Texte transmis par Roger Martin et publié sur le site https://www.pcf84danielecasanova.fr/2021/02/angela-davis-gerald-horne-alan-waldnon-les-communistes-n-avaient-rien-a-voir-avec-les-emeutiers-du-capitole.html?utm_campaign=_ob_pushmail&utm_medium=_ob_notification&utm_source=_ob_email
Présentation. En 1948, 11 dirigeants du Parti Communiste des États-Unis (CPUSA) furent accusés, en vertu du décret Smith, d’avoir voulu renverser le gouvernement des États-Unis par la violence. Leur procès dura 10 mois et se conclut par des condamnations à 5 ans de prison et 10 000 dollars d’amende. En 1950, d’autres condamnations furent prononcées puis en mai 1956, 131 autres responsables furent à leur tour mis en accusation dont 98 condamnés à des peines de prison.
Aujourd’hui, alors que Donald Trump a été battu, mais que 70 millions d’états-uniens ont voté pour lui et qu’une frange très importante des Républicains a soutenu le coup de force du Capitole, que l’anticommunisme est redevenu le moteur de leur haine et de la défense du capitalisme, nombreux sont les citoyens qui se dressent contre leurs idées délétères. Une foule d’associations, de mouvements, d’organisations, irriguent à présent le pays de leurs activités progressistes. Parmi eux les Démocrates socialistes des États-Unis de Bernie Sanders, qui affichent plus de 70 000 adhérents et le Parti Communiste (CPUSA) qui a retrouvé une réelle activité et dont People’s World, le journal numérique, a dépassé 3 millions de lectures en 2020…
Les temps ont changé, et c’est tant mieux. Lorsque la chaîne de télévision CNN assimile au Parti Communiste des USA (CPUSA) les émeutiers du Capitole, des historiens et des universitaires lui répondent. Dans les 35 signataires de la lettre indignée et combative que Rouge Cerise reproduit ci-dessous, on trouve Angela Davis, qu’on ne présente plus, aussi bien que le professeur Alan Wald, issu du mouvement trotskiste, infatigable militant progressiste et auteur d’une trilogie passionnante sur l’histoire intellectuelle de la gauche états-unienne. Rouge Cerise
Nous, soussignés, professeurs, historiens, auteurs, écrivons cette lettre pour deux raisons :
_ La première est que nous désirons exprimer notre puissant désaccord avec la façon de mettre sur le même plan les dirigeants du Parti Communiste mis en accusation en 1948, en application du Décret Smith [1], et les factieux qui ont violemment pris d’assaut le Capitole le 6 janvier 2021, dans l’article du 3 février signé de Eliot C. McLaughlin et ainsi présenté : « Par leur coup de force, les émeutiers du Capitole ont rejoint le Parti Communiste en complotant contre les États-Unis, selon le Projet Coup d’État ».
Le Parti Communiste des États-Unis a été la victime d’un excès de zèle et de la malveillance du gouvernement et n’a pas été reconnu coupable de quelque action effective. Comme cela est clairement établi aujourd’hui, les dirigeants du Parti Communiste ont été jugés et condamnés pour leurs opinions marxistes-léninistes à contre-courant, et non pour tentative avérée de coup d’État.
Lors des interrogatoires, les preuves du gouvernement ont consisté en rumeurs, ouï-dire, faux témoignages, souvent perpétrés par des indicateurs rétribués du FBI, comme Harvey Matusow [2], qui se rétractèrent ultérieurement. Leur seule autre preuve se fondait sur des discours, articles, pamphlets, livres (y compris un recueil de citations de Marx vieux d’un siècle) et rapports, diffusés massivement par un parti politique légal.
Répétons-le, le Parti Communiste et ses dirigeants n’ont jamais été condamnés pour une quelconque action avérée. On a fait le procès de leurs opinions. La Cour Suprême a statué ultérieurement que des accusés ne pouvaient être poursuivis que pour des actes, non des idées. C’est un point important – essentiel peut-être – absent de l’article de McLaughlin. Comme tout étudiant en histoire le sait parfaitement, omission volontaire vaut falsification. Nombreux sont ceux qui – à commencer par les signataires de cette lettre – sont en mesure d’éclairer le contexte historique ignoré dans l’article de McLaughlin.
Dans un climat politique de division où abondent « faits alternatifs [3] » et « nouvelles bidon », l’article de McLaughlin est très dangereux. Une recherche sur Google montre qu’il a été fréquemment repris. Nous espérons que vous constatez à présent qu’il ne s’agit pas seulement de mauvais journalisme mais aussi de mauvaise Histoire. En bref, le Parti Communiste a été poursuivi pour ses théories, non pour ses actes. Les émeutiers du 6 janvier, eux, ont été poursuivis non pour leurs idées mais pour leurs actes. Toute comparaison est donc indigne.
