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Sous verrou américain, l’Ukraine de Zelenski entre dérives et aveuglement...
Par Jean Geronimo

Avertissement
Objectivement condamnable au regard de sa violation flagrante des lois internationales sur la souveraineté des états, la guerre déclenchée par la Russie ne doit cependant pas cacher les dérives dictatoriales du régime ukrainien, souvent occultées par les médias et qu’il s’agira donc, ici, d’analyser. Ce sera l’objectif de cet article : expliquer, pour mieux comprendre et donner, enfin, ses chances à la paix. Au nom de l’intelligence critique et d’une plus grande transparence, l’ouverture d’un véritable débat sur l’Ukraine est une urgence morale et démocratique.

Contrainte par la révolution du Maïdan en 2014 de choisir une voie européenne néolibérale la coupant de Moscou et de ses tentations impériales, l’Ukraine post-soviétique est victime d’une crise identitaire la menant au chaos. Souffrant depuis 1992 de sa transition à marche forcée vers le capitalisme de marché, l’Ukraine connait depuis avril 2014 une guerre civile larvée. A l’origine, cette guerre a été provoquée par le rejet par le Donbass pro-russe du régime néolibéral pro-européen issu du putsch de février 2014 et obligeant Kiev à lancer une offensive militaire « anti-terroriste » dans la région, le 15 avril. Un peu plus tard, grâce aux présidentielles du 25 mai et aux législatives du 26 octobre 2014, ce régime a été recouvert d’un vernis de légitimité électorale malgré l’abstention d’une partie de l’Est ukrainien russophone – biaisant ainsi, en partie, les résultats. Très vite, la ligne politique du nouveau régime s’est radicalisée. Les lois de « décommunisation » du 15 mai 2015 ont acté l’amorce d’une censure politique inouïe de nature néo-maccartiste, marquée par l’interdiction du Parti communiste et, depuis 2022, par la violente répression contre l’opposition de gauche. Lancée le 24 février 2022 en violation du droit international, la brutale invasion russe a, de facto, justifié et renforcé la ligne répressive du régime kiévien en transformant cette crise en guerre ouverte – sous blanc-seing américain. Cependant, sans de regrettables ingérences extérieures, cette guerre aurait pu être évitée.

Alors qu’un compromis de paix était en cours, cette guerre a été définitivement lancée en 2022 par trois faits majeurs : d’abord, le mystérieux assassinat le 5 mars de Denis Kireev, membre ukrainien aux négociations de paix russo-ukrainiennes initiées après le début du conflit ; ensuite, la découverte le 31 mars du terrible massacre de Boutcha imputé à l’armée russe ; enfin, l’intervention le 9 avril du premier ministre britannique, Boris Johnson, pour empêcher la signature de l’accord russo-ukrainien qui devait mettre fin à la guerre. Après le début de l’offensive russe, le contrôle de l’information en Ukraine a été renforcé par une loi sur la régulation des médias et signée, le 29 décembre 2022, par le président Zelensky. Cette guerre a fourni à ce dernier le prétexte – permis par la constitution – d’annuler les élections législatives d’octobre 2023 et présidentielles de mars 2024, qu’il était sûr de perdre face au (trop) populaire général Valeri Zaloujny. Il en découle une situation politique explosive, matrice d’une dictature nationaliste anti-russe haineuse, fascisante et corrompue s’appuyant sur des groupes paramilitaires extrémistes (Azov, Kraken), désormais intégrés et légalisés au motif de la guerre contre la Russie. S’inscrivant dans la montée des idéologies brunes portée par les droites radicales, cette inquiétante évolution a été validée par une Europe soumise au néolibéralisme américain global contre la « menace russe ». En géopolitique, rien n’est plus dangereux et potentiellement destructeur que l’aveuglement.

