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Vargas Llosa, nouveau Nobel et troisième voie
Par Denis Fernàndez Recatalà

Les jurés Nobel de littérature ont eu le bon goût de distinguer un
écrivain, Mario Vargas Llosa, c’est-àdire
un homme pour qui la littérature est une fin et une méthode de penser.
Ce n’est pas toujours le cas et
nous ne reviendrons pas sur le prix attribué à Churchill qui aurait dû
en principe récompenser ses nègres.
En procédant ainsi, il se peut que les jurés Nobel de 1953 aient voulu
rendre un hommage obscur à la servitude
et au dévouement domestique. Tout au plus s’étonnera-t-on que de grands
hommes ou prétendus
tels, forts en politique, tendent à se parer d’un prestige qui, à
première vue, leur semble étranger voire superflu
. Et dans la perspective d’un rêve absolu où l’on maîtrise le sens et
les significations, les formes, on
comprend mieux pourquoi, incidemment, l’Académie française accepte
Valéry Giscard d’Estaing dans son
sein afin que la médiocrité stylistique ne soit pas ignorée. Valéry se
pique d’aimer la littérature. Autant
affirmer que Benoît XVI est un spécialiste réputé du cunnilingus. Mais
il est vrai, on le constate, que la littérature
et la politique forment un ménage ne serait-ce que parce qu’elles se
disputent un même champ
symbolique, celui de la transformation du réel. Évoquant Dante, Gramsci
qui ne le sous-estime pas, déclare
que « Dante est un parti à lui seul ».

Tout au long de l’histoire, le ménage a plus ou moins fonctionné et
fonctionné, si l’on peut dire, dans les
deux sens comme si les deux pôles s’attiraient. Néron s’est évertué à
concourir à des championnats de
poésie. Plus près de nous, Saint-Just a composé un long poème aux
allures pornographiques, tandis que
Bonaparte s’essayait au roman sentimental. Plus près encore, au XXe
siècle et pêle-mêle, on a vu Mao en
poète classique, Staline, De Gaulle, Brejnev, prix Lénine de littérature
avec quelques nouvelles, et même
Franco avec Raza (Race) se lancer dans l’arène. De l’autre côté, il
suffit de mentionner Voltaire, Hugo, Zola
et Sartre pour illustrer le propos.
Mario Vargas Llosa appartient à cette seconde lignée. Il est issu du « 
boom » hispano-américain qui s’est
développé autour des années soixante et auquel, entre autres, Gabriel
Garcia Marquez, Carlos Fuentes,
Julio Cortázar ont contribué. Ils ont décidé d’un renouveau des lettres
hispaniques avec ce que l’on a qualifié
de réalisme magique, bien qu’ils diffèrent. Chacun a suivi son
tempérament et développé ses potentialités.

Peau de chagrin

J’ai rencontré Mario Vargas Llosa, à Paris, lors de la traduction
française de La guerre de la fin du monde. A
l’époque, je travaillais à Révolution, l’hebdomadaire culturel du parti
communiste. Mario Vargas Llosa
avait accepté l’entretien et s’était déplacé au journal. Son roman
signait d’une certaine façon son éloignement
du marxisme et de l’idée révolutionnaire telle qu’elle se présentait
encore. A cette date, il paraissait
chercher une troisième voie, une voie qui correspondait davantage à ses
conceptions où la liberté ne serait
pas contrainte par les impératifs révolutionnaires. Il m’a parlé du
Sentier lumineux, la guérilla maoïste qui
s’activait au Pérou et qui sacrifiait des chiens censés incarner
l’impérialisme. Je me souviens qu’il me disait
 : « Ils ne connaissent pas Gramsci ». Et bien sûr, il s’est longuement
attardé sur sa conception du roman
et en particulier Victor Hugo, auquel il a fini par consacrer un essai.
Il m’a confié que la longueur,
l’épaisseur, le volume, la consistance si l’on préfère revêtaient pour
lui une grande importance. Il brassait
un monde et disputait ainsi la création à Dieu. Il avait dit ailleurs et
un peu plus tard : « Chaque roman est
un déicide secret, un assassinat symbolique de la réalité. »

Après, en 1990, il effectue un pas supplémentaire en devenant « très
libéral », fonde un parti de droite
« Libertad » et entame une campagne présidentielle qui s’achève par une
défaite face à Fujimori, éminente
médiocrité acquis à la corruption. Amer, il se retire en Espagne et
sollicite sa naturalisation. Il est admis à
la Royale Académie espagnole. Il se prononce pour la guerre en Irak
avant de le regretter quelques années
plus tard par un article dans El Pais.
Entre temps, il a confectionné quelques chefs d’oeuvres, même s’il n’a
pas exactement épousé l’itinéraire
de Victor Hugo qu’il admire tant.

Article publié dans mensuel du Cercle Lakanal, disponible sur le site du même nom. Novembre 2010.


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