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"Un printemps sans vie brûle" avec Pier Paolo Pasolini. Collectif.
La critique de Lucien Wasselin


Pasolini fut assassiné en 1975 : publié à l’occasion du quarantième anniversaire de sa disparition, ce livre pose plusieurs questions. Pasolini était-il inacceptable en son temps ? Son assassinat a-t-il vraiment été élucidé ? Dans leur avant-propos, Thierry Renard et Michel Kneubühler, les directeurs de la collection Haute Mémoire dans laquelle paraît cet ouvrage, remarquent que "Pasolini est mort comme il a vécu, brutalement - stoppé en plein élan, à cinquante-trois ans".

À quoi fait écho Vanessa de Pizzol dans son ouverture : "Quarante ans que sur cet assassinat plane un mystère que les demandes successives et infructueuses de réouverture de l’instruction n’ont pas réussi à lever". Le coupable désigné par la justice italienne "clame brutalement son innocence le 7 mai 2005". Et Vanessa de Pizzol ajoute : "Ironie du sort : le 11 octobre 2005, le jour où disparaît ce précieux témoin [Sergio Citti] le dossier est déclaré archivé". Règlement de compte crapuleux ? Exécution politique ? Volonté de faire disparaître un auteur gênant ? Lynchage médiatique ? À quoi fait également écho la "nouvelle" de Jean-Charles Lemeunier où le personnage principal, Saverio Lunghi, finit par être assassiné dans l’explosion d’une bombe : "Attribué d’abord aux anarchistes, l’attentat sera finalement versé au compte de l’extrême-droite" ! Les années de plomb en Italie ont vu la justice attribuer très souvent les attentats à l’extrême-gauche alors qu’ils étaient perpétrés par les néo-fascistes ou des groupes d’extrême-droite. Et ce n’est pas la collusion entre la mafia, la démocrate-chrétienne ou les mouvements fascisants qui clarifie le débat ou permet au citoyen de se faire une idée précise… Le souvenir de la loge P2 est toujours présent !

Car ce livre est collectif : il est dû à dix-neuf auteurs réunis autour de Pasolini : les poètes maudits sont aujourd’hui des poètes assassinés ! Dix-neuf approches différentes : étude de la langue (avec ses mots inventés) ou poèmes, évocations de l’époque ou de souvenirs de lecture, fiction improbable (la rencontre de Pasolini et du Caravagge) qui en dit long ou autobiographie qui met en lumière la misère et les petits boulots contrôlés par la mafia ou voyage à travers les films de Pasolini… Joël Vernet, à travers ses souvenirs et ses lectures, énoncent quelques vérités sur l’époque : "Pasolini est mort d’avoir tenté de faire alliance avec le peuple (ce mot est-il encore aujourd’hui prononçable ?) qui souffre, qui travaille dur, qui est sans travail, d’avoir mis en débat ses intuitions, le chaos parfois de sa pensée, ses incertitudes, et surtout de n’avoir jamais passé de compromis sur le principe de Liberté…" ou "La violence est l’une des marques du fascisme, l’antienne de la pire réaction quand brutalité, argent, corruption s’emmêlent. Que se constitue l’alliance politico-mafieuse du Vatican, de la démocratie chrétienne, de la pègre des faubourgs, des grands argentiers". La défaite du communisme nous a laissés orphelins et la course effrénée à la consommation de la majorité du peuple anesthésiée par le capitalisme marchand en est le signe. Mais l’espoir demeure : car Pasolini hurle sa confiance en l’homme même si la réalité proclame le contraire. À nous alors de le lire et de propager sa parole.

Angela Biancofiore, dans son essai, s’intéresse au théâtre de Pasolini qu’elle définit comme un théâtre politique ou anthropologique mettant en scène les "transitions culturelles en acte dans la société". Pasolini ne sépare pas la création de l’histoire : "La voix poétique de Pasolini […] se situe au cœur de la relation entre création artistique et projet politique, entre écriture et action". Dans son second essai, Angela Biancofiore passe au crible les articles polémiques de Pasolini et en conclut que celui-ci s’est donné "pour mission de démêler l’écheveau politique". Voilà qui me renforce dans l’idée que son assassinat n’était que la volonté d’éliminer un polémiste gênant. Mais elle va plus loin dans son analyse qui éclaire non seulement ce que fut Pasolini en son temps mais aussi la situation économico-sociologique actuelle ; la situation de l’Italie de l’époque ressemble à celle de la France d’aujourd’hui : "un désastre économique, écologique, urbanistique, anthropologique".

Pour conclure (?) : quelques mots de deux textes qui permettent - si c’est possible - de se faire une idée précise de Pasolini. Tout d’abord, son étude ici intitulée "L’article des lucioles" qui est une description historique et métaphorique des changements que subissent nos sociétés et dont le grand mérite est de montrer la continuité des formes de pouvoir actuelles avec le fascisme… Ensuite le portrait nuancé d’Erri de Luca, "un hommage singulier qui hésite entre indignation et admiration". Le réel est complexe, encore faut-il s’en souvenir. À nous de penser !

Un printemps sans vie brûle, 19 auteurs avec Pier Paolo Pasolini. La Passe du vent éditeur, 178 pages, 15 €.


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