Bien qu’élu sur la base d’une reprise du dialogue avec Moscou via les accords de Minsk de 2015, Zelenski a trahi sa promesse initiale en focalisant sa politique contre « l’ennemi russe » pour accélérer son adhésion à l’OTAN et, ainsi, créer une source de conflit. Né du putsch du Maïdan, le nouveau régime a construit sa légitimité comme défenseur de la nation contre « la menace russe » en libérant la vague nationaliste fascisante gangrénant le virage néolibéral de l’Ukraine issu de sa sortie de l’Union soviétique, le 24 août 1991. Ainsi, il a abandonné l’enquête sur le massacre d’Odessa du 2 mai 2014 (48 morts) contre des manifestants pro-russes et impliquant les néonazis du Pravy Sektor (Secteur droit). Le 15 avril 2019, il a signé un décret imposant l’ukrainien comme « seule langue officielle » au détriment de la langue russe, dominante dans l’Est. En outre, le nationalisme ukrainien le plus radical a trouvé dans la guerre contre l’ « envahisseur russe » un carburant idéologique puissant. En leur dédiant des statues et des noms de grandes avenues, Kiev a réhabilité des héros nationalistes fascistes de la lutte anti-soviétique responsables de pogroms, tels Bandera et Choukhevitch. Chaque année, elle célèbre les légionnaires de la division SS « Galicie » dans des marches aux flambeaux – suspendues en 2023 et 2024, pour cause de loi martiale décrétée le 24 février 2022 suite à l’agression russe. Selon l’ancien président Viktor Porochenko (2014-2019), la jeunesse ukrainienne doit être éduquée « selon les valeurs de Bandera ». Le 24 aout 2024, jour de célébration des 33 ans de l’indépendance de son pays vis-à-vis de l’Union soviétique, Zelenski a promulgué une loi interdisant l’Eglise orthodoxe ukrainienne liée à Moscou. Enfin, le succès décisif – et sacrificiel – de l’armée rouge face aux nazis est effacé au profit des « libérateurs américains ». Le communisme soviétique, diabolisé et renvoyé dans les oubliettes – libérales – de l’histoire pour, en définitive, sacraliser un néolibéralisme globalisant.

Depuis son indépendance, l’Ukraine est soumise au rapport de force opposant oligarques pro-européens et pro-russes. Dans son ascension, Zelenski s’est appuyé sur le soutien dollarisé de l’oligarque Igor Kolomoïsky lié à l’extrême droite nationaliste via le groupe paramilitaire néonazi et « héros » du Maïdan, Azov, qu’il finançait depuis le début du conflit en avril 2014. En novembre 2014, Azov a été « normalisé » en devenant un régiment de la garde nationale ukrainienne. Une sorte de vernis idéologique pour satisfaire aux normes européennes en vue d’accélérer l’intégration de l’Ukraine. Cependant, comme instruments de répression du pouvoir, les groupes paramilitaires radicaux restent actifs et conservent en 2024, grâce au conflit contre la Russie, un réel pouvoir au cœur du « système ». L’extrême droite fasciste ukrainienne est faible dans les urnes mais forte dans la rue. En surfant sur l’extrême droite nationaliste anti-russe pour verrouiller son pouvoir, Zelenski s’inscrit dans ce troublant héritage.

Portée par la révolution néolibérale, l’arrivée de Zelenski s’expliquait par la nécessité morale pour l’Ukraine de s’émanciper de la tutelle impériale russe en intégrant le giron euro-otanien et devenir, après la guerre, « un phare pour le reste du monde de la puissance du capitalisme » selon Larry Fink, patron de la puissante multinationale américaine BlackRock. De manière opportuniste, ce dernier a négocié avec le régime ukrainien un rôle central pour la reconstruction du pays évaluée, le 15 février 2024 par la Banque mondiale, à 486 milliards de dollars. Toutefois, boostée par la montée d’un capitalisme élitiste et militarisé soumis à l’impérialisme américain dans le cadre de l’ordre mondial néolibéral, l’influence croissante de l’extrême droite bandériste renoue avec une histoire troublée. En 2024, en raison de la guerre, la moitié du budget ukrainien est consacrée à la défense et contribue, en cela, à la désagrégation sociale du pays – accélérée par la réduction de l’aide américaine liée à l’élection de Trump, le 6 novembre 2024. Au cœur d’enjeux géostratégiques opposant les deux superpuissances de la guerre froide et ressuscitant les vieux fantômes du passé, l’Ukraine reste une bombe à retardement – avec son peuple, comme première victime.

Comme le disait Lénine, les faits sont têtus.

Jean Geronimo est universitaire grenoblois, docteur en économie, spécialiste de la pensée économique et géostratégique russe


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