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"Accueillir et analyser le fait politique..."
Murielle Compère-Demarcy a lu " Loin, très loin de Jean-Luc Melenchon : du pape François à Domenico Losurdo"

Être un penseur n’est pas confortable, et aujourd’hui guère plus qu’hier. En effet, comment accueillir et analyser le fait politique (tout en se passionnant pour le fait littéraire comme Valère Staraselski) sans parti pris et sans se laisser happer idéologiquement par ceux que Régis Debray appelait « les hallucinés suprêmes » œuvrant à ce que « la religion se répande » et « les obsédés du fric, (…) héraults des multinationales et des bourses » ? Simone Weil, citée en exergue de cet ouvrage, notait cette assertion courageuse : « On est digne d’être un intellectuel que si on n’hésite pas à décevoir son camp ou ses partisans, qu’ils soient de droite ou de gauche. » Valère Staraselski est ce penseur dont l’entièrement de l’implication intellectuelle, politique et civique (comme le remarque Arlette Vidal-Naquet dans la Préface) est assez remarquable et a été suffisamment remarquée au fil du temps pour fidéliser un lectorat qui continue de le suivre afin d’accroître leur regard, ouvrir en profondeur leur esprit et éclairer leurs préjugés. Sa démarche rejoint l’état d’esprit et la position évoqués par Dany-Robert Dufour que Valère Staraselski commente dans L’Humanité en mars 2015, à propos de son ouvrage Le Délire occidental :

Il faut surtout ne pas prendre ce système comme allant de soi, comme le destin nécessaire du monde, il faut donc oser le penser, il faut oser résister à la bêtise qu’il impose et il faut expérimenter, partout où c’est possible, des solutions inédites.

Oser penser le monde… S’augmenter et se construire en s’appropriant les outils (dont la lecture) propices à nous proposer de nouveaux degrés de compréhension et de connaissance du monde réel contemporain. Une question d’emblée se pose : observer et tenter de déchiffrer le monde qui nous entoure par le truchement d’une orientation idéologique ne nous réduit-il pas à une vision plus raccourcie du fait d’une lecture politique partisane ? Ici surgit le défi même de l’auteur qui, au-delà de son obédience partisane, recherche toujours des clés de lecture et d’interprétation non formatées suivant une idéologie dominante, consensuelle ou sectaire. Progressiste, la pensée de Valère Staraselski met en mouvement une réflexion sans cesse remise en question (« expérimenter, partout où c’est possible, des solutions inédites »), bien que la finalité, elle, demeure permanente et inscrite dans une dimension humaniste : œuvrer en direction du bien commun (« travailler tout simplement à comprendre le réel avec le souci du bien commun ») et non, à l’instar des castes ou des élites hédonistes et déculturées, se focaliser exclusivement (au détriment de « leurs obligés ») sur la prédation à court terme et de manière systématique.
L’entièreté intellectuelle de l’auteur le mène à constater et réfléchir à de nouveaux outils en faveur de son idéologie politique dont il ne manque pas néanmoins de relever des failles (« Les exemples ne manquent pas des insuffisances actuelles du PCF »).

À quoi rêvent les communistes ? Les communistes de cœur, ceux qu’on appelait jadis les sympathisants. Et puis ceux du PCF. Mais aussi ceux regroupés dans divers mouvements, sans oublier les formations se réclamant du trotskysme. Bref, ces femmes, ces hommes rêvent d’un monde meilleur où l’organisation de la vie se ferait en fonction du bien commun et non selon le seul « calcul égoïste » de plus en plus destructeur, barbare et mortifère.

S’il relève avec une rare honnêteté intellectuelle (ce qu’on nomme droiture ou intégrité) les failles du PCF, Valère Staraselski note également que « le communisme politique a aussi été un mouvement de fond qui a irrigué et fait avancer les droits et la démocratie ». Le génocide khmer, le Goulag, la révolution culturelle chinoise, entre autres exemples, en furent l’illustration. Valère Staraselski mentionne également, par la voix de Domenico Losurdo, « penseur du communisme », l’apport du communisme dans une répartition plus juste des richesses entraînant une amélioration des conditions d’existence pour des catégories de travailleurs jusque-là maltraitées : « (…) pouvons-nous comprendre l’avènement de la démocratie sans la contribution des communistes », demande Losurdo, avant de poursuivre : « Comme historien, je réponds non. Je m’explique. La Révolution d’Octobre a contribué à éliminer trois grandes discriminations : contre les pauvres, contre les femmes, contre les race prétendument inférieures ». 

Avancées auxquelles le capital entend faire un sort aujourd’hui. Oui, les PC ont su impulser une dynamique qui a gagné du communisme : paix, service public, sécurité sociale, maîtrise publique… du communisme, autrement dit des réformes non réformistes.

