
Le zona fait partie des pathologies qui peuvent affecter gravement les personnes diminuées par l’âge, une fatigue professionnelle, un épisode émotionnel, ou tout ce que l’on nomme comorbidités, comme le diabète ou le cancer. Tout élément qui permet au virus d’une ancienne varicelle de profiter de la situation pour resurgir localement.
Pour comprendre et traduire les stratégies du zona et ses conséquences néfastes, un auteur a réussi à lui donner la parole.
Nous ne savons pas si nous serons satisfaits ou non de cette publication.
Jusqu’à présent nous gardions précieusement nos petits secrets dans la discrétion pleine de patience de vieux sages ayant l’éternité pour eux. Quand quelques vésicules apparaissaient sur un membre ou sur un tronc, nous laissions accuser sans aucun remord, d’innocentes araignées domestiques affectées à la traque des moustiques et autres mouches.
Mais les temps changent, on se méfie maintenant ! Et notre tranquillité est secouée par les séismes à répétitions des découvertes pharmacologiques. Alors, s’il nous faut disparaître un jour, autant avoir au moins connu la notoriété.
Nous autres, les Herpès-Zona nous sommes fiers de notre patronyme. Herpès-Zona ça fait chic, ça fait grande maison, lignée, dynastie. Virus, par contre, c’est commun, on en rencontre partout et sans arrêt. Nous, nous sommes une très vieille famille. Nous sommes capables de persister dans nos fiefs ganglionnaires pendant des dizaines d’années. Et quand nous rencontrons des visiteurs occasionnels comme les virus grippaux, nous les snobons, ces petits inconstants qui changent sans arrêt de costume et d’apparence.
Cependant, nous essayons d’en tirer des informations sur le vaste monde ; on peut être d’une classe supérieure et commercer avec la valetaille ! Même si, depuis quelque temps, ce sous-peuple aspire à une renommée universelle. Avec ces humains qui bougent en tous sens, il est facile, maintenant de toucher la planète entière, alors il pousse le ridicule à se faire appeler grippe du poulet, ou mieux H5N1, H7N9 ou HN quelque chose. Ils se contentent de numéros comme identité, alors que nous, nous avons des noms célèbres. Tenez pour moi, quand j’ai à me présenter, je décline mes titres ; Herpès-Zona du ganglion trijumeau supérieur gauche, de la célèbre famille Herpès Zona des territoires d’Herpès-Zoster !
Nous les snobons, certes, ces petits virus grippaux versatiles, mais il faut bien avouer qu’ils nous mâchent souvent le travail. Une bonne petite grippe, un stress, une grosse fatigue, et hop, nous voilà sur le sentier de la guerre. Nous sortons de chez nous, nous abandonnons notre ganglion et nous migrons vers la surface en suivant les petites départementales nerveuses.
Retour à la peau, aux vésicules, aux phlyctènes – retour aux sources pour chacun d’entre nous.
Que c’est bon de revoir le jour, de régresser vers notre enfance, vers ces temps anciens où nous étions « Varicelle ». Le bon temps où nous prenions pension chez des juvéniles, et que nous avions même un artiste qui glorifiait la « pension varicelle » dans une célèbre berceuse.
Faire un séjour à l’air libre sur notre hôte fatigué ! Ce retour vers la peau a le côté grisant des vacances au soleil, et nos châteaux de sable sont les mamelons, les vésicules que nous érigeons sur notre portion d’épiderme en bouffant goulûment l’enveloppe des petits nerfs à notre portée.
C’est là qu’il ne faut pas s’endormir, chaque minute compte ! La défense passive de notre hôte a été contournée, mais il a beau être fatigué, stressé, diminué il ne se laisse pas faire sans réagir. Il nous attaque avec ses légions, ses canons et fait appel à ses troupes de réserve.
Dans le bon vieux temps, c’était un combat entre gens bien nés où nous étions souvent obligés de sonner la retraite. Nous avions cru que les défenses étaient endormies et nous tombions sur un hôte bien décidé à nous contrer.
Mais maintenant, on nous bombarde à machinciclovir, au biduleciclovir ou autre fameuxciclovir et nous n’avons plus qu’à espérer que la prise du traitement ait pris du retard. Depuis quelques année, ils utilisent des vaccins dans les parties les plus riches de la planète. Notre conseil des anciens est très pessimiste, vaccins et antiviraux vont nous acculer au désespoir. Tout ça parce que des inconscients téméraires se mettent à s’attaquer à des sites sensibles au lieu de se contenter d’un petit territoire cutané. Méningite, zona ophtalmique ou auriculaire et nous voilà dénoncés, traqués, exterminés.
Pourtant c’était la belle vie avant quand nous riions sous cape des remèdes de bonne femme, des incantations, des prières. Encore que…ça marche parfois ! Les humains ont la curieuse faculté de se fabriquer leurs propres défenses en s’appuyant sur leurs convictions. Combien d’entre nous se sont fait expulser prématurément pour avoir méprisé des applications de poivre ou des cataplasmes de feuilles de chou…
Quand nos lettrés traduisaient des livres, ils nous comparaient à un certain Attila : « Là, où son cheval passe l’herbe ne repousse pas » ! Et ils avaient raison ; là, où nous bouffons la myéline des petits nerfs cutanés, la douleur peut s’exprimer sans contrainte. Après notre festin, il n’y a plus rien pour la réguler, que ce soit un petit coup, une brûlure ou un simple frôlement, le résultat et le même : c’est atroce ! Nous avons détérioré ce que leurs savants appellent les boucles rétroactives qui filtrent les événements locaux avant de les envoyer vers le cerveau et les centres de la douleur. La voie est libre et les petits riens de la vie courante s’expriment de la même façon que de véritables agressions.
Pour nous, quand la douleur s’est installée, tout ça c’est de l’histoire ancienne, nous ne sommes plus concernés directement. Nous sommes, déjà, retournés nous mettre à l’abri dans nos chers ganglions nerveux en espérant que l’état de notre hôte se détériorera suffisamment pour faire à nouveau surface.
À nouveau à l’abri, nous nous moquons bien de ce que l’on peut appliquer sur ce bout de peau désespérément sensible qui fut notre ancien lieu de villégiature.