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Quand le théâtre traitait du syndicalisme...
Un article de Jacques Barbarin à propos de la pièce d’Armand Salacrou : "Bouevard Durand, chronique d’un procès oublié"

Je vous ai parlé du Théâtre Toursky à Marseille et de la grève de la faim qu’avait effectuée son directeur, Richard Martin (voir Un théâtre entre en résistance et Trois mois se sont passés ). Je voudrais vous parler d’une activité « hors théâtrale » dans sa programmation, la création d’une université populaire.

Une université populaire est un organisme d’éducation populaire, dont l’objectif est la transmission de savoirs théoriques et/ou pratiques pour tous. La plupart des universités populaires en France ont un statut associatif.
En France, les universités populaires naissent dans le contexte de l’affaire Dreyfus. Face à la déraison que manifestent les idées antisémites, face aux passions qui se déchaînent alors, les universités populaires tentent d’apporter une réponse humaniste. Autre élément du contexte : les lois scolaires mises en place par Jules Ferry. Si celles-ci permettent dès lors un enseignement gratuit, elles ne touchent évidemment pas les adultes. Les universités populaires essaient donc dès l’origine de combler cette lacune en s’adressant à un public qui n’a pu bénéficier auparavant de « l’instruction publique ».

Depuis septembre 1995, le Théâtre Toursky, en marge de son activité traditionnelle, a ouvert une Université Populaire. Des écrivains, des poètes, des artistes, mais aussi des scientifiques, des médecins, des architectes, des économistes, abandonnent leur auditoire professionnel et évoquent leur savoir et leur métier devant un public diversifié.

Mercredi 6 avril à 19 heures, la rencontre est autour de la pièce d’Armand Salacrou, Boulevard Durand, chronique d’un procès oublié. Avec la participation de Michel Bracco de Richard Martin. Armand Camille Salacrou (1899-1989) est, connu notamment pour son Inconnue d’Arraset Boulevard Durand. Il fait ses études au lycée du Havre, puis à la Faculté de médecine, des lettres et de droit de Paris.

À 16 ans, réagissant avec une sensibilité de gauche, déjà révolté, il écrit l’Éternelle chanson des gueux, où il s’indigne du décalage entre la misère du port et la fortune des armateurs, et où il s’interroge déjà sur la solitude de l’homme. Il adresse son texte à l’Humanité qui le publie. Dans les années 1920 il est journaliste à l’Humanité (spectacles) et à l’Internationale. En février 1946, Gaston Defferre, ministre de l’Information, lui propose la Direction générale de la radio. Il hésite et finit par refuser et s’en va écrire Les Nuits de la colère, créées à Paris, au théâtre Marigny, par Jean-Louis Barrault, puis à Milan en 1947 par Giorgio Strehler lors de l’inauguration du Piccolo Teatro.

Retour sur ce « procès oublié ». En 1910, le syndicat des charbonniers du Havre compte plus de quatre cents adhérents. En août, suite à la mise en service d’un nouvel appareil de chargement, il lance une grève illimitée sur le port « contre l’extension du machinisme, contre la vie chère, pour une hausse des salaires et le paiement des heures supplémentaires ». Jules Durand est une figure incontournable du mouvement.

Pour casser la grève, la Compagnie générale transatlantique (ancêtre de la CGM) embaucha des renards, c’est-à-dire des jaunes, payés triple. Le 9 septembre, après quatre semaines de grève, l’un des jaunes, totalement ivre, menaça de son revolver quatre charbonniers grévistes non-syndiqués. Bagarre générale. Le jaune est assommé. Il meurt le lendemain à l’hôpital. Les quatre coupables sont arrêtés.

La Compagnie générale transatlantique, la bourgeoisie locale et sa presse, dont Le Havre Eclair, montent le fait divers en épingle. Des faux témoignages affirment que l’assassinat du renard a été voté par le syndicat, à la demande de Jules Durand, le 14 août. La manœuvre est évidente. Même le chef de la Sûreté du Havre dénoncera cette machination grossière, mais l’anarcho-syndicaliste est arrêté le 11 septembre. C’est le début de l’Affaire Dreyfus du pauvre.

Le 25 novembre 1910, après une instruction bâclée et un procès honteux, le syndicaliste est condamné à mort par la cour d’assises de Rouen. À l’énoncé du verdict, Jules Durand fait une crise de nerf. Pour l’achever, on lui impose quarante jours de camisole de force, il meurt à l’asile à Rouen le 20 février 1926.

Le lundi suivant le verdict, des milliers de travailleurs, et pas seulement des charbonniers, débrayaient au Havre et se rassemblaient pour exiger la révision du procès. La CGT et le Parti Socialiste entamèrent une campagne en ce sens, ponctuée de meetings et de manifestations dans toutes les villes de France. La justice ne le réhabilita pleinement qu’en 1918. Aucun patron du Havre, aucun juge, aucun accusateur rétribué ne fut jamais inquiété.
« J’avais dix ans et mes parents habitaient le Havre, devant la prison, quand éclata l’affaire Durand. Ce fut d’abord un modeste entrefilet de dix lignes dans les journaux locaux, le 10 septembre 1910 intitulé : "SANGLANTE CHASSE AU RENARD". Une rixe entre ivrognes avait éclaté, laissant sur le pavé du quai un mort : un ouvrier qui continuait de travailler pendant la grève des charbonniers, assommé par des grévistes. Quelques jours plus tard à la stupéfaction de tous, on inculpait le secrétaire du syndicat Jules Durand. » (Armand Salacrou)

Armand Salacrou évoque avec tristesse « l’affaire du syndicaliste Durand, anarchiste innocent, tombé dans un traquenard policier, accusé d’un crime, condamné à la peine de mort. Gracié, quand la grâce arrivera, Durand était devenu fou... Dans mon cœur, je prenais parti pour les emprisonnés, pour ceux qu’on affolait de chagrin… »

En 1956, la municipalité du Havre avait dédié à Jules Durand un boulevard. C’est cet intitulé que reprend Armand Salacrou dans une pièce, publiée pour la première fois en 1960.

Une phrase de la pièce : Jules Durand « Pour eux nous ne sommes que des chiffres. Nos souffrances se traduisent dans leurs livres par des additions et des soustractions. Que leur importe notre misère, si leur balance comptable se balance bien, sans un sou de perdu sur leurs bénéfices. Nous réclamons le droit de vivre et ils font des preuves par neuf. »

Théâtre Toursky 16 Passage Léo Ferré 13003 Marseille 04 91 02 58 35 - Entrée libre


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