« Vladimir Pozner est un auteur qui semble déborder la plupart des cadres établis », nous avertit Jean-Baptiste Para, dès le premier texte du numéro de la revue Europe, de janvier-février 2014. Car cette livraison de la revue est consacrée ?, dédiée ?, comment qualifier ces dossiers d’écrivains, poètes, philosophes, ce mois-ci à Vladimir Pozner, qui viennent ou reviennent à un rythme soutenu, (8 par an depuis 1923, sauf pendant la guerre) perturber notre tranquillité parfois un peu béate.
De lointaines lectures, aux éditions Messidor de notre jeunesse, nous avaient laissés entrevoir « ce monde-là, insolite, merveilleux, fou, délirant ou désespéré » des romans de Vladimir Pozner. Entrevoir, car si peu conformes, à la vision, globalement positive ou non, mais trop souvent en noir-noir et blanc-blanc que nous avions du monde.
Au commencement, il y a un petit garçon, né dans le sixième arrondissement de Paris, d’une famille de Russes émigrés de ces premières émigrations anti tsaristes. Sa famille retourne en Russie en 1913. Puis une vie, de celles dont dit qu’elles ressemblent à des romans, de ces romans qui s’inspirent de la vie. Son œuvre, comme sa vie va s’ancrer dans la réalité, « enfoncée à pleine chair dans la vie, son œuvre romanesque parait suivre les détours de l’histoire comme ceux de sa vie avec une rigoureuse émotion : Pozner dit ce qu’il voit, ce qu’il sent, il témoigne et il chante » [1]. Du Paris de son enfance, à la Russie de la guerre civile, de la France du Front Populaire à celle de la débâcle de 1940, de la solidarité avec l’Espagne républicaine au soutien apporté aux antifascistes allemands, des années d’exil aux Etats-Unis, aux débuts de la chasse aux sorcières à Hollywood, du retour au pays natal en temps de guerre froide et de guerre d’Algérie au Printemps de Prague, Vladimir a bourlingué dans le siècle. Il en sera plastiqué par l’OAS, son visage en restera meurtri, au sens propre.
« J’évite d’interpréter, de prêcher et d’instruire, faisant confiance au lecteur pour comprendre, grâce à mon témoignage et à son expérience, le monde où nous vivons, lui et moi, en commun » écrivait-il. Il nous « emporte au galop de toutes les passions », sans hausser le ton. « Cela fait drôlement du bien au siècle de Houellebecq » comme disait Chris Marker.
Hasard ou non, le même numéro d’Europe, présente un dossier « Danielle Sallenave ». Cette fois, nul besoin de faire appel à des souvenirs des années 70, encore moins au rythme des publications des Editions sociales dans leurs diverses appellations. Je n’ai raté que rarement dès leur sortie les romans, essais de Danielle Sallenave. Et sa chronique hebdomadaire à France Culture entretient un lien d’amitié à sens unique. N’a-t-elle pas évoqué un matin d’automne, le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, mouvement social et ces personnes auxquelles nous sommes attachés au point d’y consacrer des années de notre vie. Soyons juste, il n’en faut pas davantage pour devenir fan.
De son enfance, sa jeunesse, elle garde « un sentiment d’insécurité, ou plutôt le sentiment que les apparences peuvent être trompeuses ». Les différents articles de la revue, nous conduisent à constater, que ces lectures étalées sur une trentaine d’années forment une œuvre. Une œuvre où comme l’écrit Bruno Thibault, se déroule un monde « plus vrai que le monde creux, vain, sans mémoire, futile et fatigant, dont sont tissés nos jours », « un monde où règne la réflexion, le retour sur l’expérience et sur l’action », autrement dit correspondant à une démarche « éthique », mais non moralisatrice.
Danielle Sallenave s’interroge sur « la vie juste », c’est-à-dire la vie où l’homme n’est pas séparé de lui-même « ni séparés des autres, ni séparés des morts ». Je comprends mieux son attachement au Maitron.
Europe Revue littéraire mensuelle. Janvier-février 2014
[1] Pierre-Jean Rémy, préface au volume des Œuvres de Vladimir Pozner (Livre Club Diderot, 1977).