Aujourd'hui, nous sommes le :
Page d'accueil » Idées » Histoire » Russie : quand le jour de la victoire éclaire le (...)
Version imprimable de cet article Version imprimable
Russie : quand le jour de la victoire éclaire le présent
Bernard Frederick revient sur les 8 et 9 mai 1945

Comme chaque année, la Russie s’apprête à célébrer le 9 mai le Dien pobiédi – le jour de la Victoire. Chaque fois, c’est le même faste, la même passion, la même émotion : 26 ou 27 millions de morts dont 18 millions de civiles, qui peut oublier ?

Mais cette année, ce sera différent. D’une part parce que planera sur ces festivités et la parade de la place Rouge, l’inquiétude des Russes pour leurs « frères » d’Ukraine en même temps que leur fierté du rattachement de la Crimée, de part la volonté des électeurs de la péninsule, et celle non moins grande de leur nouvelle résistance face à la russophobie de l’Occident. D’autre part, parce que l’an prochain ce sera le 70ème anniversaire de la reddition allemande, et que ce haut fait d’armes prend également un sens particulier alors que dans la partie occidentale de l’Ukraine des groupes néonazis paradent sous l’uniforme des SS et célèbrent leurs chefs d’autrefois qui combattirent les héros de la « Grande guerre patriotique » - Великая Отечественная война -, assassinèrent nombre de civiles ukrainiens, biélorusses, polonais et juifs.

Si l’on veut comprendre la position de la Russie et de son président face à la crise ouverte par l’ingérence des Occidentaux dans la crise ukrainienne et leur soutien à la coalition de droite et d’extrême droite anti-russe au pouvoir à Kiev depuis le 22 février, il faut se replonger, ou se plonger, dans ce que furent au quotidien les quatre années terribles qui séparent l’agression nazie du 22 juin 1941 de l’assaut soviétique contre le Reichstag, sur le toit duquel des soldats rouges, immortalisés par le photographe Evgueni Khaldeï, plantèrent sous les balles le 2 mai 1945, le drapeau soviétique.

De nombreux ouvrages peuvent aider à entreprendre ce voyage dans le temps. J’en retiens deux, directement liés aux événements d’avril-mai 1945 et ce fameux Dien pobiedi. Il s’agit d’histoires militaires, écrites par un spécialiste excellent connaisseur de la Seconde Guerre mondiale et de son front Est : Jean Lopez à qui l’on doit de forts volumes sur les batailles de Koursk, Stalingrad et Berlin [1] – qui nous occupe aujourd’hui – et, qui, en collaboration avec Lasha Otkhmezuri, d’origine géorgienne, conseiller de la rédaction de la revue Guerre et histoire, fondée par son complice, a publié l’an passé, une somme biographique sur la maréchal Joukov, le tombeur de Berlin [2].

" Quel que soit le jugement porté, il semble impossible de refuser une chose à l’Armée rouge : aucune autre armée au monde n’aurait pu, à résistance égale de l’adversaire, réaliser ce qu’elle a réalisé à Berlin "

Entre Berlin et Joukov, les filiations sont évidemment grandes lorsqu’il s’agit de la bataille finale proprement dite, même si, d’une part, la biographie du maréchal Joukov suit le fil de sa vie de sa naissance le 19 novembre 1896 (1er décembre de notre calendrier) jusqu’à sa mort le 18 juin 1974 - 40 ans en juin !- et d’autre part, Jean Lopez a continué de fouiner dans les archives durant les trois ans qui séparent les deux ouvrages. La conclusion que l’auteur tire s’agissant du dernier assaut de la guerre est cependant strictement la même au mot près. Lopez n’a aucun doute : « Quel que soit le jugement porté, il semble impossible de refuser une chose à l’Armée rouge : aucune autre armée au monde n’aurait pu, à résistance égale de l’adversaire, réaliser ce qu’elle a réalisé à Berlin » (Berlin) et il ajoute après « réalisé » : « en dix jours » ( Joukov).

Dix jours d’enfer, entre le 21 avril et le 2 mai, dans un Berlin en ruine où les nazis ont mobilisé des enfants remplis d’une haine totale et qui vont faire payer cher aux soviétiques leur victoire.

