3 semaines de festival off Avignon : du 4 au 26 juillet 2015. 1071 compagnies jouent 1336 spectacles. Tous les styles du spectacle vivant sont représentés : théâtre, musique, danse, marionnettes-objet, poésie, cirque, clown, etc. C’est sûr que c’est un « mesclun à la basta que sigue » (en français un mélange à la va comme je te pousse) et que l’on a intérêt à posséder sa propre grille de lecture.
On peut considérer ainsi que, si l’on reste 4 jours – ce qui est la période moyenne pour un festivalier – et qui si l’on va voir une quinzaine de spectacles on peut ne sélectionner que des spectacles ayant une thématique commune. On peut aussi faire comme moi : quand j’arrive, la première chose que je fais c’est de repérer certains lieux où je sais que les programmations veulent dire quelque chose.
Je vous renvoie à une interview faite en 2011 d’un metteur en scène niçois : c’était le off vu par une compagnie, il faut juste transposer et vous avez le « off » vu par un spectateur [1]. C’est peut-être pour vous éviter quelques déconvenues que je vous fais ces conseils.
Tout d’abord je choisi des théâtres qui ont fait leur preuves en matières de programmation, dirigés par des hommes de l’art et qui font partie des lieux permanents d’Avignon, qu’on appelle « scènes d’Avignon ». Pour ne vexer personnes, ma sélection sera alphabétique.
Et je vais commencer par un lieu mythique, le « Carmes Benedetto ». André Benedetto en 1961 fonde en 1961 la Nouvelle Compagnie d’Avignon et est à l’origine du festival Off d’Avignon. Auteur-acteur-metteur en scène, associant étroitement poésie et politique, André Benedetto est l’un des artistes les plus représentatifs du théâtre engagé de la fin des années 1960. Une de ses premières pièces, Napalm(1968), traite de la guerre du Viêtnam tandis qu’une autre, Zone Rouge (1969) est construite autour du mythe de Che Guevara. Benedetto invente un théâtre forain – Théâtre de bivouac – d’une grande richesse esthétique où protestation et questionnement, didactisme et lyrisme, véhémence et humour ne cessent de se bousculer l’un l’autre.
Comme dans toute institution, il y a des créateurs qui finissent par s’y sentir bien. Ainsi, Michel Bruzat et son Théâtre de la Passerelle, à Limoges, avec Comment va le monde ?, d’après le clown philosophique québécois SOL (13h30) et Philippe Caubère, La danse du diable (20h30). Théâtre des Carmes, 6 place des Carmes, Avignon 04 90 82 20 47 http://www.theatredescarmes.com )
On passe à un lieu non permanent, La Caserne des Pompiers. Rassurez-vous, je n’ai pas abusé de la fée verte. Il s’agit de l’ancienne Caserne des Pompiers, ouverte depuis 1995 par la région Champagne-Ardenne [2] Outre la première partie du nom de la région, la spécialité –disons dramaturgique- de la région est la marionnette, avec l’ Ecole Supérieure des Arts de la Marionnette de Charleville-Mézières. Outre bien sur plusieurs spectacles autour de la marionnette parmi les 8 sélectionnés (et je vous prie de me croire, c’est sélection de chez sélection), le lieu est réputé pour les débats qu’il organise. Ainsi le 10 juillet de 15h30 à 17h45, L’interrégionalité : des réseaux en action // Exemples en Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine. Il y a toujours un évènement, ici l’exposition A bras le corps, la marionnette et nous, du 6 au 22 juillet (fermé les 10 et 17). Je ne devrais pas le dire, mais il y a un spectacle qui me fait « titiller », c’est Kapput d’après Curzio Malaparte, à 18h30. J’y ai été foudroyé il y a quelques années par un « stabat mater furiosa » de Jean Pierre Siméon mis en scène par Christian Schiaretti, avec Gisèle Torterolo, à vous dégouter tout cru d’en voir une autre version.
Caserne des Pompiers 116 Rue Carreterie, 84000 Avignon 04 90 85 03 78 http://www.avignonleoff.com/lieux-off/C/caserne-des-pompiers-1308
On peut dire que les deux théâtres que nous avons vu, développent, dans leur ligne éditoriale, une expertise qui leur est propre : pour les Carmes, c’est le théâtre, va-t-on dire, de révolte, pour la Caserne des Pompiers, cela sera une dramaturgie encrée dans un territoire, celui des compagnies de Champagne Ardenne, accompagnée d’une sensibilité pour les dramaturgies issus de l’art marionnettiste.
Le prochain lieu sera plus « généraliste », ce qui ne signifie pas qu’il manque d’intérêt. Il est même –comme tous ceux mentionnés ici-une « figure » du off : le Théâtre du Chêne Noir.
Compagnie de créations et lieu incontournable de la vie culturelle d’Avignon et de sa grande région, le Théâtre du Chêne Noir est dirigé par l’auteur-metteur en scène Gérard Gelas depuis 1967. Les créations du Chêne Noir dans les mises en scène de Gérard Gelas sont jouées en France, à l’étranger, des plus petites scènes de villages aux plus grands festivals internationaux. Et si je crois que je devais qualifier cette « ligne éditoriale », il me faudrait utiliser les termes d’insatiable curiosité, pour toutes les formes de théâtre.
