A propos du livre Un monde défait, les communistes français de 1956 à nos jours
Las de subir régulièrement la glose des experts auto-proclamés du « déclin du Parti communiste », c’est naturellement avec intérêt et espoir que l’on accueille la démarche socio-historique de Bernard Pudal.
Ici, les difficultés de mobilisation et de représentation du communisme français sont analysées en lien avec le durcissement et la complexification de la lutte des classes (répression syndicale et disqualification symbolique des ouvriers, notamment). Grâce à un travail d’archives attentif au vécu et au ressenti des militants actifs entre 1956, année de révélation du rapport Khrouchtchev sur les crimes du stalinisme, et les années quatre-vingt-dix, le Parti communiste peut être appréhendé de façon dynamique, en tenant compte de l’évolution de ses rapports internes, notamment entre cadres ouvriers et intellectuels. Pudal rappelle le rôle pour le moins étriqué qui était dévolu à ceux-ci au temps de Staline : la légitimation de la pleine autonomie politique et idéologique du mouvement ouvrier et de son avant-garde se payait alors d’une réduction sclérosante de la théorie révolutionnaire à l’expérience concrète de la classe ouvrière.
C’est donc assez logiquement que la « mise en cause » de la vision stalinienne du monde, après 1956, se traduit par un « aggiornamento » (ou mise à jour) stratégique et intellectuel. Les deux aspects vont de pair : à la reconnaissance, lors du Comité central d’Argenteuil de 1966, de l’autonomie de création des intellectuels et artistes membres du PCF correspond, quelques années plus tard, l’Union de la gauche, qui peut être vue comme une tentative de penser l’intervention politique des « dominés » hors de tout enfermement dans l’ouvriérisme. Pudal souligne que, lorsque cette stratégie unitaire est rompue en 1977, les intellectuels quittent le Parti en masse, cependant que nombre de militants, y compris permanents (voir le chapitre IV consacré au parcours de Gérard Belloin) rentrent dans un processus de « désadhérence », fait de multiples réaménagements identitaires. D’évolutions en « involutions », l’histoire du PCF paraît ici celle d’une incapacité tragique à dépasser positivement la matrice stalinienne. Évoquant la situation actuelle du Parti communiste, Pudal fait mine de s’interroger : « L’inflation de démocratie interne que connaît le PCF ne remplit-elle pas une fonction homologue à celle du centralisme bureaucratique antérieur, celle de préserver l’inertie de l’appareil en rendant inopérante toute critique, hier par le jeu de la marginalisation, de l’exclusion et de la disqualification, aujourd’hui par une sorte de démagogie d’organisation où l’on promeut chaque communiste au statut de théoricien ? » Le parallèle, cinglant, mérite sans aucun doute d’être médité. Mais on s’étonne que Pudal ne s’intéresse pas plus aux militants communistes qui se sont engagés ces dernières années, à leurs aspirations, au sens qu’ils trouvent dans leur engagement. Dans un sous-chapitre intitulé « Qui sont les communistes ? », il affirme manquer d’études sociologiques sur la question. Au final, on regrette que le chercheur n’ait pas pu ou voulu prolonger sa démarche socio-historique par un travail d’enquête plus poussé.
Un monde défait, les communistes français de 1956 à nos jours,
de Bernard Pudal. Éditions du Croquant, 2009, 216 pages, 18,50 euros.