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« Tout ce qui est vivant ne peut être tarifé »
Entretien avec Dominique Bourg

Quelle distinction faites-vous entre le prix et la valeur de la biodiversité ?
Il faut réserver l’usage de la notion de prix à tout ce qui s’échange. La façon la plus pratique d’échanger consiste à fixer un prix. Par définition les marchandises peuvent s’échanger et se substituer par le biais d’une évaluation monétaire. Dans le cas de biens qui ne sont pas substituables ni échangeables, il faut parler de coût plutôt que de prix.
La vie d’un être humain a un coût : en termes de scolarité, de formation, de santé publique, etc., mais elle n’a pas de prix : toute vie est singulière, irremplaçable. La valeur enfin est une entité non seulement inéchangeable et insubstituable mais qui conditionne toutes les autres. Par exemple la stabilité climatique qui, dans l’histoire de lé, a rendu possibles l’éclosion et le développement des civilisations. On sait désormais que tout peut basculer : il suffit que la température moyenne du globe augmente d’un degré pour que l’Ouest américain retourne au désert ou que le monde méditerranéen sombre sous les cyclones. Avec trois degrés de réchauffement, l’Amazonie serait le nom d’une zone aride, au-delà la planète serait invivable. La stabilité climatique n’a donc pas de prix ni de coût : c’est la valeur limite qui conditionne toute construction sociale.

Une espèce végétale qui disparaît non plus n’a ni prix ni coût. Sa valeur est incommensurable…
Une espèce vaut par sa singularité, sa disparition est irréversible et irremplaçable. Mais ce qui a encore plus de valeur c’est la diversité biologique qui donne au vivant sa faculté de résistance et d’adaptation. Il y a vingt ou trente ans, on se représentait la nature comme un simple décor de théâtre, aujourd’hui le concept de biodiversité nous fait comprendre que l’Homme appartient à un réseau d’interdépendance, sans lequel il ne peut vivre. Or cette diversité, qui est la condition de nos activités, disparaît désormais à un rythme phénoménal. Toutes dépendent des services écologiques que nous procure le vivant. Dans certains cas le progrès technique peut se substituer à un service défaillant, mais il y a des services qui ne seront jamais substituables. Il faut donc se demander si un service dégradé est substituable, mais surtout s’il y a intérêt à le laisser détruire au risque de compromettre l’existence de tous.

Mais pourquoi monétariser ce rapport à la biodiversité ? Ne risque-t-on pas ainsi de susciter une sorte de marché des droits à détruire, en perdant de vue la valeur ultime, inéchangeable qu’il s’agit de préserver ?
La logique de compensation n’a de sens que dans des règles et des limites précises. Si on se contente de donner une compensation monétaire à chaque destruction, on ne fait pas obstacle à l’étiolement des conditions d’existence. La compensation suppose qu’on remplace le même par le même et que ce marché soit fermement encadré et limité dans son fonctionnement par l’État. Ce qu’on appelle le droit de polluer n’a de légitimité que s’il se substitue à une situation où la pollution est illimitée et n’est pas mesurée. Il ne suffit pas de fixer des quotas. Car le plus riche, le plus dépensier aura toujours la possibilité de racheter le quota du pauvre. De même, dans un monde qui dévore la biodiversité, la richesse n’est pas simplement un bien, c’est un bien associé à des maux, à des destructions de valeurs suprêmes qui conditionnent la vie de tous. Tout ce qui est vivant ne peut être tarifé. La monétarisation de la diversité biologique n’est donc souhaitable et admissible éthiquement que si elle s’accompagne de mesures d’interdiction des comportements les plus destructeurs. Une logique marchande qui porte sur des biens échangeables n’est pas en soi répréhensible, sous réserve qu’on ne l’étende pas à ce qui n’est pas échangeable.

Entretien réalisé par Lucien Degoy, publié dans l’Humanité du 16 mai 2009

Dominique Bourg est philosophe et directeur de l’Institut de politiques territoriales et d’environnement humain à l’Université de Lausanne


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