Ecrivain et universitaire, Robert Abirached est né en 1930 à Beyrouth. Après des études au lycée Louis le Grand, il entre à l’Ecole normale supérieure, puis devient agrégé de lettres classiques et docteur ès lettres. Il entame alors une brillante carrière dans la recherche, l’enseignement et l’administration : chargé d’enseignement, maître de conférence, professeur titulaire à l’université de Caen, conseiller technique au cabinet du ministre de la culture (1981), directeur du théâtre et des spectacles au ministre de la culture (1981-88), professeur au conservatoire national supérieur d’art dramatique, Président du Festival international des francophonies et de l’Observatoire des politiques culturelles... Son expérience du théâtre ne se limite pas à ses fonctions : il a aussi écrit quelques essais dont La crise du personnage dans le théâtre moderne [1]et Le Théâtre et le prince [2]
Il est également vice-président de l’Institut International de Théâtre Méditerranéen [3]. C’est au cours des dernières rencontres de l’IITM, au Théâtre Toursky, que nous l’avons interviewé. Universitaire, essayiste, ayant exercé des fonctions au ministère de la culture, il nous semble tout indiqué pour nous parler de la situation du théâtre en France.
Le 14 mai, il ouvrait les débats d’une journée de réflexion, un peu « à l’improvisade », remplaçant un Richard Martin qui n’était pas encore arrivé. Mais une improvisation de Robert Abirached ça ne se refuse pas, voire ça se déguste tant il connaît son domaine.
Jacques Barbarin : Monsieur Abirached, vous avez parlé, lors de votre intervention, du tournant qu’a connu la politique culturelle française dans les 50 dernières années.
Robert Abirached : Cela commence dans les années cinquante, à la création de la décentralisation par Jeanne Laurent, l’émergence et la prise du pouvoir par les principaux disciples de Copeau, depuis Jean Dasté jusqu’à Gabriel Monnet. Aujourd’hui – et depuis plus de 15 ans- on a toutes raisons de croire que ce cycle, qui mettait en avant une politique culturelle faite pour la démocratisation de l’art, c’est à dire une manière de faire venir vers des publics de plus en plus large les grandes œuvres de l’esprit, de l’imaginaire… Cela fait partie d’une politique générale. On voyait un André Malraux à l’Assemblée Nationale refuser de censurer Les paravents. On a fait un maillage de la France, qui a été achevé entre 1980 et 1990 en salles, en lieux de travail, modernes, opératoires. Il y avait une marche en avant motivée idéologiquement, ce qui ne veut pas dire soumis à des diktats partisans. Or avec la fin – tous partis confondus – d’une république issue de la résistance, on est passé, sans presque le dire et sans presque le sentir, depuis – je dis pour simplifier depuis 2005 à une sorte de privatisation de la culture dans les esprits.
Ce tournant se caractérise comment ?
Maintenant la seule chose que l’on demande c’est le nombre de personnes qui entre dans une salle, on ne demande pas autre chose, il n’y a pas d’autre critère. Quand le président de la république veut faire plaisir à son peuple, il donne 400.000 euros pour faire chanter Johnny Halliday au Champ-de-Mars, retiré au budget de la Culture, avec parfois une comédie navrante comme le fait qu’on « vide » Olivier Py de l’Odéon. On lui donne le Festival d’Avignon, ce qui est le pire de tout : c’est aussi peu motivé que son éviction, il n’y a eu aucune recherche, aucun appel, c’est le fait du prince. Il y a aussi la première dame, qui contribue aux nominations, parce qu’elle connait un tel ou un tel. On retombe vers un népotisme. On en vient à des choses inouïes : quelqu’un a été nommé à Marseille et, parce qu’il y a opposition du Château on le dé-nomme la veille du jour ou devait paraître le communiqué pour mettre Macha Makaieff, femme de Jérôme Deschamps, qui a déjà l’Opéra Comique. On nomme à Toulon les deux frères Berling parce que l’un d’eux est proche du Château. Tout est en train d’être démoli pierre après pierre.
En écoutant les premiers intervenants de ces rencontres, j’ai eu l’impression qu’apparaissaient des points communs : baisse des subventions, déconsidération de politique pour la culture, xénophobie. Quel peut-être le rôle de l’IITM ?
Je plaide pour que l’IITM aujourd’hui fasse une réflexion commune : il y a des choses fondamentales dans la société qui la portent vers l’extrême droite et qui la portent vers un déni absolu de toutes les méthodes issues de la précédente période. C’est pour cela que je parle d’un cycle qui se termine. Un nouveau cycle s’ouvre sous le vague insigne de la mondialisation et de l’hyper libéralisme et qui peut détruire dans tous les pays européens ce qui est quand même l’une de leurs caractéristiques les plus importantes. Les révolutions émergentes ont le plus grand besoin de l’appui des intellectuels, des artistes. Il faudrait donc que l’IITM pense de nouveau à sa vocation internationale, qui aille au-delà des solidarités et qui essaye de savoir ce qui les menace. C’est absolument partout pareil ! Les forces de rénovations existent tant dans le théâtre que dans la pensée sur le théâtre. L’IITM ne peut pas rester seul à chanter sa chanson, même si elle est magnifique.
Propos recueillis par Jacques Barbarin. Mai 2011