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Si on liquidait l’homme ?
Thierry Blin a lu "Il était une fois le dernier homme" de Dany-Robert Dufour

Le rêve des puissants de créer une « surhumanité » à leur service compromet aujourd’hui la survie de l’espèce. Que faire si nous refusons ce risque d’en finir avec le genre humain ?

L’homme est, constitutivement, faible, inachevé. Et c’est pourtant de cette faiblesse que l’espèce tire sa supériorité sur toutes les autres. Partant de ce paradoxe fondateur, Dany-Robert Dufour lance, avec Il était une fois le dernier homme, un nouvel avertissement aux allures de conte philosophique.

Si l’on veut bien être lucide, on ne peut en effet que constater que cet être est un « néotène ». Une créature née avant terme, bâclée, à l’enfance et à la juvénilité abominablement longues, à tel point qu’elle n’en finit pas de se fourrer dans les jupes éducatives de sa mère ! Conséquence capitale : là où l’animal est immédiatement présent à son environnement, l’homme bricole. Il fait dans l’artifice. Bref, prenez un animal incomplet, habillez-le d’inventions techniques, installez interdits et civilisation à tous les étages, et vous obtiendrez l’Homo sapiens sapiens.

Jusque-là, pas de problème me direz-vous. Seulement voilà, certains en viennent maintenant, avec une solide audience outre-Atlantique, à se donner pour horizon une surhumanité. Prenez le soldat moyen. Les évolutions technologiques ne pourraient-elles pas permettre d’améliorer ici sa vue, là de lutter contre le fait qu’il est lamentablement sujet à la fatigue ? Vous êtes déjà, en permanence, amélioré par la technique : Google est une phénoménale mémoire accessible en un clic. Certains d’entre vous portent un pacemaker. Pourquoi diable votre mémoire ne serait-elle pas augmentée par une nanopuce ? Pourquoi les biotechnologies ne donneraient-elles pas vie à l’idéal d’effacement des handicaps, des maladies, du vieillissement, et, puisqu’ici on ne lésine pas sur les ambitions, de la mort ?

Au premier abord, on serait tenté d’enterrer l’affaire au rayon science-fiction. On aurait tort. Depuis 2009, les tenants de cette surhumanité, autobaptisés transhumanistes, organisent même une « université d’été de la singularité » (Singularity University), où Google et la Nasa mettent la main à la poche… On pourrait même dire qu’il y a là matière à nourrir l’utopie d’une civilisation du tout-à-l’ego, où chacun se composera librement, par la grâce de ce que Peter Sloterdijk nomme, pour s’en féliciter, des « automanipulations biotechnologiques ».

Avec deux bémols notoires. Tout le monde n’aura pas nécessairement les moyens de jouer la partition du héros « trans » par excellence, Michael Jackson, ni homme ni femme, ni adulte ni enfant, ni noir ni blanc… Ainsi équipée, la gueule de l’humain sera-t-elle encore humaine ?

Critique publiée dans l’Humanité du 6 Février 2013

Il était une fois le dernier homme, de Dany-Robert Dufour. Éditions Denoël, 2012, 224 pages, 18,50 euros.

Thierry Blin, maître de conférences en sociologie, est l’auteur de l’Invention des sans-papiers. Essai sur la démocratie à l’épreuve du faible (PUF, 2010).


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