Tout d’abord, je dédie cet article aux 17 victimes des 7 et 9 janvier : dessinateurs, journalistes et collaborateurs de Charlie hebdo, forces de l’ordre, anonymes. Ensuite, le titre de cette chronique est vraiment pour eux : Uomini contre.
Cette chronique est un hommage à Francesco Rosi, disparu le lendemain (10 janvier). Deux mots sur le cinéaste. En 1946, il débute au théâtre comme assistant d’Ettore Gianni puis au cinéma comme assistant réalisateur auprès de Lucchino Visconti pour le film La terre tremble (1948). En 1956, il codirige avec Vittorio Gassmann le film Kean. Il attendra 1958 pour réaliser son premier long métrage, Le Défi, une histoire de "camorra" se déroulant dans sa ville natale et qui intéresse la critique et le public. Il remporte alors le prix du jury à la Mostra de Venise.
Les films sur la maffia sont une des récurrences importante de son œuvre. Au demeurant, Rosi est connu pour avoir entre autres élaboré les normes du « film-dossier », superposant une fiction et des images d’archives, dont Costa Gravas est également l’un des tenants. Son cinéma est un cinéma de dénonciation mais aussi d’investigation, scrutant et démontant l’état d’une société gangrénée par la corruption.
Mais pour moi, son film le plus émouvant, qui me « point », comme dirait Roland Barthes, est et demeure Les hommes contre (1970). Le film relate un épisode du conflit italo-autrichien lors de la Première Guerre Mondiale d’après un roman d’Emilio Lussu, Un anno sull’Altipiano. À sa sortie, en Italie, il fut l’objet de polémiques et d’un procès pour « dénigrement de l’armée » qui se termina par un acquittement.
Parmi les films « dossier » notons en 1963 Main basse sur la ville (Sous l’impulsion de l’entrepreneur Nottola, la municipalité de Naples transforme des terrains agricoles en terrains constructibles), en 1972 L’affaire Mattéi, du nom du fonctionnaire dévoué et patron de la Société Nationale des Hydrocarbures mort accidentellement en 1962, en 1974 Lucky Luciano (le film retrace la biographie de la figure mythique de la maffia italo-américaine, Salvatore Lucania alias Lucky Luciano).
Egalement en 1976 Cadavres exquis, adapté du roman de Léonardo Sciacia Le contexte (l’inspecteur Amerigo Rogas mène l’enquête après une série de meurtres touchant la magistrature italienne. Plus il avance et plus il se trouve pris dans les filets du contexte politique de l’Italie des « années de plomb », lorsque la crainte d’une révolution inspira au pouvoir l’affrontement entre deux options : la « stratégie de la tension » et celle du « compromis historique »).
Pour le contexte italien de ces deux derniers films, je vous conseille la lecture du roman-dossier de Simonetta Greggio, Dolce Vita 1959-1979 (voir mon article La dolce vita des nouveaux monstres)
Et n’oublions pas Oublier Palerme, en 1990 (Carmine Bonavia, fils d’immigrés siciliens, est candidat à la mairie de New-York. Comme promesse électorale, pour en finir une fois pour toutes avec le problème de la drogue, il fait une proposition sensationnelle : sa légalisation pour pouvoir traiter la drogue comme un problème de santé publique. Pour mieux connaître la question, il décide de passer sa lune de miel à Palerme avec sa jeune épouse Carrie. La maffia, très gênée par sa campagne, qui la priverait de son commerce le plus lucratif, essaie à tout prix de le coincer et l’implique finalement dans le meurtre d’un jeune vendeur de jasmin à la sauvette, avec lequel Carmine peu de temps auparavant s’était disputé).
J’ai dit l’importance pour moi du film Les Hommes Contre. Il me faut rajouter Le christ s’est arrêté à Eboli, en 1979. Inspiré du roman autobiographique de Carlo Levi, ce film raconte la vie d’un médecin et écrivain antifasciste placé en résidence surveillée en Basilicate à partir de 1935. Toute activité lui est interdite, y compris d’exercer la médecine. Il découvre le monde paysan, loin des cercles intellectuels. Il sera libéré au bout de deux ans après avoir conquis l’estime des agriculteurs pauvres de la région.
Comme beaucoup de cinéastes, il avait des acteurs fétiches à l’instar de Gian Maria Volonté que l’on retrouve dans l’Affaire Mattéi, Lucky Luciano et Le Christ s’est arrêté à Eboli. Juste un petit détour dans sa filmographie pour noter Enquête sur un citoyen au dessus de tout soupçon (Elio Poetri 1970) ainsi que Sacco et Vanzetti (Giuliano Montaldo 1971).
Comme l’écrit Etienne Ballérini sur www.ciaovivalaculture.com Informer sur les dérives de toutes sortes en même temps qu’en chercher les germes, était sa priorité, et son regard jamais ne se détournait pour en pointer les conséquences désastreuses sur les individus et sur la société.
Les hommes contre, Le Christ s’est arrêté à Eboli. Dites-les en italien : Uomini contre (séparez bien le U et le O du u-omini et prononcez contré), et Cristo si è fermato a Eboli (accent tonique sur la 2ème syllabe de fermato et la 1ère de Eboli). Et vous avez autre chose. L’Italie.