Le livre de Rudolph Herzog est au nombre de ces ouvrages qui approfondissent notre perception de l’Allemagne au temps des nazis. Si quantité de livres existaient déjà sur les dirigeants nazis, la guerre et le génocide, les questions sociales, culturelles, économiques font davantage irruption chez les libraires, tel l’excellent Le salaire de la destruction de Tooze, et c’est heureux. La vie du peuple, son rapport au pouvoir, constituent des éléments essentiels de notre compréhension des mécanismes qui ont permis l’horreur.
Bergson estimait que le rire découlait des raideurs et inadaptations d’un sujet ou d’un groupe qui menaçait la vie sociale. Sa fonction sanctionnait alors ces déviances. Herzog, au travers de la quinzaine d’années qui va de la montée à l’effondrement du régime nazi, nous fait la démonstration de la justesse du propos. Oui, les Allemands riaient, se gaussaient de leurs dirigeants - Goering, Goebbels et bien sûr Hitler - mais cette critique, loin de conduire à la contestation et à la rébellion, servait de soupape, de défouloir face à un régime qui ne prêtait pas à rire. Une sorte de réflexe de survie qui permettait de supporter l’existence. Si certains payèrent de leur vie leurs bons mots, ce fut plus surtout parce que leur personnalité représentait un danger pour le régime, le calembour n’offrant que le prétexte à la condamnation. Déjà Bertolt Brecht écrivait en 1933 : « Ô Allemagne – On rit en entendant les discours qui résonnent dans ta maison – Mais dès qu’on t’aperçoit, on prend son couteau. »
Et plus incroyable, l’humour des Juifs sur leur sort ! Les exemples sont effrayants, leur humour est noir comme l’encre du livre. Mais il indique au-delà de la volonté d’exister, de vivre, de se donner du courage, le degré de connaissance de l’ensemble de la population sur la réalité de la Shoah. Non, nul ne pouvait ignorer la fumée des crématoires, les chambres à gaz, puisque elles faisaient partie des blagues à mourir d’autre chose que de rire.
Herzog répond aussi à la question - purement morale - « peut-on rire de tout ? » en terminant son ouvrage sur le film de Roberto Benigni, La vie est belle.
Ce livre, écrit sur la base de témoignages, riche d’une époustouflante documentation, est indispensable. Il fait l’objet d’un film de la BBC, Laughing with Hitler, que nous aimerions voir sur nos écrans. Terminons ce propos par une citation de Goebbels : « L’humour politique sera éradiqué, et ce de fond en comble ». A se tordre de rigolade !
Rire et résistance. Humour sous le troisième Reich, par Rudolph Herzog. Trad. de l’allemand par Robert Darquenne. Michalon, 296 p., 23 euros.