Quant aux créateurs qui finissent par s’y sentir bien, dans la famille Mesguich, je demande Daniel le père, William le fils et Sarah la fille… Et ça nous donne Salle Léo Ferré à 12h30 Noces de sang, de Garcia Lorca (mise en scène William) et à 18h45 Le Prince travesti de Marivaux (mise en scène Daniel). Et, pour la fine bouche, salle John Coltrane 17h30 Barrault Yourcenar / Les yeux ouverts, quand Marie Christine Barrault rencontre Marguerite Yourcenar … à moins que cela ne soit l’inverse…
Théâtre du Chêne Noir 8 Rue Sainte-Catherine, 84000 Avignon 04 90 86 74 87 http://www.chenenoir.fr
Dans notre avant dernier choix nous étions en Champagne Ardenne, nous allons nous retrouver outre-Quiévrain. Quiévrain est une commune francophone située en Région Wallonne. C’est une commune frontalière avec la France. Vu de France, se situer outre-quiévrain signifie donc… âtre en Belgique. Et la Belgique est également en Avignon avec le Théâtre des Doms, vitrine sud de la création contemporaine en Belgique francophone [3].
Pendant le Festival d’Avignon, le Théâtre des Doms invite neuf compagnies sélectionnées parmi 140 candidats, pour une programmation variée de spectacles reflétant une ligne artistique attentive aux écritures d’aujourd’hui, aux métissages dramaturgiques, à la diversité des formes... en théâtre, danse, cirque, musique, jeune public.
Un petit coup de cœur (subjectif, mais sinon ça ne serait pas un coup de cœur) à 13h, pour Les Misérables (d’après Totor), par la compagnie « Les Kariatydes » avec en coproduction … le festival de Théâtres de Marionnettes.
Je me rappelle y avoir vu en 2012 Une société de service une écriture collective sur base de matériaux documentaires, un théâtre documentariste qui s’avance sous une ironie mordante. N’oublions pas que la patrie du surréalisme est la Belgique.
Théâtre des Doms 1 Bis Rue des Escaliers Sainte-Anne, 84000 Avignon 04 90 14 07 99 http://www.lesdoms.be
Cet autre lieu est plus récent mais il est en train de compter : la Fabrik’Théâtre. Pendant très longtemps, on y a réparé les automobiles. Puis vinrent les artistes. Ils s’y installèrent, c’était “Le Théâtre du Graal”. C’est ainsi que l’atelier où l’on soignait la mécanique, devînt un entrepôt où l’on se préoccupa des âmes. Un nouveau lieu de Culture venait de naître à Avignon.
Puis, en 1997, d’autres artistes, saltimbanques, comédiens, plasticiens, danseurs, musiciens du “Théâtre du Kronope”, chassés d’un autre lieu par l’intolérance, [les démocrates Bruno et Catherine Maigret, Vitrolles] vinrent investir l’endroit providentiel. Artistes et ouvriers de la scène, ils le nommèrent “Fabrik’Théâtre” et l’endroit devint de Friche Industrielle, Friche Artistique.
J’y ai vu en 2013 une Solitude dans les champs de coton à tomber [4]. J’écrivais : « Après avoir vu le spectacle dont je vais vous parler, je me suis dit : Bon. Tu peux repartir. Jamais tu ne verras un spectacle aussi intense. Et de spectacles, j’en vois. Une moyenne de cent par année. Mais là… Pour vous dire, en sortant, j’avais les jambes qui flageolaient et le teint livide. C’est une pièce qui demande une grande exigence et les comédiens l’ont eue, voire au-delà. »
Fabrik Théâtre 1 Rue du Théâtre, 84000 Avignon 04 90 86 47 81. C’est un petit peu hors les murs, mais c’est dans la joignabilité des choses. http://fabriktheatre.fr
Les Carmes, le Chêne Noir, un autre des scènes d’Avignon qui, elle, est très spécialisée, le Théâtre Golovine. Une petite explication. Georges Golovine, (1932 – 2014), est un danseur étoile et chorégraphe français. En 1974, il fonde avec son épouse le théâtre de la danse Golovine. Récemment il a fait don de la mémoire de son théâtre aux Archives municipales d’Avignon. Il s’éteint le 30 décembre 2014 à Avignon. Pas besoin donc d’âtre un grand expert pour deviner que le théâtre Golovine est, depuis 40 ans, un lieu emblématique de la danse. Sept spectacles mettent en lumière la scène chorégraphique dans toute sa richesse et reflètent toutes les influences du corps en mouvement.
Théâtre Golovine 1 bis, rue Sainte Catherine - 84000 Avignon 04 90 86 01 27 http://www.theatre-golovine.com/
Et enfin –last not least- le Théâtre des Halles. Le Théâtre des Halles Timár scène permanente d’Avignon, a été fondé par Alain Timár en 1983. Le Théâtre est ouvert toute l’année, à la fois comme lieu de création pour la Compagnie Alain Timár et lieu d’accueil avec une programmation régulière. Il se compose de trois espaces : la Salle du Chapitre, la Chapelle Sainte Claire (200 places et 50 places) et le Jardin au Cèdre centenaire qui reçoit certaines manifestations durant le festival notamment.
Et ce qui m’intéresse avec Alain Timàr –il suffit de le voir se promener dans les rues pour comprendre que nous n’avons pas à faire à un marchand de places- c’est que sa créativité dans ses mise en scène prend ses sources dans ses activités de peintre et de plasticien, que mise en scène et scénographie sont indissociable pour lui. C’est lui qui, bien avant qu’il n’obtienne le Prix Nobel de Littérature, a révélé l’univers onirique de Gao Xingjian ou défendu des auteurs comme Vaclav Havel ou Valère Novarina. Ses choix artistiques témoignent d’une propension constante à s’ouvrir aux autres cultures. Théâtre des Halles Rue du Roi René, 84000 Avignon 04 32 76 24 51 http://www.theatredeshalles.com
Mais que cela n’empêche pas le fameux bouche-à-oreille de fonctionner. Ouvrez grandes vos esgourdes et si l’on vous dit un certain nombre de fois de ne pas manquer tel spectacle, il faudrait peut-être croire en la loi du grand nombre.