Cette femme au pas de course, une couverture et une jarre d’eau sur la tête… qui tire de la main droite un enfant, sa sœur de l’autre et qui suit un troupeau de chèvres effrayées, cette femme fuyant un champ de bataille étroit vers un abri qui n’existe pas… je la connais depuis soixante ans. C’est ma mère qui m’oublia à la croisée de chemins avec un panier de figues sèches, une bougie et une boite d’allumettes mouillées par la rosée.
La femme que je vois maintenant dans la même situation sur l’écran de télé couleurs… je la connais depuis quarante ans. C’est ma sœur qui prolonge les pas de sa mère, ma mère, dans l’époque de l’errance : elle fuit un champ de bataille étroit vers un abri qui n’existe pas.
La femme que je verrai demain dans la même scène, je la connais également. C’est ma fille que j’ai abandonnée au milieu des poèmes pour qu’elle apprenne à marcher puis à s’envoler au-delà de la scène. Peut-être suscitera-t-elle ainsi l’admiration des spectateurs et la déception des francs-tireurs.
Car un ami roué m’a dit : l’heure est venue, si nous le pouvons, de ne plus être des objets de pitié pour devenir des sujets qui suscitent la jalousie !
Pages d’un journal (été 2006 – été 2007). Traduit de l’arabe (Palestine) par Elias Sanbar