Pour Jean-Luc Mélenchon, en matière d’énergie, « la vraie solution, c’est le remplacement du nucléaire. La sortie est réaliste. Etalée dans le temps, elle est jouable » (« extraits chocs » de son dernier livre publiés dans la pleine page de Direct matin du 11 octobre qui lui est consacrée).
Une fois de plus c’est donc la sortie du nucléaire qui est posée comme une priorité et non la sortie des énergies fossiles.
Les risques inhérents à l’énergie nucléaire civile sont indéniables [1]. Mais ils ne sont pas du même ordre que le danger que fait courir la poursuite de la combustion effrénée des ressources fossiles et les émissions de gaz à effet de serre qu’elle entraîne . Avec le danger « carbonique », nous avons à faire à un danger global pour les équilibres de la biosphère, pour les activités de milliards d’hommes, pour l’humanité. On dira : « sortie du nucléaire et sortie des énergies fossiles sont conciliables ». Une telle position n’est pas réaliste dès lors que l’on regarde les choses concrètement, en fonction de l’état actuel de la société et de la technique. Ainsi, à ce jour, l’énergie éolienne, présentée comme une panacée par les tenants de la sortie du nucléaire, n’est ni régulière, ni stockable, et ne pourra donc répondre à l’augmentation de la consommation électrique qu’appellent de leurs vœux les partisans de la substitution des transports par rail aux transports par route et au transport aérien intérieur, générateurs de gaz à effet de serre. Pire, l’essor de l’énergie éolienne peut aller de pair avec l’augmentation de la consommation de charbon, comme cela a été le cas par exemple en Espagne et en Allemagne pour fournir l’électricité aux périodes où il n’y a pas de vent. Ajoutons encore que même en Allemagne les énergies renouvelables ne couvrent que 7 % des besoins.
Jean-Luc Mélenchon sait bien toute l’ambiguïté que peuvent recouvrir les mots de « sortie du nucléaire », au vu de l’expérience allemande. Il n’est en effet question pour personne de démanteler rapidement les centrales nucléaires, ce qui aurait des coûts faramineux. Mais cette position sert sa stratégie politique visant à jeter constamment des ponts vers le NPA et sans doute à gagner des forces pour le parti de gauche parmi les militants anti-nucléaires qui ne se retrouvent pas dans Europe Ecologie.
On en conviendra, ces questions ne sont pas mineures, d’autant que le nucléaire est dans notre pays l’un des secteurs industriel qui a globalement échappé à la politique de renoncement des forces dominantes. C’est pourquoi l’absence de réaction de la direction du Parti Communiste Français face aux prises de positions répétées du Parti de Gauche contre le nucléaire fait problème. Sur le fond mais aussi quant à la manière dont il compte travailler à l’élaboration du programme annoncé pour le front de gauche : alors qu’il affiche la volonté d’un large débat à ce sujet, de fait, prévaut le souci d’éviter toute confrontation publique avec le Parti de Gauche.
C’est d’autant plus dommageable que la pression d’Europe Ecologie sur le PS ne semble pas sans effet dans ce domaine. Ainsi, dans l’Humanité du 23 août, à la question d’un journaliste « pensez vous qu’il sera possible de surmonter d’ici à 2012 les divergences qui subsistent avec vos partenaires sur l’énergie, les transports ? », la secrétaire des Verts Cécile Duflot répond « il faut poser la question au PCF. Les socialistes sont en réflexion sur le sujet ».
Dans ce contexte, la « sortie » du nucléaire s’avérant impossible à court terme, il est à craindre que ce soit surtout des décisions ayant valeur de symbole mais compromettant l’avenir qui soient prises par un gouvernement de gauche qui voudrait mettre de son côté, ou neutraliser, les « anti-nucléaires », comme Lionel Jospin l’avait fait avec l’abandon de Superphénix.
En premier lieu, c’est le nouveau réacteur nucléaire, l’EPR, qui serait menacé. Le nucléaire serait-il plus sûr sans l’EPR ? On peut penser le contraire puisque c’est notamment la sophistication des dispositifs de sécurité qui est à l’origine des surcoûts constatés. C’est si vrai qu’à mot couvert le rapport Roussely, commandé par le Président de la République, propose pour mieux exporter des centrales nucléaires de revoir à la baisse les dispositifs de sécurité par rapport à l’EPR : « La seule logique raisonnable ne peut pas être une croissance continue des exigences de sûreté. Dans ce contexte, il est proposé de lancer, sous la responsabilité de l’Etat, un groupe de travail dont la mission serait de formuler des propositions en vue d’associer au mieux exigences de sûreté et contraintes économiques, en incluant une vision internationale, a minima européenne ». Quoi qu’il en soit, il y aurait donc fort à craindre qu’un abandon de l’EPR se fasse au profit de soit de centrales moins sure conçue par d’autres pays, Chine, Corée du Sud, Russie… Ou de centrales plus voraces en uranium que ne l’est l’EPR, plus économe dans ce domaine que les centrales actuelles, ce qui serait contradictoire avec la volonté de d’économiser sur cette ressource.
En second lieu, la menace pourrait se porter sur l’investissement dans les technologies d’avenir. Dans Le Monde du 10 août, peu avant sa mort, Georges Charpak, avec les physiciens Jacques Treiner et Sébastien Balibar appelait à reconstruire une « centrale de type G-IV afin d’améliorer ce que Superphénix nous a déjà appris » et à « accélérer la recherche sur d’autres centrales G-IV dites à sels fondus, utilisant du thorium, un élément abondant et dont l’utilisation pose moins de problèmes de prolifération que l’uranium et le plutonium. » Il s’inquiétait qu’à l’échelle mondiale, les crédits de recherche concernant G-IV soit dix fois moins importants que ceux alloués à ITER, que les seuls pays qui construisent des centrales de ce types soient les Russes, les Japonais, les Indiens. Un gouvernement de gauche aura-t-il le courage d’assumer le choix de travailler à ces technologies ? Encore une fois, il s’agit là d’une question majeure.
14 octobre 2010
Lire également l’article Danger nucléaire et danger carbonique
[1] Il est utile de signaler ce que relève James Lovelock dans La revanche de Gaïa, à propos des essais atmosphériques d’armes nucléaires : alors que l’année 1962 a été marquée par la libération dans l’atmosphère d’une radio-activité équivalent à deux Tchernobyls par semaine pendant un an, il n’y a pas eu de catastrophe sanitaire cette année-là et l’espérance de vie a continué à progresser, comme les années suivantes. Voir sur ce site La revanche de Gaia