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René Vautier, l’homme à la caméra rouge, tire sa casquette
Par Emile Breton

René Vautier est mort à 86 ans dans sa Bretagne. Cinéaste militant, anticolonialiste, résistant à 16 ans, communiste, 
on lui doit des films qui ont marqué des générations : Afrique 50, Avoir vingt ans dans les Aurès, Marée noire, colère rouge, Un homme est mort, sur la mort de l’ouvrier Édouard Mazé lors des manifestations et des grèves de Brest. C’était caméra au poing qu’il filmait le monde, toujours du côté de ses frères humains, combattant toutes les injustices.

Et d’abord son rire. Les histoires qu’il aimait raconter. Au mois de juillet 1976, il était l’invité des Semaines cinéma de la Nouvelle Critique à Avignon. On y présentait le film qu’il avait réalisé avec Nicole Le Garrec, Quand tu disais Valéry. Valéry, c’était le président de la République d’alors, Giscard d’Estaing, et le film suivait la longue grève des ouvriers d’une usine de caravanes de Trignac en Bretagne. On entend bien ce que pouvait dire ce président de la civilisation des loisirs dans laquelle entrait selon lui la France et ce qu’avait de symbolique la colère de ceux qui fabriquaient les camping-cars de l’évasion promise. «  Pour raconter le triste, fais du Charlot  », a écrit René Vautier dans ses mémoires, Caméra citoyenne (Apogée, 1998). Et le film, airs d’accordéon sur images de lutte, était une joyeuse incitation à ne pas accepter les évidences.

« On voit bien qu’ils n’y ont pas été souvent, en mer  »

Pour le débat qui suivait le film, on l’attendait sur les revendications ouvrières, sur la censure qui tant de fois l’avait frappé et contre laquelle il avait fait trois ans plus tôt, pour ses films, mais aussi pour tous ceux qui en avaient été victimes, une grève de la faim de trente et un jours. Il commença par une histoire de sa jeunesse, alors qu’il avait embarqué sur un chalutier. Ayant entendu un marin, à la poulaine, ce lieu d’où l’on peut soulager ses intestins directement dans la mer, réciter Oceano Nox de Victor Hugo, il avait, disait-il, admiré la culture de l’un de ces prolos de la mer avant de découvrir que le marin poète avait arraché une page de livre pour se torcher le cul et la lisait pour passer le temps. «  Ces poètes, avait dit le lyrique matelot, qu’est-ce qu’ils vont chercher quand même, on voit bien qu’ils n’y ont pas été souvent, en mer.  » Ainsi Vautier concluait son histoire. Bonheur auquel il ne résistait jamais, de conquérir un auditoire. Mais plus que cela sans doute  : façon de dire qu’un cinéaste est d’abord celui qui n’est pas dupe. Racontant, dans son livre cité plus haut, comment lycéen de dix-sept ans, agent de liaison du maquis, il avait repris dans un tract un poème de Claudel sur «  la beauté des jeunes morts de vingt ans  » pour saluer trois de ses camarades tombés sous les balles allemandes, le responsable de son groupe, qui n’avait que trois ans de plus que lui, lui avait demandé où il avait été pêcher cette beauté-là et conclu  : «  Tâche plus tard de te contenter de montrer de vraies images plutôt que de colporter de fausses histoires   ». « Ça m’a marqué, poursuit-il, et dès que, de retour des derniers combats dans la presqu’île de Crozon, j’ai eu en poche mon baccalauréat, les copains ont décrété que l’endroit où l’on apprenait à faire des images de la réalité, c’était une école de cinéma. Et l’on m’a expédié à Paris avec mission d’être reçu au concours d’entrée à l’Institut des hautes études cinématographiques, pour devenir documentariste.  »

Sans doute y a-t-il, dans ce rapide panoramique sur son entrée en cinéma, une part de légende, mais ses films sont bien ainsi  : engagés, militants, partisans, tout ce qu’on veut, mais lucides. C’est ce qui fait qu’il ne fut jamais un «  documentariste  » attentif au seul réel visible, mais un observateur au regard aigu. La très respectable Ligue de l’enseignement, qui, en 1957, l’envoya en Afrique tourner un film sur l’école, fit la première les frais de cette lucidité. Ses commanditaires attendaient un film à la gloire de la mission éducatrice de la France. Ils eurent Afrique 50, un brûlot anticolonialiste tourné hors de tout circuit officiel, disant le délaissement et la révolte. Interdit, bien sûr, mais qui circula comme il avait été tourné. Clandestinement. Et, pour lui, la prison militaire à Saint-Maixent et Niederlahnstein, en zone française d’occupation en Allemagne. Puis il y eut l’Algérie, et Algérie en flammes (1957-1958). Interdit encore  : c’était la guerre vue des maquis algériens. Et treize ans plus tard, Avoir vingt ans dans les Aurès, prix international de la critique au Festival de Cannes. Et la France, du court-métrage Un homme est mort (1951) aux années 1970, de grèves en marée noire. Et des films sur l’apartheid en Afrique du Sud, sur sa Bretagne. Et la direction du Centre audiovisuel d’Alger après l’indépendance. Et la télévision scolaire. Et l’Unité cinéma Bretagne. Et… Une vie d’aventures, pourrait-on dire. Lui rigole. «  Pendant dix ans nous avons œuvré comme nous l’entendions, caméra au poing, écrit-il en conclusion de ses mémoires, les cinéastes africains n’oubliaient ni Afrique 50 ni le scénario de l’Aube des damnés et profitaient de leurs indépendances, relatives, pour se battre en exprimant leurs problèmes, sans négliger, et je les en remercie, les clins d’œil de connivence, à Ouagadougou ou ailleurs, au grand-papa Vautier.  »

Dernière rencontre avec René  : en octobre 2011, le magazine Bref avait organisé des rencontres de cinéastes de générations différentes. Sylvain George, qui venait de réaliser Qu’ils reposent en révolte, sur les migrants de Calais, avait souhaité rencontrer René Vautier. J’organisai la rencontre. Elle eut lieu à Cancale, dans la maison de granit de ce dernier, au bout de l’avenue Thiers – «  Oui, le fusilleur de la Commune  », avait-il précisé au téléphone. On parla beaucoup dans la cuisine, puis sur la terrasse avec vue sur la baie où somnolaient des bateaux de pêche à l’ancre. Et dans la cave transformée en studio. Il tenait à nous montrer, sur YouTube, des images piratées de son Afrique 50. Des jeunes gens en effet avaient utilisé ces images en contrepoint visuel du fameux discours de Sarkozy sur «  le drame de l’Afrique, (où) l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire  ». Vautier, loin de s’indigner du piratage, aimait ce passage de relais, de sa caméra Bolex de l’époque à la vidéo d’aujourd’hui  : «  C’est assez ravageur, dit-il. Je ne sais pas qui l’a fait, mais ça me réjouit car ma dénonciation du colonialisme trouve là une nouvelle jeunesse.  »

C’était un beau jour d’automne à Cancale. La conversation se poursuivit dans les rues, au bistrot sur la place de l’église, en attendant le car de Saint-Malo et à cette rencontre, me vint l’envie de donner le titre, qui était le dernier mot de ses mémoires  : «  Grand largue et tout l’monde su’l’pont.  »

Article paru dans L’Humanité le 6 janvier 205
www.humanite.fr


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