Une fois publié ce constat, l’auteur indique le but poursuivi par le risque encouru de penser le monde. « Alors un parti pour quoi faire ? » interroge-t-il, et sans doute en même temps que le lecteur, en même temps que des couches populaires qui ne se reconnaissent plus dans un parti qui ne leur ressemble pas. Pour contrer les classes dominantes, répond Valère Staraselski, et, par la force du collectif, il convient d’aiguiser les outils propices à « préparer une contre-offensive » et combattre des institutions qui manipulent le plus grand nombre à leur insu.

Dans le cadre de chroniques publiées entre 2013 et 2023, l’ouvrage de Valère Staraselski aborde et interroge avec justesse les problématiques soulevées par des questions très actuelles : celle de la souveraineté nationale (« (…) sentiment national et nationalisme n’ont jamais partagé les mêmes objectifs », précise l’auteur) ; celle de l’abandon dommageable de la connaissance de l’Histoire aujourd’hui dans la sphère politicienne ou partisane au profit de « contre-vérités outrancières », voire de pseudo-vérités qui déforment le fait historique par prosélytisme ou pour des raisons et visées électoralistes. Ce manque de considération vis-à-vis de notre Histoire se traduit par une rupture avec nos racines et aboutit dangereusement au nationalisme et au communautarisme (« L’ignorance du passé ne se borne pas à nuire à la connaissance du présent : elle compromet, dans le présent, l’action même » déclarait Marc Bloc) ; la problématique d’une volonté de toute-puissance et de domination, par la technique, de l’Homme sur la nature : « triompher de la nature par l’industrie » écrivait Francis Bacon dans son roman utopiste La Nouvelle Atlantide, faisant écho au philosophe René Descartes qui, dans son Discours de la Méthode, parlait de « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature… ». La zone de dangerosité se situe certainement dans cet écart induit par le comparatif « comme » … Staraselski relève les abus auxquels l’Homme se laisse malheureusement conduire par pure avidité de dominer la Nature sans mesurer ses fâcheuses conséquences, dans la société civile même, avec la mise en place du travail non plus comme accomplissement mais aliénation. Une aliénation qui affecte jusqu’à la sphère privée des individus atteints de morosité, pire, de dépression (perte de l’appétit de vivre, déficit de la libido, …). Sans parler du rôle nocif des actionnaires… qui captent à leur avantage et pour

leurs intérêts des bénéfices (qui pourraient déjà plus équitablement être répartis au profit de l’investissement de l’entreprise, au service de son fonctionnement et des salariés NDRL). Ce qu’il note à ce sujet dans sa lecture critique du Délire occidental de Dany-Robert Dufour, est éloquent et édifiant :

Se dégageant d’une philosophie dite première (Nietzsche, Heidegger, Arendt) qui impute la création du monde technique et de la consommation à ceux-là mêmes qui en sont les premières victimes, Dufour rappelle qu’une philosophie seconde s’est employée à réparer les conséquences de cet oubli (de classe), constitutif de la philosophie première, à l’encontre du travail. Présente dès l’origine de la pensée grecque, cette seconde philosophie s’est affirmée au XIXe siècle avec Marx mais demeure aujourd’hui minoritaire, du fait même de ceux qui se réclament du marxisme, dans la mesure où ils ne s’en tiennent qu’à l’économie.
(…) Nous sommes allés peu à peu vers une conception du travail aliénant et aliéné vers l’extorsion de la plus-value se substituant à celle du consentement.
Dans une démocratie largement influencée, dans sa forme actuelle, par le discours du management, le philosophe table, lui, sur une réappropriation du travail désaliéné. 

Le mal-être de la population, du peuple écrasé par une société consumériste qui le consume peu à peu comme une longue maladie par la voie d’un capitalisme généralisé ; condamné à une « tyrannie du présent » (« éternel présent » évoqué par Hobsbawm dans L’Âge des extrêmes) qui le jugule, …— tous ces symptômes actuels d’un mal-être qui gagne du terrain se relient dans un rapport de causalité aux autres effets néfastes tels que la perte d’autonomie économique (nous l’avons vu en particulier durant la période de crise sanitaire des années 2020-…), la perte d’autonomie monétaire du pays, le relâchement du lien social, la montée de l’incivisme, de l’insécurité, la poussée de l’individualisme hagard et du multiculturalisme, la perte d’un certain appétit de vivre, … —tout ceci concourt à un repli des citoyens sur le sentiment national, d’autant plus que le travailleur ne retire plus de fierté de sa fonction dans accomplissement social.
Le Manifeste d’Innsbruck de Valère Staraselski, extrait d’un passage de son roman Sur les toits d’Innsbruck et reproduit ici pages 35 à 38, dit tout « eu égard à ce qu’il pense être un devoir d’humanisme ».

