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Un jour qu’il faisait nuit, de Françoise Py & Jean-Marc Brunet
La critique de Rémi Boyer

Françoise Py, poète et historienne de l’art à l’Université Paris 8 a notamment orienté ses recherches sur le surréalisme et les arts plastiques. Elle a confié ses poèmes de jeunesse, en prose, dans la veine surréaliste, au peintre de la nuit Jean-Marc Brunet pour une conversation inattendue entre les mots et les couleurs.

La philosophe Françoise Armengaud éclaire les liens qui unissent les deux œuvres qui sont bien davantage que juxtaposées.

« Riche de ce monde intérieur, écrit-elle, l’inspiration de Françoise Py reconnaît sa source principale dans le surréalisme, ce qui fait d’elle l’une de ses héritières contemporaines en poésie. Ses études littéraires sur les œuvres de poètes et de peintures surréalistes visaient déjà à témoigner de la richesse et de l’actualité vivace de ce mouvement. Que retient-elle pour son compte ? En premier lieu le dépassement de la raison. La libération des contraintes de la pensée conceptuelle, également des idéologies. »

« Le surréalisme, rappelle-t-elle, c’est encore, exalté par un amour inconditionnel de la liberté, un goût immodéré de la contradiction logique, de l’oxymore percutant, de la causalité absurde. »

Beaucoup parmi les textes de Françoise Py sont le fruit d’une écriture automatique, procédé qui fut un temps cher aux surréalistes, avec des résultats fort divers.

Chez Françoise Py, l’automatisme libère in excelsis, dans l’ascension de soi-même, pour peu que le lecteur accepte de se laisser porter par le flot des mots :

« L’aile de la folie a frôlé mon épaule le battement de l’aile de la folie a fait frémir mon être l’attente a une âcre saveur l’attente aux lèvres douces au parfum enchanteur l’attente sournoise qui vous étrangle dans un baiser l’attente aux mille visages aux quatre cents sourires à la bouche dorée l’attente qui vous consume comme à la Roue votre chance se balance l’attente anxieuse du couperet l’attente voluptueuse de la mort renoncer à toute renoncule qu’est toute passion vénéneuse je joue ma vie au pendule vous serez ce rêve qui s’est nourri de mes chairs ce ver qui tenaille encore la plaie de mes rêves ce fleuve à l’embouchure de mes désirs… »

Lus à haute voix, les poèmes deviennent des routes sinueuses, faussement accidentées. Le rythme et le sens des sons, plutôt que des mots, nous emportent, génèrent des images plus éloquentes que les discours savants. Le jeu de l’être. Le grand jeu. Hypnotiques, ces poèmes de la dissolution laissent poindre le réel, un réel autre, perçu et saisi autrement.

« Les gisants bruit de l’eau cela geint vrombit la plaine chauffée à vif secoue son ciel éperdument la plaine de sable chaud de blé sanguinolent la terre hurle accouche de sa propre malédiction je monte dans ce ciel épinglé les racines de mes pieds pompent le sol à grandes bouffées je ne suis rien papillon du soir violant les fleurs ouvertes bonsoir papillon du jour les coquelicots épanouis offrent les trois états de la vie… »

En miroir, Jean-Marc Brunet offre une autre alchimie obéissant pourtant aux mêmes principes de transformation, parfois de transmutation. Il parle de « dépaysage » :

« Il s’agit de qualifier des productions qui s’intéressent à la nature tout en la digérant, la transformant, au point de faire naître des paysages intérieurs, comme la peinture de Zao Wou-Ki par exemple. Je me suis instinctivement inscrit dans cette veine. »

Ni symboliques, ni abstraits, les dépaysages de Jean-Marc Brunet surgissent dans la conscience comme expérience directe. Il ne s’agit pas de comprendre mais de connaître, de renaître au-delà de nos conditionnements.

Ce qui unit ces deux œuvres, ces deux parcours, l’un par les mots et les sons, l’autre par les peintures et les couleurs, c’est l’atemporalité et la liberté ainsi permise.

Un jour qu’il faisait nuit
Françoise Py & Jean-Marc Brunet
Librairie-Galerie Racine, 23 rue Racine, 75006 Paris – https://editions-lgr.fr


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