Notre seconde raison à cette lettre tient à ce que le Centre Cline de l’Université de l’Illinois, qui chapeaute le « Projet Coup d’État » ne partage pas l’analyse de McLaughlin assimilant le Parti Communiste aux émeutiers du 6 janvier et a d’ailleurs demandé qu’un correctif soit apporté. Le Centre a défini les événements impliquant le Parti Communiste et le Décret Smith comme une « conspiration en vue de coup de force » et non comme une « tentative de coup d’État ». Il y a là une distinction d’importance, que CNN [4] devrait apporter.
Nous pressons CNN de retirer l’article de McLaughlin et de présenter des excuses à ses lecteurs et au Parti Communiste des États-Unis.
Ce n’est pas seulement une question d’exactitude historique. C’est une question d’intégrité de l’information. Nombre de citoyens états-uniens comptent sur CNN pour donner des nouvelles exactes, objectives et bien informées. Quand une organisation comme le Parti Communiste – qui a été calomnié tout au long de son histoire – l’est de nouveau, CNN doit au moins s’assurer que ses informations soient exactes.
Dans l’attente de votre réponse,
Respectueusement
Angela Davis, University of California-Santa Cruz, Gerald Horne, University of Houston, Robin D.G. Kelley, University of California, LA, Denise Lynn, University of Southern Indiana, Norman Markowitz, Rutgers University, Michael Honey, University of Washington-Tacoma, Fred and Dorothy Haley, Professor of Humanities, Anita Waters, Denison University, Paul Buhle, Brown University, Senior Lecturer, Daniel Rosenberg, Adelphi University, Senior Lecturer, Penny Von Eschen, University of Virginia, William R. Kenan, Jr. Professor of American Studies, Joshua Morris, Wayne State University, Joel Wendland-Liu, Grand Valley State University, Timothy V. Johnson, New York University, Tamiment Library (retired), Elisabeth Armstrong, Smith College, Dennis Laumann, University of Memphis, David Laibman, City University of New York, Kirstin Munro, University of Texas Rio Grande Valley, William Robinson, University of California-Santa Barbara, Renate Bridenthal, Brooklyn College, CUNY, Andrew Zimmerman, George Washington University, Alan M. Wald, University of Michigan, H. Chandler Davis Collegiate Professor Emeritus, Frank T. Fitzgerald, College of Saint Rose, James Smethurst, University of Massachusetts-Amherst, Rachel Rubin, University of Massachusetts-Boston, August H. Nimtz, University of Minnesota, Barbara Foley, Rutgers University-Newark, Paul C. Mishler, Indiana University-South Bend, Steve Ellner, Universidad de Oriente Venezuela, Blanche W. Cook, John Jay College & Graduate Center, CUNY, Tonya Thames Tylor, West Chester University, David Roediger, University of Kansas, John Bellamy Foster, University of Oregon, Anna Louise Bates, Empire State College, New York, Bill Fletcher, Jr., executive director of GlobalAfricanWorker.com, Gary Murrell, Grays Harbor College, Gerald Meyer, Hostos Community College, CUNY, Rachel Peterson, Grand Valley State University.
A lire sur le site : le texte d’Angela Davis "La dialectique de l’oppression et de la libération"
[1] Smith Act : décret pris le 28 juin 1940, permettant de poursuivre ceux qui prônaient « le renversement du gouvernement pas force et violence ». Permit de condamner des anarchistes, des trotskistes du Socialist Workers Party, puis les Communistes, en 1949, 1950, 1956. Jugé inconstitutionnel par la Cour Suprême en 1957.
[2] Harvey Matusow (1926-2002) : membre du PC, travaillant à la librairie du Parti à Manhattan, propose ses services contre rétribution en 1950 au FBI. Exclu du Parti, il deviendra témoin « professionnel » du Comité des Activités non-américaines puis de Mc Carthy. En 1955, il reconnaît dans son livre « Faux témoin » avoir abondamment menti sur ordre de Roy Cohn, le bras droit de McCarthy. IL sera condamné pour parjure à cinq ans de prison dont il accomplira trois et demie.
[3] Expression utilisée par une responsable du Parti Républicain le 22 janvier 2017 pour signifier qu’il y a deux façons de voir les choses. En bref, « mensonges grossiers » !
[4] Cable News Network, chaîne d’info en continu lancée en 1980. Opposée à Trump mais proche de la droite du Parti démocrate.