Sur les vieux écrans de soixante-huit,
vous étiez Chinoise, mangeuse de frites
Ferdinand Godard vous avait alpaguée
De l’autre côté du miroir d’un café
Ces paroles sont celles de la chanson d’Yves Simon, Au pays des merveilles de Juliet. Juliet, c’est Juliet Berto. Ferdinand Godard, c’est bien sûr Jean Luc Godard. Ferdinand, c’est l’allusion au personnage de Ferdinand dans Pierrot le fou. La mangeuse de frites, c’est Juliet Berto dans La chinoise…. Projeté en avant-première dans la cour d’honneur du Palais des Papes en 1967. Yves, Juliet, Jean-Luc, ce sont trois figures, trois aventures, trois scripteurs de culture qui me renvoient à l’image de Mai 1968.
Donc, Mai 68. Oh ! Point de pleurnicherie, de « quelle époque magnifique »… de nostalgie, point. C’est au théâtre vers lequel nous tournerons notre regard : du théâtre de la rue, du théâtre à l’Odéon, de l’occupation de l’Opéra, de Jean Vilar, du festival d’Avignon…
Entre le 12 mai où la plupart des professionnels des théâtres s’associent aux protestations contre la répression policière menée contre les étudiants et au mot d’ordre de grève générale lancé pour le 13 mai, à Paris et en province, et le mois de décembre où au TNP, La Passion du général Franco de Armand Gatti est répétée puis interdite, il y a pratiquement quelque chose chaque jour, si ce n’est plusieurs fois par jour.
Et pendant ce temps-là, la télévision française programme imperturbablement Au théâtre ce soir. Le 17 mars 1968, la première chaîne diffusait Monsieur Le Trohadec saisi par la débauche de Robert Manuel, avec évidemment décor de Roger Hart et costumes de Donald Campbell ; le 28 novembre 1968, La coquine d’André Roussin avec nos deux compères.
Au théâtre ce soir est une émission de télévision diffusée en alternance entre la première et deuxième chaîne de télévision puis sur TF1 (après l’éclatement de l’ORTF) de 1966 à 1986. L’émission consiste à diffuser à la télévision des pièces de théâtre préenregistrées (les programmes de divertissement appellent ce genre télé théâtre) en deux ou trois jours, au cours de représentations publiques au Théâtre Marigny, sur les Champs-Élysées, ou parfois au Théâtre Edouard VII.
Théâtre de divertissement : surtout de pas faire réfléchir. Boulevard, vaudeville, même pas de la comédie, celle-ci châtie les mœurs en riant, châtier les mœurs, pensez donc ! Et toujours le même décor, et peu ou prou les mêmes costumes, tout doit concourir à l’uniformité idéologique.
Que se passait-il en France ? 5 jours après le17 mars, voilà le mouvement du 22 Mars, fondé dans la nuit du vendredi 22 à la faculté de Nanterre. Il réunit des anarchistes, des situationnistes des trotskistes. Daniel Cohn Bendit en est la personnalité la plus médiatisée. Et en décembre, répétitions puis interdictions de la pièce d’Armand Gatti.
Le 14 mai, À Avignon, Paul Puaux organise à la MJC une conférence pour présenter le Living Théâtre aux Avignonnais. Le 15 mai, le comité qui prépare l’assaut de l’Odéon tente de rallier les bastions étudiants à son projet. Jean-Louis Barrault, prévenu, demande des consignes au ministère des Affaires culturelles. Ordre lui est donné d’ouvrir les portes et d’entamer le dialogue.
Le 16 mai, le drapeau noir et le drapeau rouge flottent désormais au fronton de l’Odéon, encadrant une large banderole « Étudiants-Ouvriers, l’Odéon est ouvert ». Dans la journée, Daniel Cohn-Bendit fait une brève intervention pour soutenir les occupants. Barrault accuse le coup et déclare : « Jean-Louis Barrault est mort, mais il reste un homme vivant. Alors qu’est-ce qu’on peut faire ? »
Le 18 mai, à Paris et en province, le monde du spectacle rallie peu à peu le mouvement de contestation. Les équipes des théâtres populaires de la banlieue parisienne organisent des spectacles et/ou des animations dans les usines occupées. En province, dans les maisons de la culture et les centres dramatiques, comédiens, metteurs en scène, techniciens et animateurs se réunissent et se constituent en comité de grève et d’occupation.