Lopez nous conduit par le détail au cœur de la fournaise tout en nous éclairant sur les affaires d’hommes – orgueil, préjugés, jalousie, doutes – et les déterminants politiques. Ces derniers sont ceux de Staline. Alors que la guerre s’achève, que les Alliés ont enfin ouvert ce second front que le Kremlin réclamait depuis près de deux ans, Staline craint qu’Allemands et Occidentaux – Anglais surtout – ne s’entendent sur le dos des Soviétiques. Malgré les dénégations de ses « alliés », il sait grâce à ses services ou aux fuites que des contactes ont eu lieu entre des militaires de la Wehrmacht et les forces britanniques voire américaines. « Pourquoi, note Lopez (Joukov) en Italie, les services secrets américains d’Allen Dulles mènent-ils des conversations avec l’Obergruppenführer SS Karl Walff, conversations dont les Soviétiques sont écartés ? Que penser des tentatives de prises de contact de Göring, de celles de Ribbentrop ou de Himler, toutes adressées à l’Ouest ? ». Churchill de son côté, contrairement à Roosevelt, ne veut pas faire un croix sur la Pologne qu’il dispute à Staline pas seulement par des moyens diplomatiques.
Fin mars 1945, Américains et Britanniques victimes pendant plusieurs semaines des contre-attaques allemandes, notamment dans les Ardennes, se dégagent. La route de Berlin leur est ouverte. L’Armée rouge est en plein nettoyage de ses flancs, notamment au nord le long de la Baltique. Ses forces sont dispersées. Staline veut à tous prix atteindre la capitale du Reich avant les Alliés. Le généralissime a d’autres préoccupations : Joukov ! La popularité de celui-ci est des plus grandes depuis qu’il a stoppé les Allemands devant Moscou et les a liquidés à Stalingrad. Staline joue avec lui au chat et à la souris : promotions - rétrogradations - promotions. En soldat, Joukov accepte mais n’en pense pas moins. Il sait aussi sinon désobéir, prendre des initiatives sans en parler. Que se passera-t-il après la guerre ? Staline choisit d’imposer à Joukov une double concurrence : celle des Alliés – il faut être à Berlin avant eux – et celle de ses collègues ou plutôt de son collègue le maréchal Koniev. Lequel des deux prendra Berlin ou plus précisément le Reichstag ? D’ordres en contre-ordres le Kremlin pousse l’un et l’autre, l’un contre l’autre avant de faire de Joukov le champion en même temps qu’il lui est ordonné de prendre à l’issue des derniers combats le commandement de la zone soviétique toute entière, ainsi, il ne rentrera pas à Moscou. Mais Staline lui confiera tout de même l’honneur de passer les troupes en revue lors de la parade de la victoire le 24 juin 1945 à 10 heures, sur la place Rouge, où Joukov arrive sur un cheval blanc.

Donc, Koniev et Joukov convergent à marche forcée vers le centre de Berlin, le premier par le sud, le second par l’Est et le Nord. Si ce sont bien les troupes de Joukov qui vont planter le drapeau rouge sur le Reichstag, qui a remporté la victoire ? Ni Koniev ni Joukov. Les soldats de l’Armée rouge, harassés, les yeux et l’âme emplis des images et des témoignages des atrocités commises par les nazis et leurs acolytes sur des milliers de kilomètres des faubourgs de Moscou aux rives de l’Oder.

Cinq jours après la prise de Berlin, les Allemands signent l’armistice avec les Alliés, Eisenhower en tête, et un représentant soviétique, le général soviétique Sousloparov à…Reims ! Staline est furieux. Il appelle Joukov : « C’est le peuple soviétique qui a porté sur ses épaules la plus grande partie du poids de la guerre. La capitulation doit donc être signée devant le commandement supérieur de tous les pays de la coalition antihitlérienne et non devant le seul commandement suprême des troupes alliées » Staline continue s’adressant à l’ancien chef d’Etat-major de l’Armée rouge : « Vous êtes nommé représentant du commandement suprême des troupes soviétiques » [3].
La capitulation définitive , présidée par Joukov, eu donc lieu dans la nuit du 8 au 9 mai à 0 h 16 heure russe (23 h 16 heure de l’Ouest), dans une villa de Karlshorst dans la banlieue Est de Berlin, en présence des représentants de l’URSS, de la Grande-Bretagne, de la France et des États-Unis. Les représentants du Haut commandement allemand, dirigés par le maréchal Wilhelm Keitel, signèrent l’acte de reddition qui entra en vigueur à 23 h 01, heure locale, soit le 9 mai à 1 h 01, heure de Moscou. C’est pourquoi pour les Russes et les anciennes Républiques de l’URSS qui le commémorent encore le Dien pobiedi est le 9 mai.

A lire également sur le site :

-  Un peuple au combat, à propos du livre d’Alexandre Werth La Russie en guerre .
-  Opération Barbarossa : le Blitzkrieg de Russie n’aura pas lieu
-  L’armée juste. Réflexions sur le livre Berlin. Les offensives géantes de l’Armée rouge. Vistule, Oder, Elbe de Jean Lopez.

Notes :

[1Editions Economica, Paris 2008 et 2010.

[2Joukov, l’homme qui a vaincu Hitler, Perrin, Paris 2013

[3Cité par J. Lopez in Joukov


Rechercher

Fil RSS

Pour suivre la vie de ce site, syndiquez ce flux RSS 2.0 (lisible dans n'importe quel lecteur de news au format XML/RSS).

S'inscrire à ce fil S'inscrire à ce fil