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Un engagement trop méconnu : Engels, Marx et l’Irlande
Baptiste Eychart a lu « Irlande, classes ouvrières et libération nationale »

« L’antagonisme national entre travailleurs anglais et irlandais a été jusqu’à présent un des principaux obstacles sur la voie de tout mouvement tenté en faveur de l’émancipation de la classe ouvrière » assénait le Conseil général de l’Association internationale des travailleurs le 9 avril 1872 dans une déclaration aussi tranchante que limpide. Et à l’origine de cette déclaration qui faisait de la question irlandaise un enjeu essentiel de la lutte de classes dans l’empire britannique, on trouvait l’engagement persistent et résolu de Friedrich Engels et Karl Marx en faveur de l’émancipation nationale des Irlandais face à l’État impérial britannique. Or, si cet engagement n’était pas méconnu, il est resté très souvent à l’arrière-plan derrière, par exemple, celui de Marx et d’Engels en faveur de la Commune de Paris par exemple.

Il est vrai que ces décennies d’engagement fondé sur une connaissance profonde et une analyse rigoureuse de la situation coloniale de l’Irlande au XIXe siècle ne se dévoilent qu’au travers d’une multitude d’écrits très divers, de La situation de la classe ouvrière en Angleterre d’Engels jusqu’à ses dernières lettres quelques mois avant sa mort en passant par une foule de références, rapides ou détaillées, dans l’œuvre marxienne même. Et cette multitude et cette diversité sont aussi des obstacles à une appréhension de la juste place de la question irlandaise aux yeux de Marx et d’Engels. C’est pour cela que l’on ne peut que se féliciter de la parution d’un recueil de textes extrêmement exhaustif, Irlande, classes ouvrières et libération, textes méticuleusement réunis, commentés, voire parfois traduits par Richard Poulin. On y trouvera des lettres de Marx et Engels, des extraits d’ouvrage, des notes de travail voire des préfaces : la diversité des matériaux est grande et le travail d’annotation effectué par l’éditeur se révèle précieux non seulement pour saisir l’importance de la question irlandaise pour Marx et Engels, mais aussi pour que le lecteur français puisse apprécier la texture des enjeux et des événements.

Le rapport d’Engels et de Marx à la cause irlandaise était tout sauf livresque : outre les liens amoureux entretenus par Engels avec plusieurs femmes irlandaises (Mary puis Lizzie Burns), il faut relever les nombreux voyages de ce dernier en Irlande ou la fréquentation par la famille Marx des dirigeants nationalistes fenians qui appartenaient parfois à l’AIT. La défense des dirigeants fenians emprisonnés par l’État britannique fut d’ailleurs menée par Jenny Marx dans une suite d’article sur la question irlandaise qui firent date.

Il ne faudrait pas croire pour autant à un simple attachement humaniste, voire sentimental, à la cause irlandaise. Marx explicitement refusait de voir là une question abstraite de justice ou, selon ses termes, un quelconque « humanitarian sentiment » pour l’envisager comme un processus consubstantiel au déploiement de la lutte des classes en Grande-Bretagne. Selon lui, le nationalisme anglais brisait l’unité de la classe ouvrière britannique au profit de l’hégémonie bourgeoise et constituait un frein au développement révolutionnaire. La prise en compte de l’oppression nationale et ainsi de la conjugaison des oppressions fut donc bien au cœur de l’élaboration marxienne. Alors que l’actualité bruisse d’un discours sur l’intersectionnalité vantant la nouveauté du concept, on voit que les termes de la question ont bien été posés il y a longtemps de cela, lors de l’exil londonien d’un certain communiste rhénan.

Article paru dans l’Humanité du 8 juin 2021
https://www.humanite.fr/marx-engels-et-lirlande-cet-engagement-meconnu-709825

Friedrich Engels et Karl Marx, Irlande, classes ouvrières et libération nationale, textes réunis et présentés par Richard Poulin, Éditions Syllepse, 517 pages, 2021, 25€.


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