers comme le voile, qui a a une autre présence qu’à l’époque de Molière. C’est exactement ce qui est dit dans les maximes : il faut cacher son visage, ne pas attirer le regard sur soi, il faut baisser les yeux devant l’homme : on se retrouve dans une actualité assez brûlante.
Entretien réalisé par Jacques BARBARIN
Texte paru dans le blog www.ciaovivalaculture.com