L’une des prouesses de l’ouvrage —tout en partant des deux postulats suivant lesquels existent une porosité encore constructive au 21e siècle entre l’idéologie chrétienne et l’idéologie communiste (un communisme de cœur allié à une conception de la Littérature comme outil de connaissance éminente pour le décryptage de la société) — est de parvenir à ne défigurer en rien l’objectivité de l’analyse de notre actualité nationale et internationale par le penseur.

La Lettre du pape François sur le rôle de la littérature dans la formation (juillet 2024) est éclairante : Valère Staraselski pose par ailleurs une question cruciale concernant la résonance de la parole pontificale dans la vie quotidienne : « Il est difficilement compréhensible que les prises de position du Vatican bien réelles contre la marchandisation des biens et des personnes à l’échelle mondiale et l’extension de la pléonexie (le désir de vouloir toujours plus) ne soient urbi et orbi ni entendues ni connues ». Le saint-Père évoque dans cette Lettre « de l’importance de la lecture de romans et de poèmes dans le parcours de maturation personnelle. » La lecture, le recours à un livre constituent pour le pape François « nous ouvre (…) de nouveaux espaces intérieurs qui nous aident à ne pas nous enfermer dans les idées obsessionnelles qui nous tiennent inexorablement ».

 « Contrairement aux médias audiovisuels où le produit est plus complet et où la marge et le temps pour “enrichir” le récit et l’interpréter sont généralement réduits, le lecteur est beaucoup plus actif dans la lecture d’un livre. Il réécrit en quelque sorte l’œuvre, l’amplifie avec son imagination, crée un monde, utilise ses capacités, sa mémoire, ses rêves, sa propre histoire pleine de drames et de symboles. Et ce qui en ressort est une œuvre bien différente de celle que l’auteur voulait écrire. Une œuvre littéraire est donc un texte vivant et toujours fécond, capable de parler à nouveau de multiples façons et de produire une synthèse originale avec chaque lecteur qu’elle rencontre. Dans la lecture, le lecteur s’enrichit de ce qu’il reçoit de l’auteur, mais cela lui permet en même temps de faire fleurir la richesse de sa propre personne, de sorte que chaque nouvelle œuvre qu’il lit renouvelle et élargit son univers personnel. »

Cet enrichissement personnel, Valère Staraselski nous l’offre également. Non seulement par les portes entrouvertes grâce à l’exercice d’une réflexion loin des écrans et des opinions empoisonnées par les médias lorsqu’aucun esprit critique n’est entretenu par le récepteur, passif, mais aussi par les portes entrouvertes dans Loin, très loin de Jean-Luc Mélenchon, du pape François à Domenico Losurdo, penseur du communisme, par la lecture critique de livres proposés par l’auteur, lecture qui retrouve ici sa place primordiale dans l’expression de la culture humaine, au cœur de l’être humain.

Nous retrouvons dans l’œuvre de Valère Staraselski cette imbrication vitale de la foi et de la Littérature, l’expérience de la Littérature comme une voie d’accès par le canal d’« un dialogue fructueux avec la culture de son temps » (le Pape François, Ibid.).
Parmi les écrivains célébrés ici, Aragon bien sûr qui, du point de vue politique, qualifiait d’ailleurs la seconde gauche : la gauche libérale ; de « petite gauche », celle qui selon l’auteur de l’ouvrage véhicule « majoritairement du gauchisme politique et culturel qui donne le la ». En tant qu’écrivain engagé, « qu’est-ce qu’Aragon ? », demande Valère Staraselski, « qu’est-ce que l’écrivain Aragon ? ». Ce qu’en dit ici Valère Staraselski nous ramène, entre autres, à notre affirmation première qui nous semble vérité primordiale et qui considère la Littérature comme un instrument de connaissance par excellence. À partir de l’affirmation de Louis Aragon : « Et tout de même dans les choses écrites, le caractère le plus important pour moi est l’invention », Staraselski écrit :

Une littérature qui permet de découvrir en vous mettant vous-même en état de découverte. La littérature, cet « être qui entraîne le savoir au-delà de l’avoir ». Soudain, dans le chemin, comme une clairière… On apprend à perte de vue en lisant Aragon, sur le monde, ses espoirs et ses déboires, sur ses ressorts et sur soi-même.

N’est-ce pas ce qu’apporte, humblement mais assurément, l’ouvrage de Valère Staraselski, à savoir l’apparition d’une clairière sur le cheminement de notre réflexion : un peu plus de lumière dans l’obscurantisme qui corrompt les reliefs vifs, réels et vivants de notre monde, reliefs qui pourraient retrouver leur visibilité/lisibilité s’ils étaient remis en valeur ?

Loin, très loin de Jean-Luc Mélenchon… : du pape François à Domenico Losurdo, penseur du communisme, Valère STARASELSKI, éd. L’Harmattan, coll. Libre Champ


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