Le 20 mai, le personnel du TNP (Théâtre National Populaire) se met en grève et occupe les locaux. Le cabinet d’André Malraux donne l’ordre aux membres du personnel de l’Odéon d’évacuer les lieux. Ils s’exécutent à contrecœur puis reviennent sur les lieux avec Jean-Louis Barrault pour protéger leur outil de travail.
Le 21 mai, les directeurs des théâtres publics et des Maisons de la Culture se réunissent au Théâtre de la Cité, dirigé par Roger Planchon à Villeurbanne et décident de se constituer en comité permanent pour débattre des problèmes de la profession.
Le 25 mai, signature de la déclaration de Villeurbanne par 23 directeurs des maisons de la culture et des théâtres populaires qui prônent un théâtre politisé (à lire ici sur le site). Elle traite également de la notion de « non-public » proposée par le philosophe Francis Jeanson qui anime le Théâtre de Bourgogne avec Jacques Fornier (La Décentralisation théâtrale, Les Années Malraux, 1959-1968, Actes-Sud Papiers, coll. « Théâtre, éducation », cahiers n°6, Arles, 1993).
Aujourd’hui encore, la Déclaration de Villeurbanne reste un document fondateur de la réflexion sur l’accès à la culture. La volonté d’aller à la rencontre du « non-public », c’est-à-dire toute cette frange de la population qui ne se rend pas dans les lieux culturels, la mise en place d’une véritable action culturelle, qui ne soit pas de l’animation socioculturelle, l’intégration du théâtre pour enfant comme théâtre à part entière, la revalorisation du budget national consacré à la culture, etc., toutes ces revendications restent d’actualité. Cependant, les divergences entre les différents metteurs en scène directeurs d’institutions ont peu à peu pris le dessus, délaissant la solidarité des rencontres de Villeurbanne.
Le 26 mai le Théâtre Gérard Philippe, de Saint-Denis, fait une représentation gratuite pour les ouvriers en grève de l’usine Citroën à Balard en grève (voir photo).
Le 12 juin Jean Vilar déclare dans le Nouvel Observateur vouloir, avec l’accord de la municipalité, « transformer Avignon en un lieu de contestation que la présence de nombreux jeunes pourrait rendre internationale. »
Le 14 juin au matin, le préfet Grimaud fait procéder à l’évacuation de l’Odéon, qui a lieu sans violence. Jean-Louis Barrault, très abattu, refuse toute déclaration.
17 juillet : début du Festival d’Avignon.
18 juillet Gérard Gélas , directeur du Théâtre du Chêne Noir (Avignon) informe l’administration du Festival de l’arrêté préfectoral du Gard visant à interdire, sur tout le département, les représentations de La Paillasse aux seins nus par sa troupe locale Le Chêne Noir. Jean Vilar, Paul Puaux, Maurice Béjart et Julian Beck organisent aussitôt une réunion. Maurice Béjart et le Living Théâtre annulent leurs représentations de la soirée. Un débat est organisé au Théâtre des Carmes auquel participe Jean Vilar.
19 juillet : la représentation de Messe pour le temps présent est interrompue par quelques contestataires.
20 juillet : les spectacles de Béjart et du Living se déroulent sans incident. Julian Beck a intégré en arrière-plan, durant toute la représentation d’Antigone, les comédiens du Chêne Noir, immobiles, la bouche fermée par du sparadrap. Le spectacle se termine par une procession dans la rue.
28 juillet à 18h30 : Julian Beck, fondateur du Living Theater, compagnie invitée au festival, lit publiquement une déclaration en 11 points. Le Living exprime son désaccord avec la municipalité et déclare quitter le festival. À Avignon, la compagnie de Béjart joue À la recherche de… Des protestataires défilent dans la rue aux cris de « Vilar, Béjart, Salazar ! ».
31 juillet : à la demande de la municipalité, le Living est expulsé des locaux du lycée par les forces de police. Accouru sur les lieux, Vilar tente, en vain, de s’interposer pour négocier un délai. Nouvelle manifestation de protestation en faveur de la troupe dans les rues d’Avignon.
