Les conquêtes du programme national de la Résistance sont-elles dépassées ?
Demain 27 mai 2007, il y aura soixante-quatre ans, sous la présidence de Jean Moulin, les représentants des différentes organisations de la résistance intérieure réunis clandestinement créaient le Conseil national de la Résistance. Un mois plus tôt, la réunification de la CGT avait fortement impulsé l’élan unitaire de la lutte de libération nationale et contribué à rallier les derniers réticents à ce rassemblement patriotique.
La date du 27 mai 1943 ne fut pas fortuite, elle intervint 48 heures avant une rencontre à Alger où devait se rendre le général de Gaulle pour débattre avec les alliés anglo-américains des conditions dans lesquelles serait administrée la France après la Libération. Il est bien connu que Roosevelt et Churchill avaient en vue une administration sous leur autorité dont le fondé de pouvoir aurait été le général Giraud, ami de Pétain.
Pour faire échec à ce projet dégradant pour la France et faire valoir son autorité nationale, de Gaulle avait impérativement besoin de se présenter à cette négociation comme le seul authentique représentant des forces de la Résistance extérieure et intérieure ; la décision unanime des membres du CNR de le considérer comme tel ne permit pas aux alliés anglo-américains d’aller jusqu’au bout de leurs intentions. Voilà pourquoi la France ne fut pas traitée comme un pays vaincu mais comme l’une des quatre nations victorieuses de l’Allemagne nazie.
Mais là ne s’arrêtent pas les mérites historiques du CNR ; aussitôt après sa constitution, il organise le rassemblement de toutes les forces de la Résistance jusqu’alors dispersées, il unifie au sein des FFI, les FTPF, l’Armée secrète et autres formations militaires, ce qui leur donne une efficacité d’intervention reconnue et appréciée par les principaux chefs des forces alliées notamment dans la libération de Paris et d’autres régions de France après le débarquement. Le CNR a eu enfin et surtout le mérite d’avoir construit le projet de société qui conviendrait le mieux à la France au lendemain de la Libération. Cette élaboration longuement et largement débattue entre tous ses membres [1] s’est traduite dix mois plus tard, le 15 mars 1944, par la publication du Programme du Conseil national de la Résistance. Un programme riche en perspectives démocratiques et sociales telles que la création d’un système de protection garantissant un droit égal à la santé pour tous, un régime de retraite équitable et solidaire, le respect de la liberté et de l’indépendance syndicale et de nombreuses réformes économiques et sociales au travers de nationalisations extensives des services publics. Au cours du débat, le 3 novembre 1943, Charles de Gaulle a jugé utile de déclarer :
"La France est résolue à de profondes transformations, elle veut faire en sorte que demain, la souveraineté nationale puisse s’exercer entièrement sans les pressions corruptrices d’aucune coalition d’intérêt privé."
C’est de cette union dans la lutte associant la libération nationale, la démocratie et le progrès social qu’est né au lendemain de la Libération "le modèle social français" dont plusieurs pays d’Europe se sont inspirés par la suite.
Selon les porte-parole du MEDEF et de la droite durant la campagne de la présidentielle, ce modèle serait dépassé, les avancées sociales d’hier seraient aujourd’hui financièrement insupportables. L’histoire réfute ce genre d’arguties : comment, en effet, pourrait-on admettre que la France de 1945 affaiblie par de lourdes destructions, appauvrie par le pillage systématique de l’occupant, meurtrie par les quatre années noires du régime de Vichy, aurait pu réussir ces importantes avancées sociales, alors que la France de 2007 réputée l’un des pays le plus riche du monde serait dans l’incapacité financière de respecter les conquêtes sociales issues de la Résistance, telles qu’elles furent élaborées par le CNR ? Que certains aménagements ou adaptations se justifient, c’est incontestable, mais pas dans le sens d’une régression sociale générale à laquelle aucun syndicaliste digne de ce nom ne saurait souscrire.
Puis-je suggérer à M. Sarkozy qu’à la suite de la lecture de la lettre de Guy Môquet les lycéens apprennent les vérités de ce rappel de notre histoire nationale ne figurant dans aucun manuel scolaire ? Ce serait un bon moyen d’enrichir la mémoire collective de notre jeunesse et une excellente façon de célébrer le soixante-quatrième anniversaire du CNR.
Georges Séguy a été secrétaire-général de la CGT de 1967 à 1982, il est Président d’honneur de l’Institut CGT d’histoire sociale,
Article paru dans l’Humanité du 26 mai 2007
[1] À noter que si les représentants des organisations syndicales étaient présents, ceux de la Confédération du patronat français (le MEDEF de l’époque) ne furent pas invités à ces délibérations pour cause de collaboration outrancière avec l’occupant nazi.