3 août : par voie de presse, l’équipe du festival invite le public du XXIIe Festival à débattre au Verger de 17h à 19h. Dans la soirée, Vilar répondra à la fois aux contestataires et aux Avignonnais scandalisés.
Après sa mort en 1971, la continuité de l’héritage de Jean Vilar fut assurée par son disciple Paul Puaux, qui ouvre la cour du Palais de Papes à la génération des Benno Besson, Marcel Maréchal, Ariane Mnouchkine et Bob Wilson. À partir de 1980, se produisit une vraie évolution avec l’arrivée aux commandes de Bernard Faivre d’Arcier (1980-1984 puis 1993-2003) et d’Alain Crombecque (1985-1992).
Cinquante spectacles étaient prévus en 2003. La grève des intermittents du spectacle, acteurs, techniciens… qui visait à protester contre la réforme des régimes d’indemnisation Assedic a conduit à l’annulation par Bernard Faivre d’Arcier du Festival d’Avignon. Cette lutte débute en février 2003 et vise à protéger le régime spécifique de l’intermittence du spectacle. En 2003, le public défile dans les rues avec les métiers du spectacle vivant. De nombreux collectifs régionaux se créèrent et une coordination nationale se réunit depuis régulièrement.
De 2003 à 2013, la direction est assurée par le duo Archimbault – Baudriller. Depuis 2014, cette fonction est confiée à Olivier Py, comédien, metteur en scène, comme l’était le premier, Jean Vilar.
Le 9 juin 1968, des élèves de l’IDHEC (Institut Des Hautes Etudes Cinématographiques, devenue la FEMIS en 1986) se présentent à l’entrée de l’usine Wonder pour filmer son occupation depuis trois semaines par les ouvriers. Or ceux-ci viennent de voter la reprise du travail. Le film, un court métrage, deviendra La reprise du travail aux Usines Wonder. Citation ironique du film de 1895 La sortie de l’usine Lumière à Lyon ? [1]
Une jeune femme refuse de rentrer. Elle crie : « Je ne rentrerai pas, non je ne rentrerai pas », « Je ne veux plus refoutre les pieds dans cette taule dégueulasse ». Autour d’elle des ouvriers s’attroupent. Les délégués syndicaux, artisans de la reprise, s’approchent et tentent de la calmer. Un étudiant de passage met de l’huile sur le feu. Il n’en fallait pas plus pour que ce plan séquence devienne un des classiques du cinéma direct. Réalisation : Jacques Willemont Caméra : Pierre Bonneau. Son : Liane Estiez-Willemont.
Cinquante ans. Nous aimons bien fêter les anniversaires. Cela sera donc un jubilé, une fête marquant un intervalle de 50 ans. Comment jubilerons-nous ? Le monde de la culture s’apprête à "commémorer" Mai 68. Un jubilé ? Et puis quoi encore ? Un discours sur la tombe des utopies, et une vente de produits dérivés ?
Le Théâtre National de Nice ne va pas vendre des tee-shirts, des posters… Non, du 24 au 27 mai 2018, Il a imaginé un événement autour du thème des utopies culturelles.
Il donne carte blanche à ses artistes accompagnés : Linda Blanchet [Cie Hanna R], Sylvie Osman et Greta Bruggeman [Cie Arketal], Dan Jemmett [Cie Eat a crocodile], Ézéquiel Garcia-Romeu [Théâtre de la Massue], Cyril Cotinaut [TAC Théâtre], Éric Oberdorff [Cie Humaine].
Le TNN, dirigé actuellement par Irina Brook, va se produire dans les usines, les hypermarchés, les écoles, le Centre Emmaüs … En droite ligne de ce que pratiquait Gabriel Monnet, en filiation avec les échos de 68 « Soyons réalistes, exigeons l’impossible » (Che Guevara)
Le casque des pavés ne bouge plus d’un cil
La Seine de nouveau ruisselle d’eau bénite
Le vent a dispersé les cendres de Bendit
Et chacun est rentré chez son automobile.
Mais … Mai…
Là bas brillent la paix, la rencontre des pôles
Et l’épée du printemps qui sacre notre épaule
Gazouillez les pinsons à soulever le jour
Et nous autres grinçons, pont-levis de l’amour
Mai mai mai Paris mai
Mai mai mai Paris